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ANALYSE

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Epistémologie comparée
des recherches nostradamiques et astrologiques

par Jacques Halbronn

    Pouvant raisonnablement prétendre à la double qualité d’historien de l’astrologie et du prophétisme et singulièrement du phénomène nostradamique ; il nous est apparu utile de comparer et de confronter ces différentes activités et les problèmes, les enjeux, qui les concernent les unes et les autres de nos jours.

   Un des principaux obstacles à surmonter est probablement le mythe de l’unicité du corpus : unicité d’inspiration et de composition des Centuries, quatrains et épîtres tout ensemble et unicité du savoir astrologique, en ses manifestations les plus diverses, psychologique, prévisionnelle, individuelle, collective. Qui dit unicité, dit unité de style, structure où chaque élément a une fonction bien définie et spécifique.

   Pour nous, cette unicité est un leurre que l’historien ne saurait en aucune façon tenter de consolider. La faute la plus grave qu’un historien puisse commettre ne serait-elle pas de ne pas remonter suffisamment en amont, avec les moyens dont il dispose ?

   Dans le cas des études nostradamiques, vouloir démontrer que les textes en question appartiennent à une période de quelques années seulement et qu’ils présenteraient donc une grande homogénéité est une gageure à laquelle certains - comme Lucien de Luca1 - ne semblent pas encore avoir renoncé. On se contente pour cela de quelques convergences superficielles qui ne sont jamais d’ailleurs souvent que le résultat d’emprunts et d’imitations ou mieux encore de retouches visant à harmoniser l’ensemble à bon compte. Ce qui est important, il faut le répéter encore et encore, ce n’est pas ce qui “colle” mais ce qui ne “colle” pas - tels les anachronismes, les invraisemblances - et qui auraient échapper à la vigilance d’éventuels faussaires. On voit mal ainsi Nostradamus annonçant carrément la victoire de la maison protestante de Vendôme-Bourbon sur celle catholique de Guise-Lorraine, dans les années 1550, lui que l’on qualifie de si bien en cour. C’est d’ailleurs une telle distorsion d’inspiration qui provoquera, pour quelque temps, à la fin des années 1580 l’éclatement du corpus nostradamique avec abandon de l’Epître à Henri II et des centuries VIII-X. Combien de temps précisément dura cette sécession ? La lecture des bibliographies de Chomarat et de Benazra nous ferait croire fort peu puisque dès le début des années 1590 - on pense à l’édition de Cahors, chez Jacques Rousseau, on trouve les deux volets sans parler des éditions Benoist Rigaud, Héritiers Rigaud et Pierre Rigaud au cours de cette même décennie. Nous avons montré dans de précédentes études que le second volet avait probablement été ajouté beaucoup plus tard, ce qui est notamment révélé par le fait que la typographie diffère toujours nettement d’un volet à l’autre et cela vaut tout aussi bien pour les éditions datées de 1568 et portant indication de Benoist Rigaud comme libraire et de 1568 comme date de parution. D’ailleurs, le seul fait qu’en 1590 fut publié à Anvers une édition à 7 centuries et, cette même année, à Cahors une édition à dix centuries devrait suffire à rendre perplexe.

   Au demeurant, le résultat le plus flagrant d’une position unitaire, c’est de nuire à l’intelligibilité du canon nostradamique et de mettre les incohérences non pas sur la disparité des étapes de la composition mais sur le caractère délibérément abscons de l’oeuvre.

   Une autre méthode pour défendre l’indivisibilité du corpus nostradamique consiste à s’appuyer sur l'exégèse qui en est faite. En effet, si on fait de la bonne ouvrage en se servant indifféremment de quatrains issus de toutes les Centuries sans distinction, n’est-ce pas la preuve que le dit corpus est d’une qualité égale du premier quatrain de la première centurie au dernier quatrains de la dernière centurie ?

