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ANALYSE

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Une réflexion sur la Lettre à César

par Robert Benazra

    Dans notre précédente étude1, nous avions dénoncé le mythe de la conspiration centurique créé et entretenu avec ténacité, persévérance et également, il faut le reconnaître, avec un certain talent, par J. Halbronn, auteur de plusieurs études sur ce même Site, car il ne s’agit pour nous que d’une construction intellectuelle des plus hypothétiques reposant sur une dommageable pénurie de traçabilité historique, dans l’état actuel des recherches nostradamologiques, ajoutés à une attention démesurée à des textes composés par des éditeurs et libraires à la rigueur défaillante plus ignorants d’ailleurs que manipulateurs ou véritables faussaires.

   C'est grâce à des détracteurs de Nostradamus, tels Antoine Couillard (1556) et Laurent Videl (1558), que nous avons la certitude que l’astrophile provençal rédigea une Préface à ses Prophéties qu’il adressa à son fils César, et c'est grâce à l’imposteur-imitateur Antoine Crespin Archidamus (1572 et 1573), par exemple, que nous savons que les Centuries de Nostradamus étaient constitués de quatrains et que le “meige” de Salon-de-Provence rédigea une épître adressée au roi Henri II, le 27 juin 1558.

   Dans une de ses études2, J. Halbronn cite un extrait du chapitre intitulé “Au Lecteur Bienveillant”, en tête du Janus Gallicus (1594), dans lequel Jean-Aimé de Chavigny reprend un passage de l’épître à César, qui préfaçait le premier volume des Prophéties (“prémise à ses Centuries”) où l’on peut lire que Nostradamus refuse de se parer du titre de prophète, ayant “rejetté ce nom & titre”. Il ne s’agit pas ici, comme l’écrit J. Halbronn, du “terme de prophéties”, et ceci est moins innocent qu’il pourrait y paraître puisque notre historien ès contrefaçons a, de sa propre initiative, tronqué le passage de Chavigny pour en faire une interprétation erronée. Nous reproduisons ci-après ce texte en soulignant les termes omis :

   “Pour ce que tu pourrois LECTEUR, estre offensé en ce mot de prophète, qu’en aucuns lieux de ceste œuvre j’ay attribué à nostre Auteur : je te veux apporter les raisons pourquoy je l’ay fait. Bien que l’Auteur mesme par modestie, en l’epistre prémise à ses Centuries, & en celle qu’il adresse au ROY HENRY II. ait rejetté ce nom & titre (dit-il) de haute sublimité : si est ce qu’il a intitulé sesdites Centuries du nom de Prophéties, & sous telle enseigne ont esté imprimées cinq ou six fois : & en quelques lieux il a appellé présages, prophétiques. Et en l’une des dites Epistres soubs tierce personne il donne à entendre que par le moyen de DIEU immortel & des bons Anges (voilà ses mots) il a receu l’esprit de vaticination. ”

   Chavigny reprend, nous l’avons dit plus haut, un passage de l’Epître à César dans laquelle Nostradamus répond à ses éventuels contradicteurs qui penseraient qu’il s’est octroyé abusivement le titre de prophète après avoir rédigé ses “quatrains astronomiques” :

   “Encores mon filz que j’aye inséré le nom de prophète, je ne me veux atribuer tiltre de si haulte sublimité pour le temps présent…”

   Par contre, ce que ne souligne pas J. Halbronn, dans le texte de Chavigny, il est fait explicitement allusion aux centuries nostradamiennes imprimées sous le nom de Prophéties. Et quand l’historien des textes s’interroge sur ce que Chavigny voulait dire lorsque qu’il écrit : “Et en l’une des dites Epistres soubs tierce personne”, il s’agit bien évidemment de l’Epître à César dans laquelle on lit effectivement et textuellement que les prophètes, “par le moyen de Dieu immortel, & des bons anges ont receu l’esprit de vaticination.”