   En ce qui concerne l’astrologie2, les pièges s'avèrent du même ordre à cette différence près que le clivage entre les textes n’est pas politique ou historique mais astronomique et sociologique : certaines bonnes âmes ont essayé et essaient encore de démontrer que l’astrologie telle qu’elle est devenue est telle qu’elle devait, avait à être et ils le démontrent en montrant à quel point chaque facteur contribué à l’efficace de l’ensemble, basculant ainsi dans l’apologétique. On cherche des raisons à chaque chose comme le faisait déjà au XIIe siècle un Abraham Ibn Ezra, dans son Liber Rationum.3 Or, selon nous, un tel travail de mise en évidence de cohérence globale témoigne d’une politique de l’autruche qui ne veut voir que ce qui l’arrange et là encore le fait que l’astrologue fasse un usage qui le satisfasse et satisfasse sa clientèle ne suffit-il pas à valider le savoir dont il se sert et ce dans sa globalité ? Plus l’astrologue combine les diverses branches de l’astrologie, plus il apporte la preuve, croit-il, qu’il n’existe qu’un seul et même arbre.

   Le principal clivage au coeur du corpus astrologique concerne le fait que d’une part, l’on a affaire à une approche fondée sur la rotation de la Terre en 24h - la rotation sur eux-mêmes d’autre planètes du système solaire est beaucoup plus longue - qui fait se lever et se coucher les astres, à égalité, au cours de ce laps de temps et d’autre part une approche qui tient compte de la révolution spécifique des dits astres. La combinaison de ces deux systèmes a donné naissance au thème de naissance tel qu’on le connaît encore de nos jours et d’aucuns ne se sont pas privé de montrer l’excellence d’un tel résultat syncrétique.

   Pour notre part, nous avons été à une époque tenté par ces recherches de cohérence mais celles-ci se trouvent parfois avoir mis de côté certains facteurs gênants sur lesquels on préférait ne pas insister et que l’on passait sous silence. Tel est l’être humain qu’il ne retient que ce qui l’arrange et minimise ce qui l’embarrasse. On peut toujours s’arrêter à ce qui est cohérent sans pour autant avoir résolu le problème de ce qui ne l’était pas, c’est ainsi que dans les travaux que nous avons publié dans les années 1976-1983, et notamment dans les Mathématiques Divinatoires (Préface de Jean-Charles Pichon, Paris, Ed. Trédaniel, 1983) nous n’avions pas souligné l’anomalie de la position des luminaires par rapport aux axes équinoxial et solsticial, ni le décalage précessionnel de l’exaltation du soleil, ce que nous n’avons signalé que vingt ans plus tard.4

   Les études nostradamiques ne sont finalement pas aussi intéressantes que les études astrologiques car elles ne peuvent que déboucher sur un cul de sac : entendons qu’on ne peut pas reconstituer le premier état des quatrains comme on peut, selon nous, parvenir à le faire pour déterminer les premiers stades du savoir astrologique.

   L’astrologie dispose d’atouts précieux : on peut déterminer les positions planétaires anciennes mais aussi comparer, classer les événements de façon à faire apparaître des corrélations, des répétions de mêmes configurations lorsque tel type d'événement tend à se multiplier sur une période relativement courte, ce qui implique une approche statistique. Rien de tel avec le corpus nostradamique : on doit se contenter de dater des éditions dès lors que celles-ci décrivent des événements précis mais cela ne nous permet que de soutenir que telle édition est forcément postérieure aux dits événements et encore à condition de ne pas supposer que les quatrains aient une valeur prédictive : une telle hypothèse, d’ailleurs, hypothéquerait la recherche en ce domaine.

   Remonter aux origines de l’astrologie n’est, à vrai dire, pas du même ordre que de reconstituer le point de départ des Centuries. Dans le second cas, on se situe au milieu du XVIe siècle, dans l’autre il faut remonter à la nuit des temps. Et cependant, il nous semble que la recherche astrologique pose moins problème que la recherche nostradamologique. Cela tient au fait qu’avec l’astrologie, nous nous situons dans le domaine de l’anthropologie et qu’avec les Centuries, nous sommes cantonnés dans le domaine de l’Histoire et que l’Histoire cela ne s’invente pas.

   Pour nous, en effet, l’anthropologie de l’astrologie nous paraît bien plus intéressante que l’Histoire de l’astrologie. Nous entendons par là qu’avec l’astrologie, nous avons des invariants, des cycles qui ramènent toujours un même type de situation, à des millénaires de distance tant et si bien qu’en étudiant le phénomène aujourd’hui, nous devons parvenir à déterminer ce qu’il était bien des siècles plus tôt. En décortiquant le corpus astrologique, on parvient à des modules relativement simples et ayant une certaine logique.