   Lorsque Du Verdier signale en 1585, dans sa Bibliothèque, une édition de “Dix Centuries de prophecies par quatrains” comme étant parue en 1568 chez Benoît Rigaud, nous ne pensons pas que ce bibliographe a réellement consacré beaucoup de temps à ces “quatrains qui n’ont sens rime ne langage qui vaille”. A notre avis, il n’a même pas du s’apercevoir qu’il y avait deux pages de titre et il a simplement souligné une présentation en dix centuries I-VII et VIII-X, sans évoquer la centurie VII incomplète, un peu à la manière des éditions avignonnaises de Toussaint Domergue en 1772, lequel indiquera sur sa page de titre, en gros caractères : “DIVISEES EN DIX CENTURIES”3, formule que l’on retrouvera au tout début du XIXe siècle dans une édition publiée “A Salon, chez l’imprimeur de Nostradamus”.4

   En ce qui concerne l’édition Benoît Rigaud de 15685, J. Halbronn suppose que cette édition - qu’il note “Edition BR 1568-4” c’est-à-dire, selon sa thèse, une quatrième mouture des éditions se signalant comme publiées par Benoît Rigaud - date du XVIIIe siècle. Les raisons qu’il invoque sont notamment un élagage, avec la disparition des Présages, des Centuries XI et XII, des Sixains, des suppléments aux centuries VII et VIII et du Brief Discours publié dans le Janus Gallicus. Rappelons que tous ces textes “élagués”, à l'exception des Présages - cette première génération de quatrains a été publiée de 1555 à 1566 - et des Sixains, plus tardifs, puisqu’apparus en 1605, n'ont vu le jour qu’en 1594, date de la Première Face du Janus françois.

   J. Halbronn repose une partie de sa démonstration sur l’édition anversoise 15906, qui indique à la fin de la centurie VII la mention : “Fin des Professies de Nostradamus, réimprimées de nouveau sur l’ancienne impression imprimée premièrement en Avignon par Pierre Roux Imprimeur du Légat en l’an mil cinq cens cinquante cinq”. Nous n’avons pas retrouvé cette dernière édition, mais en cette année 1555, on n’avait pas encore publié sept centuries. Nous avons rappeler, dans notre dernière étude7, la thèse assez tenace d’une première édition à sept centuries qui aura longtemps prévalu chez les nostradamologues, presque jusqu’aux biographes Jean Moura et Paul Louvet en 1930 ! L’ignorance de la réalité de l’édition Macé bonhomme à quatre centuries, qui plus est, contre toute attente, incomplète à la dernière centurie, que nous avons “ressuscité” en 1984, était légitime, puisque rien, ni dans les écrits de Nostradamus, ni chez ses contemporains, ne laissait supposer l’existence d’une telle édition.8 La publication d’une édition avignonnaise des Prophéties en 1555 par Pierre Roux9 est une hypothèse de Daniel Ruzo qui prend justement appui sur la citation précédente ainsi que sur une mention signalée également sur une édition rouennaise imprimée par Pierre Valentin au début du XVIIe siècle10, édition comportant 32 quatrains seulement à la centurie VII, alors que celle d’Anvers n’en comportait que 35.

   L’argument consistant à dire qu’une édition des Centuries tardive ne pourrait avoir in fine une telle mention que nous avons cité s’il n’y avait pas eu un précédent ne peut être retenu, car nous avons moult exemples du contraire dans le corpus nostradamique. Nous avons affaire ici à un effet d’annonce du genre : “dernièrement trouvées manuscrites dans une célèbre Bibliotheque des Pays-Bas”11 ou “édition faite sous les yeux de César Nostradame son fils en 1568”12 ou encore “Trouvées en une Bibliotecque laissée par l’Autheur” et “D’après un Exemplaire trouvé dans la Bibliothèque du célèbre Pascal.”13

   On se demande vraiment si J. Halbronn ne cherche pas la petite bête lorsqu’il se demande si on évoque bien Michel de Nostredame, quand on lit Professies de Nostradamus. Pour lui, le fait de ne pas désigner l’auteur des dites Prophéties sous le nom de Michel Nostradamus mais simplement sous celui de Nostradamus tout court ne lui semble pas indifférent, et cela laisse entendre que l’auteur n’était peut-être pas le “véritable” Nostradamus historique mais un de ses imitateurs !