   En revanche, pour l’historien du nostradamisme, il n’y a pas de point d’appui car si avec l’astrologie, nous sommes dans le domaine de l’Inconscient, avec Nostradamus nous sommes dans celui du Conscient et si dans le premier cas, l’humanité est soumise à des lois qu’elle ne contrôle plus et qu’elle ne peut plus corriger, dans le second, on est dans un champ de bien plus grande liberté et donc assez imprévisible, avec des revirements, des ratés. Souvent, l’on confond les marges de manoeuvre dans l’un et l’autre cas. C’est dire que l’ordre astrologique est beaucoup plus rigide - astronomiquement, statistiquement - que l’ordre nostradamique donc plus facile à cerner.

   Précisons qu’il est plus facile de dégager le noyau de l’astrologie première, primordiale que de le faire pour dégager le noyau du centurisme originel, ce qui ne peut se faire qu’en creux, tant en fait il est assez inconsistant, évanescent. Le problème du nostradamisme, c’est qu’il n’y est question que de mots et que l’ensemble des mots n’est pas la même chose que l’ensemble des astres, même si d’aucuns parlent du langage des astres.

   Pourtant, certaines apparences semblent devoir rapprocher nos deux domaines, c’est que tous deux empruntent à ce qui n’est pas eux, s’appuient sur des éléments extérieurs, sont voués aux interférences. En fait, quand un système est incohérent, s’il donne des résultats, cela tient à des interférences positives qui viennent sauver le dit système tout aussi bien que l’inverse, à savoir un bon système donnant de mauvais résultats en raison d’interférences négatives.

   Nous avons souligné ailleurs que l’astrologie s’était “prophétisé”, c’est-à-dire avait pris modèle sur le prophétisme en prétendant pouvoir expliquer sinon annoncer des événements bien précis, bien datés et uniques en leurs particularités. Nous avons montré que le nostradamisme était presque uniquement post eventum puisque soit il prétendait s’appuyer des textes biens antérieurs aux événements, soit il présentait certains événements dans des éditions antidatées. L’astrologie trouva là un dangereux rival, ce qui la poussa aux surenchères tout comme elle fit aussi de la surenchère face à certaines formes de divination. Ces surenchères tant face au prophétisme et à la divination entraînèrent l’astrologie à se complexifier considérablement de façon à pouvoir décrire par le menu des situations inconnues de l’astrologue, tant dans le passé que dans l’avenir. Dès lors, l’astrologue s’imagine que le but à atteindre, c’est de décrire les choses comme si elles étaient déjà arrivées, bref de basculer du virtuel, du potentiel, vers le réel, vers l’accompli. Il nous revient de dénoncer une telle dérive, une telle aliénation.

   Nous pensons que l’Histoire de l’astrologie depuis le Moyen Age doit avoir pour objet de mettre en évidence les amalgames, les interférences et les dérives alors que bien des spécialistes du sujet, notamment outre Manche, considèrent l’astrologie comme un outil validé par la pratique tout comme elle le serait selon eux, de nos jours tant et si bien qu’ils soutiennent que le métier d’astrologue n’a pas changé et que pratiquer celui-ci aujourd’hui est le seul moyen de connaître ce qu’il fut jadis. Nous sommes là dans une approche que l’on pourrait également qualifier d’anthropologique. On peut certes admettre que les astrologues actuels se comportent d’une façon assez semblable à celle de leur prédécesseur mais en quoi, précisément, cela consiste-t-il ? That is the question !