   De plus, l'historien des textes joue également avec les mots, quand il trouve étrange voire incongrue, dans l’édition Macé Bonhomme, que Michel de Nostredame s’adresse à son fils en terminant par cette formule “ton père M. Nostradamus”, car là encore il conviendrait de citer le passage complet : “Faisant fin, mon fils, prends donc ce don de ton père Michel Nostradamus”, ce qui renvoie les spéculations halbroniennes - dont le but, rappelons-le, est ni plus ni moins de déposséder Michel de Nostredame de son œuvre - aux calendes grecques !

   L’Epître à César, datée du 1er mars 1555, ne correspond pas au 1er mars 1556, comme le voudrait J. Halbronn, car l’utilisation de l’ancien style, avant 1564, n’était pas systématique, d’autant plus qu’ici, le fini d’imprimer des quatre premières centuries daté du “IIII. jour de Mai M.D.LV.” montre que l’ouvrage fut bien publié en 1555. Il y a d'autres confirmations de ce fait, comme par exemple la publication par Antoine Couillard de son pamphlet qu'il signe des 4 et 5 janvier 1555, soit les 4 et 5 janvier 1556 (nouveau style) cette fois-ci.

   Selon J. Halbronn, les Prophéties de Nostradamus étaient accompagnées d’un commentaire au départ. C’est une supposition complètement gratuite que d’inverser ainsi la chronologie et surtout méconnaître le statut de texte prophétique à part entière, support d’éventuelles explications ou interprétations qui ne peuvent venir qu’après un certain laps de temps. On n’a jamais publié un texte prophétique indéchiffrable suivi immédiatement d’un mode d’emploi en bonne et due forme ! Nous ne sommes pas contre l’hypothèse de la publication d’un commentaire ou d’une certaine explication de texte par Nostradamus lui-même de ses Prophéties, nous l’avons d’ailleurs explicitement admis dans notre dernière étude. Notamment, dans ses Significations de l’Eclipse de 1559, Nostradamus évoque “l’interprétation de la seconde centurie de [ses] Prophéties”, mais ce commentaire éventuel n’a pu être rédigé que plusieurs années après la rédaction des premières Centuries, peut-être même dès 1558, juste avant la publication des centuries VIII-X.

   Dans une de ses études14, J. Halbronn pose la question : “Comment ne pas voir le lien numérique entre les 53 quatrains de la IV [Edition Macé Bonhomme, 1555] et les 35 quatrains de la VII [Edition d’Anvers, St Jaure, 1590], avec les même chiffres inversés ?”. Sachant que la 1ère édition des Prophéties contenait 353 quatrains et que doivent être exclus des poèmes prophétiques, pour un éventuel calcul, les deux quatrains d’introduction (I.1) et (I.2), il nous reste 351 quatrains, ceci nous permettant de répondre à J. Halbronn par cette autre interrogation : Comment ne pas voir le lien numérique entre les 351 quatrains de la 1ère éditions des Prophéties et les 153 “poissons” ramenés par le pêcheur Simon-Pierre, disciple de Jésus (Jean XXI, 11), avec les même chiffres inversés ?15

   J. Halbronn propose ainsi une nouvelle grille numérique de lecture sur les centuries “incomplètes” IV, VI et VII. Il suppose ainsi qu’il y avait notamment une première addition de 39 quatrains à la IVe centurie avant de passer à une centurie IV à 53 quatrains (celle de Macé Bonhomme), l’intitulé “Revues & additionnées par l’Autheur pour l’an mil cinq cens soixante & un de trente-neuf articles à la dernière centurie” lui donnant à penser que cette “dernière centurie” ne pouvait être que la IIIe, à laquelle s’ajoutera donc 39 quatrains pour une IVe centurie. En fait, contrairement à J. Halbronn qui estime que cette composition (I-III + 39 quatrains de la IV) était celle de l’édition 1561 de Barbe Regnault, nous pensons que le faussaire parisien avait réalisé une édition à sept centuries, confirmation donnée d’ailleurs par le bibliographe Brunet.16

   Nous ne suivrons donc pas J. Halbronn dans sa démonstration mathématico-kabbalistique, avec l’élaboration d’une théorie numérologique ayant quelque rapport avec les carrés magiques, et basé sur les nombres de quatrains des centuries incomplètes.