   Pour beaucoup, nos astrologues d’hier comme d’aujourd’hui appliquent des règles, font des calculs et “ça marche” parce que ces règles et ces calculs sont justes. Dans la tête de l’astrologue, tout est parfaitement serein : il fait son travail comme le ferait quelque honnête ébéniste, dans les règles et puis c’est tout. Or, selon nous, ce n’est pas du tout ce qui se passe dans la tête de notre astrologue qu’il ne faudrait peut-être pas prendre pour un imbécile et un naïf ou plutôt dont le cerveau, au niveau subconscient, ne laisse pas passer n’importe quoi et qui est ici mis à dure épreuve. Car, selon nous, l’incohérence a un coût, notre cerveau étant justement programmé pour la détecter et la dénoncer. En passant outre, on enfreint une loi fondamentale du psychisme humain. Donc ne pas s’intéresser à la mauvaise conscience de l’astrologue nous apparaît comme une grave carence méthodologique. C’est d’ailleurs pourquoi nombreux sont les astrologues qui ont pris de la distance par rapport à certaines pratiques et à certaines prétentions du passé. Un historien de l’astrologie doit être conscient qu’il étudie un savoir problématique, contestable et contesté, il ne peut faire comme si de rien n’était ! L’historien de l’astrologie ne saurait faire abstraction du fait que le savoir tel qu’il se présente est farci, truffé de notions disparates, il doit en faire l’inventaire de façon à observer comment, malgré cela et non pas grâce à cela, l’astrologue opère et bien entendu déterminer de quelle façon les choses se passent réellement par delà la façade cognitive. Dans le champ nostradamique, l’historien n’a pas non plus à se laisser manipuler par divers procédés d’antidatage notamment, il se doit d’en faire le constat et d’analyser la façon dont ces procédés servent une certaine finalité, avec un certain succès, sans bien entendu mettre ce succès sur la qualité intrinsèque des quatrains. Dans les deux cas, en effet, la qualité intrinsèque n’est pas fonction du résultat obtenu et comme dans n’importe quel domaine, l’historien se doit de déterminer les véritables causes d’un phénomène, faute de quoi il se met épistémologiquement en porte à faux par rapport au statut qu’il revendique.

   Si l’historien du nostradamisme est confronté inévitablement à la question de la contrefaçon des textes et doit se mettre en quelque sorte dans la peau des faussaires pour saisir le modus operandi du phénomène centurique et notamment les procédés des commentateurs qui, eux aussi, piochent, de façon fort cavalière et sans trop de scrupules ni d’états d’âme, dans le vivier des quatrains, pour choisir un quatrain qui fera à peu près l’affaire, est-ce qu’il en est de même de l’historien de l’astrologie ? Selon notre expérience, la littérature astrologique est moins sujette aux retouches que la littérature prophétique, dès lors du moins qu’elle ne prétend pas marcher sur les plates bandes du prophétisme. Sa marge de manoeuvre est apparemment plus faible étant donné que le substrat astronomique existe objectivement et sert de témoin extérieur : on peut difficilement manipuler les données célestes. Toutefois, les dites données célestes peuvent être traitées de tant de façons et permettre tant de lectures et de relectures, qu’un astrologue peut aisément réajuster son propos ou celui d’un collègue sans pour autant s’éloigner des coordonnées astrales ni des méthodes d’interprétation en vigueur. En fait, l’astrologie s’autorise une telle liberté d’action, de par la profusion des matériaux utilisés, tant au niveau du savoir astronomique que proprement astrologique, sans parler du recours à des informations non astrologiques qui seront intégrées le moment venu, qu’elle n’a vraiment pas besoin de tricher.

   On a en tout état de cause affaire, dans un cas comme dans l’autre, à des gens qui ne sont pas trop pointilleux et dont l’honnêteté intellectuelle est médiocre, voire frelatée si bien que l’on pourrait parler d’une culture des bas -fonds. Cela vaut, certes, pour les praticiens de tout acabit mais cela peut aussi concerner les historiens concernés - quand ce ne sont pas les mêmes - dès lors qu’ils ne se font pas l’écho de certaines malversations, se rendant ainsi complices de certaines pratiques.

   Les historiens de l’astrologie recourent volontiers à l’anthropologie mais ils n’en font pas le même usage : le courant anglo-saxon part de l’astrologie actuelle, telle qu’elle se pratique, pour remonter vers les origines alors que notre démarche ne se fonde pas sur la pratique de l’astrologie actuelle mais sur les faits astrologiques, au sens où l’entendait un Michel Gauquelin, à partir de résultats statistiques. Ce que le courant anglo-saxon n’a pas compris - et nous pensons à Nicholas Campion et à Patrick Curry ou encore à Geoffrey Cornelius - c’est que l’astrologie de l’astrologue n’a pas grand chose à voir avec l’astrologie des origines, ni dans ses méthodes, ni dans ses fondements. Cette astrologie du troisième type comme nous l’avons qualifié dans nos dernières études sur Encyclopaedia Hermetica, ne fonctionne que dans le cadre de certains réseaux et de certains adeptes, elle est subjective. Elle n’a à peu près rien à voir avec les deux autres astrologies, celle s’articulant sur le lever de tous les astres au cours d’une journée - mise en évidence par Gauquelin - et celle centrée sur les cycles planétaires et notamment sur les aspects d’une planète donnée avec un repère céleste fixe et qui sont des astrologies objectives, c’est-à-dire dont l’impact ne passe par l’astrologue ni par une quelconque croyance ou connaissance consciente de l’astrologie. Rappelons que pour le chercheur australien Geoffrey Dean, certains résultats de Gauquelin s’expliqueraient par le fait qu’un certain pourcentage de la population est familière de l’astrologie et choisirait une certaine heure pour faire naître ses enfants. Et il est vrai que la question du caractère conscient ou inconscient du savoir astrologique de chacun est cruciale.