   Reprenons sa “mise en évidence” d’une structure numérique ordonnée dans les Centuries, notamment cette “progression arithmétique” avec les nombres 35, 53 et 71 :

5+ 3 = 7 + 1 = 3+ 5
35 + 18 = 53
53 + 18 = 71
35 + 17 = 53 - 1
53 + 17 = 71 - 1
5 (53 de IV) + 7 (71 de VI) + 3 (35 de VII) = 573, soit 1573

   Conclusion de cette “centuromancie” : “une édition à 53 quatrains à la IV ne saurait être antérieure au début des années 1580” ! En substance, nous aurions donc eu affaire à un gang de faussaires… kabbalistes !

   Estimant que des centuries incomplètes n’ont pu paraître qu’à la fin du recueil des Centuries, J. Halbronn suppose que le volet centurique (VIII-X) fut publié en premier suivi d’un second volet (I-III) et ainsi, on imprima de nouveaux quatrains à la suite de la IIIe centurie et non à la suite de la Xe centurie, l’ensemble étant préfacé par une épître à Henri II ! Sous la Ligue, le second volet deviendrait le premier et la fameuse Préface à César se retrouverait donc en tête d’un ensemble centurique réduit à sept centuries.

   Quant au quatrain 100 de la VI qui ferait référence, selon J. Halbronn “à un événement déplaisant pour les Protestants”, nous l’avons trouvé, pour la première fois, dans La première Face du Janus François (1594).17 Arrêtons nous un instant sur ce quatrain qui aurait complété la centurie VI et dont on pourrait dire qu’il a été remplacé dans les éditions Benoît Rigaud (1568) par le fameux quatrain latin non numéroté.

File de l’Aure, asyle du mal sain,
Ou jusqu’au ciel se void l’amphitheatre,
Prodige veu, ton mal est fort prochain,
Seras captive, & des fois plus de quatre.

   Jean-Aimé de Chavigny l’applique en toute quiétude aux années 1562 (pp. 106 - 108) et 1573 (p. 218). On notera en particulier sa référence à la prise de la ville d’ “Aurange” sur les Protestants par le comte de Sommerive, le 6 juin 1562. Ecoutons Chavigny : “Il appelle Aurange poëtiquement fille de l’Aure, pource qu’estant le lieu eslevé sur le clin d’une montagne, il est ordinairement agité des aures et vents.” Le moins qu’on puisse dire, c’est que le passage de “Aure” à “Orange” n’est guère évident. Par ailleurs, il est peu vraisemblable qu’il s’agisse là d’une fabrication de Chavigny.

   Selon J. Halbronn, puisque le quatrain du mois d’octobre 1555 figure dans la compilation Crespin (1571) et qu’on le retrouve (heureusement) dans la Prognostication nouvelle & prédiction portenteuse pour l’an 1555, Lyon, Jean Brotot (Collection Ruzo), il appartiendrait au corpus centurique initial, composé de six centuries. Rappelons que cette Pronostication serait un faux, nous dit l’historien des textes, car, selon son axiome, seuls les almanachs ont des quatrains.

   A propos de la Lettre à César, du fait que Laurens Videl parle, dans sa Déclaration des abus de Nostradamus (1558) de “vaticinations perpétuelles” et que Couillard ne parle que de “prophéties après un an”, J. Halbronn se demande si nous n’avons pas affaire à deux brochures du même auteur !18

   J. Halbronn penche aujourd’hui pour une publication toujours posthume des Centuries, dès 1568, avec une Lettre à César recyclée et placée en tête d’un lot de Centuries, les centuries VIII - X.

   Jean-Aimé de Chavigny évoque dans son Janus Gallicus, “l’epistre premise à ses Centuries” de Nostradamus. Nous avons là un autre exemple de la démarche de J. Halbronn, lorsqu’il note que le nom de César n’est pas associé à cette “l’epistre premise”. Heureusement que le secrétaire de Nostradamus avait noté dans son “Brief Discours sur la Vie de Michel de Nostredame” le nom du “premier des masles nommé César (…) auquel il a dédié ses Centuries premières”, sinon César aurait également été dépossédé de l’hommage que son père lui avait rendu dans cette épître !

   J. Halbronn, citant à l’appui de sa thèse les ouvrages des imitateurs de Nostradamus, semble confondre la médiocrité de ces copies avec les Centuries souvent imités au cours des siècles mais jamais égalées.

   Dans son étude (Analyse 82), J. Halbronn compare un passage l’épître à César dans les édition Macé Bonhomme (1555) et Antoine Besson (c1690), c’est à dire entre une édition parue, nous en sommes convaincu, du vivant de Nostradamus et une édition publiée plus de 120 ans après sa mort. Tout ce que notre historien démontre, c’est que Théophile de Garencières, auteur des True Prophecies or Prognostications (1672), s’est inspiré, pour sa traduction, d’une édition source qui sera celle vraisemblablement qu’utilisera Besson, vingt ans plus tard. J. Halbronn note qu’il manquerait dans la Préface à César le mot “tardivement”, notamment dans les textes de Macé Bonhomme et Benoît Rigaud, et de critiquer par la même occasion le travail de Pierre Brind’Amour (1996).

   Avant de dénoncer la Préface à César ou plus exactement, avant de dire que le texte qui nous est parvenu de cette préface par l’intermédiaire des éditions 1555 et 1568 est corrompu, il faudrait analyser plus sérieusement la totalité du texte établi par Théophile de Garencières et notamment celui d’Antoine Besson dont J. Halbronn n’a cité qu’un extrait. Il serait en effet plus judicieux de comparer le texte en question avec les passages fournis par des contemporains de Nostradamus au-dessus de tout soupçon, d’autant plus qu’ils en furent les premiers contradicteurs les plus virulents. Quant à la source de ces textes, le lecteur se reportera à notre précédente étude.19

   Jugeons donc les pièces en notre possession, sans aucune extrapolation de notre part. Les quelques exemples qui suivent montreront l’inanité de la démonstration de J. Halbronn. Nous lisons :

- Lettre à César selon Macé Bonhomme (1555) :
“quant aux occultes vaticinations que lon vient à recevoyr par le subtil esperit du feu” (fol. A4r)
- Version des Prophéties de Couillard (1556) :
“par ocultes vaticinations, qu’aucuns dient que lon vient à recevoir par le subtil esprit du feu” (fol. D1r)

- Lettre à César selon Macé Bonhomme (1555) :
“celle notice pour estre cognuës ne par les humains augures, ne par autre cognoissance ou vertu occulte comprinse soubz la concavité du ciel” (fol. A4v)
- Version des Prophéties de Couillard (1556) :
“la notice des choses futures, ne pouvoir, comme je doubte fort, estre congneues par les humains augures, ne par aultre congnoissance, ou vertu occulte, veulent comprendre soubz la concavité du ciel” (fol. D1r)

   Dans l’édition Antoine Besson (c1690), ces passages comme près de 65 % de la Lettre à César - en général, la partie la moins compréhensible - ont été carrément supprimés, comme s’ils n’avaient jamais existé (merci Antoine Couillard !). Mais examinons un autre passage de la Lettre à César, selon A. Besson, qui va surtout démontrer que l’ouvrage présenté par Nostradamus contenait bel et bien des quatrains :

- Lettre à César selon Macé Bonhomme (1555) :
“j’ay composé livres de propheties contenant chascun cent quatrains astronomiques de propheties, lesquelles j’ay un peu voulu raboter obscurement : & sont perpetuelles vaticinations, pour d’yci à l’an 3797” (fol. B2r)
- Version de la Déclaration des abus de Videl (1558) :
“Tu donc Michel as composé (comme tu dis) livres de prophéties & les as rabotez obscurement, & sont perpetuelles vaticinations (…) O grand abuseur de peuple, tu dis que tu as faict de perpetuelles vaticinations, & apres tu dis qu’elles sont pour d’icy a l’an 3797.” (fol. D4v - E1r).
- Lettre à César selon Antoine Besson (c1690) :
j’ay composé Livres de Prophéties, lesquels j’ay voulu labourer un peu obscurement ;
Contenant chacun cent quatrains Astronomiques, qui envelopent perpetuelles vaticinations pour d’icy es années 1767