   Les historiens-astrologues anglo-saxons partiraient donc d’un postulat selon lequel la praxis astrologique actuelle, celle qui est en fait la leur en tant que praticiens ou ex praticiens - ce dont ils ne manquent pas de se flatter d’ailleurs - est celle de l’astrologie éternelle. Mais ce faisant, ils font totalement abstraction du phénomène d’interférence qui fait que le résultat obtenu ne doit rien à l’astrologie en soi, ce qui conduirait à conclure que l’astrologie n’existe pas réellement, position qui somme toute doit arranger les anti-astrologues. Or, pour nous, il existe bel et bien une astrologie en soi, ce qui ne signifie pas d’ailleurs qu’elle ne soit pas générée, à l’origine, par les hommes, non pas au niveau ontogénétique mais au niveau phylogénétique, à savoir dans un passé très éloigné.

   Cela dit, pour en revenir à la critique des travaux historiques relatifs à l’astrologie depuis 2000 ans, nous pensons qu’il faut s’arrêter sur la façon dont les auteurs de traités s’évertuent à masquer les redondances, les doubles emplois et dont les praticiens renseignent un modèle inconsistant d’informations qu’ils obtiennent par des moyens qui n’ont rien à voir avec l’astrologie mais qu’ils peuvent reformuler au travers de l’astrologie, ce n’est pas tant ici l’astrologie qui s’applique au monde mais le monde qui déteint sur l’astrologie et qui lui sauve la mise.

   Le véritable devin ne cherche pas à asseoir sa pratique sur un savoir qu’il se contenterait de mettre en oeuvre, à moins de le présenter comme un simple support. C’est précisément quand ce support est présenté comme un savoir en soi; comme un mode d’information et non point comme un simple mode de communication, que l’on bascule vers une forme d’abus. Cela dit, on sait que pour certains clients, il importe qu’ils puissent se persuader que le praticien dispose d’un savoir qu’il suffit d’acquérir et qui n’est pas inné - comme le serait un pouvoir- et c’est d’ailleurs pour cela qu’il s’adresse à un astrologue et non pas à un voyant. Le principal problème se situe probablement davantage au niveau de l’enseignement de l’astrologie qui est le lieu par excellence d’un certain charlatanisme, bien plus encore que la consultation qui a toujours des circonstances atténuantes surtout quand elle reste très ponctuelle. Quand le dit enseignement, en effet, propose aux élèves la transmission d’un savoir par le moyen duquel on pourra devenir devin et prophète - même si cela n’est pas dit ainsi - il y a abus si l’on ne précise pas immédiatement aux élèves que ce savoir n'opère pas par lui-même, de par son contenu propre dont il s’agit de montrer le caractère disparate et ambigu, ce qui signifie qu’il ne sert à rien de passer des mois voire des années à apprendre le dit savoir et qu’il suffit d’être capable de lire dans le thème ce qu’on veut y lire, à partir de ce que l’astrologue apprend de son client, de ce qu’il est et de ce qu’il veut faire de sa vie. L’astrologue est comme un portraitiste capable avec ses pinceaux de représenter la personne qui se présente à lui, c’est-à-dire de traduire dans son jargon pittoresque une certaine impression qu’il a de l’autre, de son passé et de son devenir. Un astrologue, en ce sens, sera beaucoup moins inspiré face à un étranger que face à un concitoyen, face à quelqu’un de sa culture que face à quelqu’un d’une autre culture. De nos jours, avec la peinture abstraite, le peintre peut aussi réaliser un portrait sans avoir vu son modèle en laissant à celui-ci le soin de se retrouver dans le tableau qu’il lui soumet. Ces deux cas de figure existent en astrologie: dans le premier cas, on a la consultation en vis à vis ou à la rigueur au téléphone et dans le second cas on a le texte fait par ordinateur ou rédigé dans quelque magazine ou manuel et qui doit être suffisamment général pour que chacun puisse s’y retrouver, dès lors qu’il ne se demande pas si les autres textes concernant d’autres catégories ne lui parleraient pas tout autant. Les expériences de Michel Gauquelin5 au lendemain de l’apparition d’Astroflash, à partir du thème de l’assassin Petiot, sont à ce propos édifiantes.