   Pour finir avec ce sujet, donnons quelques autres exemples concrets qui montrent qu’Antoine Besson a librement recomposé le texte de Nostradamus, en supprimant des passages entiers comme nous l’avons dit plus haut et l’en adaptant parfois à sa convenance :

- Lettre à César selon Macé Bonhomme (1555) :
“Car la parole hereditaire de l’occulte prediction sera dans mon estomach intercluse” (fol. A2v)
- Version des Prophéties de Couillard (1556) :
“je ne me suis peu vaincre ne tant faire envers moy mesme que de souffrir les occultes predictions demourer dans mon estomach intercluses” (fol. E1v)
-Lettre à César selon Antoine Besson (c1690) :
“car la parole hereditaire à toy delaissée de l’occulte prediction demeurera intercluse dans mon intellect

   Lorsque Nostradamus écrit dans la Lettre à César : des “estudes nocturnes de souefve odeur” (fol. B2r) comme le confirmera Couillard (fol. 71r), Antoine Besson met : “une soüeve délectation”. Ou encore, quand Nostradamus écrit : “par la voix faitcte au lymbe” (fol. B1r) - confirmation Couillard (fol. E1v) - Besson lit : “par la voix inspirée”.

   Voici un dernier exemple où Besson va cette fois-ci ajouter des mots au texte nostradamien :

- Lettre à César selon Macé Bonhomme (1555) :
“Combien que de longs temps par plusieurs foys j’aye predict long temps au-paravant ce que depuis est advenu & en particulieres regions” (fol. A2v)
- Version des Prophéties de Couillard (1556) : “car j’ay souventesfoys predict, voire long temps paravant, ce que depuis est advenu en particulieres regions, mesmement qu’apres la pluye viendroit le beau temps” (fol. E1v)
-Lettre à César selon Antoine Besson (c1690) :
“Combien que depuis long tems par plusieurs foys j’ay predict auparavant ce qui est ensuite avenu apres longues années en particuliers regions, climats & citées de l’Univers

   Tous ces passages cités devraient donc suffire pour notre démonstration.

   D’ailleurs, à l’instar de la Préface à César, l’Epître à Henri II a été encore plus considérablement réduite, puisque c’est près de 95 % du texte qui a été supprimé et pour le reste, la version Antoine Besson ne reproduit textuellement qu’à peine 3 % du texte de la Lettre imprimée par Benoît Rigaud en 1568. Il est donc plutôt déconcertant de prendre pour modèle original, comme le propose J. Halbronn, une version tronquée et remaniée des préfaces centuriques, pour avancer une thèse des plus controversées.

   Dans son étude20, J. Halbronn semble accorder beaucoup trop d’importance à certains commentaires des Centuries, quand bien même furent-ils faits par des historiens et universitaires réputés, tels Ivan Cloulas ou Roger Prevost. Avant eux, les mêmes quatrains avaient eu leurs heures de gloire avec des interprétations totalement différentes et il est à parier que dans le futur, d’autres interprétations prendront le relais. Il est donc illusoire d’accorder plus qu’une simple attention à des textes qu’on voudrait absolument interpréter à la lumière d’événements précis, et qui permettrait d’en déduire notamment des dates de premières parution, toujours avec la volonté d’occulter définitivement la possible capacité prophétique d’un Nostradamus décidément gênant pour les rationalistes de tout poil. Que dans les quatrains centuriques, certains y voient la défaite de Saint Quentin de 1557 ou la conjuration d’Amboise de 1560 ou bien alors la prise de Constantinople par les Croisés en 1204 ou la prise de Jérusalem par les mêmes Croisés en 1099, on ne répétera jamais assez qu’il ne s’agit que d’interprétations, peut-être pour certaines plus ingénieuses que d’autres, n’ayant aucune valeur scientifique sur lesquels quatrains on aimerait bâtir de séduisantes (et révolutionnaires) hypothèses, il en est ainsi de même pour ce fameux verset cher à notre historien de la Ligue : Garde toi Tours de ta proche ruine...

   J. Halbronn nous avoue franchement son état d’esprit : “c’est précisément en renonçant à la thèse d’une inspiration réellement prophétique que l’on pourra envisager de fonder les études nostradamologiques sur des bases solides”, et ajoutant, que “l’attachement à des éditions des Centuries parues du vivant de Nostradamus ou même composées par lui reste un obstacle épistémologique majeur à une telle entreprise.” En voulant justement faire des quatrains centuriques un banal texte du XVIe siècle, lui accordant tout au plus un statut de poésie originale, c’est définitivement fermer la porte à sa compréhension intime, puisque justement on n’a pas su ou pas voulu en accepter les règles fixés par son auteur, en l’occurrence Nostradamus.

Robert Benazra
Feyzin, le 2 février 2004

Notes

1 Cf. “La thèse du complot des Centuries à l’épreuve de la critique”, Analyse 77. Retour

2 Cf. “Importance de l’an 1568 pour l’histoire des éditions centuriques”, Analyse 79. Retour

3 Cf. RCN, p. 319. Retour

4 Cf. RCN, p. 343. Dans son étude “Sur les éditions du XVIe siècle connues et inconnues des Centuries”, J. Halbronn reconnaît d’ailleurs que le titre employé par Du Verdier n’implique nullement des centuries pleines. Retour

5 Voir le reprint Chomarat, 2000. Retour

6 Cf. RCN, pp. 127. Retour

7 Cf. “La thèse du complot des Centuries à l’épreuve de la critique”, Analyse 77, Volet 2 : “Le cheminement d’une pensée iconoclaste” que longtemps. Retour

8 Un petit bémol, cependant, à cette dernière déclaration, car nous avons montré dans notre étude sur “Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus ou la Lettre à César reconstituée“, Analyse 34, qu’Antoine Couillard avait noté la publication par Nostradamus en 1555 de “trois ou quatre cens carmes de diverses ténébrositez”, mais l’allusion était si peu clair qu’elle était passé inaperçue. Voir ses Prophéties, 1556, fol. E2v. Retour

9 Cf. RCN, p. 11. Rappelons que cet éditeur publia le pamphlet de Laurent Videl en 1558, intitulé déclaration des abus et ignorances et séditions de Michel Nostradamus ainsi d’ailleurs que l’almanach nostradamien pour 1563. Retour

10 Cf. RCN, p. 194. Retour

11 Cf. RCN, p. 318. Retour

12 Cf. RCN, p. 319. Retour

13 Cf. RCN, p. 325. Retour

14 Cf. “Signification du nombre de quatrains des trois centuries “incomplètes” (IV, VI, VII)”, Analyse 81. Retour

15 Pour les amateurs de numérologie (Guématria juive), nous apportons ces petites précisions : le nom de Dieu - le Tétragramme (valeur numérique hébraïque = 26) - se retrouve exactement 153 fois dans le premier Livre de la Thorah, le Livre de la Genèse (Béréchith), celui dans lequel Dieu dit : “Faisons l’Homme à notre image” (I, 26). L’image de 153 est bien 351 ! Le lien peut être étendu au “nombre de Dieu” 26, puisqu’en mathématique, le développement numéral de 26, c’est à dire (1 + 2 + 3 + …..+ 26), est précisément 351. Pour rester sur le terrain nostradamique, si nous considérons le titre du seul quatrain des Centuries rédigé en latin : Legis Cautio Contra Ineptos Criticos, comme un acrostiche, nous obtenons : LCCIC, soit 351 en lecture “romaine” ! Retour

16 Cf. Supplément au Manuel du Libraire, tome II, col. 36. Un exemplaire de cette édition a été vendu 12 sols à la vente Gersaint de 1750. Voir RCN, p. 52. Retour

17 Cf. RCN, p. 135. On retrouvera ce quatrain notamment dans les éditions des Centuries de 1605, de Pierre du Ruau, Rouen 1649, Leyde 1650 et Amsterdam 1667 & 1668. Retour

18 Cf. “Le mémoire à César de Nostredame et le premier quatrain centurique“, Analyse 82. Retour

19 Cf. “Les premiers garants de la publication des Centuries de Nostradamus ou la Lettre à César reconstituée”, Analyse 34. Retour

20 Cf. “Le décalage entre bibliographes et exégètes des Centuries“, Analyse 83. Retour



 

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