   Ce ne serait donc pas faire justice aux praticiens voire aux historiens de l’astrologie et du prophétisme que d’en faire de simples exécutants ou de simples machines. Le scandale d’Astroflash, c’est de laisser croire que l’astrologie est exclusivement fonction d’un certain savoir qu’il s’agit simplement de bien appliquer. En réalité, avec cette population, nous sommes en présence de gens qui n’ont pas la conscience tranquille et qui sont plus ou moins minés par une sorte de crime contre l’intelligence lequel finit par les ronger.

   Il nous semble donc qu’il faudrait inscrire l’astrologie et le prophétisme dans le champ plus vaste non pas tant de l’ésotérisme - lequel d’ailleurs est largement concerné - que celui des supercheries intellectuelles, des plagiats, des mimétismes, des corruptions, des erreurs et cela est d’autant plus patent, comme le notait André Breton avec sa fameuse formule sur cette grand dame remplacée par une prostituée qu’il existe par ailleurs une véritable astrologie - une “grande dame” préoccupée de l’intérêt public plus que de la litière de son chat- laquelle appartient de plein droit, quant à elle, à l’anthropologie et à la science historique et qui n’a rien à voir, pour sa part, avec le prophétisme ou la divination pour lesquelles, en effet, l’astrologie s’est, il y a bien longtemps et déjà du temps du Tétrabible, prostitué tant et si bien que l’histoire de l’astrologie ne parle plus que de tels avatars.

   On conclura sur les formules suivantes :

         - il n’existe pas de savoir qui permette de connaître l’avenir et surtout de fixer la date d’un événement avec la précision que l’on peut obtenir après coup donc il n’y a aucune raison de prétendre fixer cette date même rétroactivement au moyen du dit savoir.

         - quand un savoir incohérent donne des résultats, cela ne tient pas aux mérites du dit savoir mais à des interférences et apports extérieurs dont il bénéficie.

         - il faut distinguer le phénomène qui est ce que l’on prétend étudier, le savoir qui comporte les méthodes que l’on affirme utiliser et le travail qui correspond aux pratiques auxquelles on recourt pour obtenir un certain résultat. On voit que le savoir peut ne coïncider ni avec le phénomène en soi ni avec le travail réellement engagé. Pour certains, phénomène, savoir et travail ne font qu’un.

         - quand deux systèmes qui fonctionnent6 se mélangent, le plus souvent ils ne fonctionnent plus qu’au moyen d’expédients et il est vain de chercher à démontrer qu’ils ne font qu’un.

         - restituer à un système sa cohérence c’est lui permettre de fonctionner de par sa propre dynamique et non pas du fait de facteurs externes. Le problème, c’est que les exigences de cohérence varient considérablement d’un individu à l’autre et d’un groupe à l’autre.

         - l’être humain est conscient des incohérences et il en souffre tout particulièrement quand il se croit obligé de nier les dites incohérences. La pratique de l’astrologie n’est pas celle de l’artisan qui effectue son travail selon les règles de l’art, elle est celle de celui qui à chaque instant craint de se voir dénoncer comme faux-monnayeur, comme imposteur. Nier ce sentiment de culpabilité, de tromperie, chez l'interprète des quatrains ou chez celui qui enseigne les rudiments de l’astrologie, c’est passer à côté de leurs véritables enjeux existentiels et humains et mettre sur le même plan des traitements cognitifs très différents.

Jacques Halbronn
Paris, le 20 septembre 2004

Notes

1 Cf. ses études sur Espace Nostradamus. Retour

2 Cf. nos études sur Encyclopaedia Hermetica en ligne, rubrique Astrologica. Retour

3 Cf. notre édition, Le Livre des Fondements, Paris, Retz, 1977, Préface de Georges Vajda, ouvrage présentement disponible sur Internet. Retour

4 Cf. “Les effets du précessionalisme sur la tradition astrologique ancienne et moderne”, Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

5 Cf. Songes et mensonges de l’astrologie, Paris, Hachette, 1969. Retour

6 Cf. le distinguo entre l’approche rotationnelle et l’approche révolutionnelle du ciel. Retour



 

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