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ANALYSE

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Nostradamisme et astrologisme devant la critique

par Jacques Halbronn

    Les savoirs sont comme les Etats, ils sont susceptibles d’être victimes de la folie des grandeurs et de s’étendre bien au delà de leurs limites naturelles, au risque de perdre leur identité en se nourrissant de tous les apports qu’ils glanent à gauche et à droite.

   C’est ainsi que nous nommerons astrologisme1 la doctrine consistant à considérer comme un savoir d’un seul tenant, d’une seule et même origine, ce que l’on place généralement sous le terme d’Astrologie, au singulier. Pour la critique, un tel corpus semble au contraire bien disparate et hybride, tout en reconnaissant que toutes ses composantes ont été marquées peu ou prou par des diverses références astrologiques. Il faut en effet comprendre que tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l’astrologie, soit par mimétisme envers l’astrologie, soit par le biais d’applications astrologiques à divers domaines, est voué tôt ou tard à s’agréger à une seule et même Tradition. L’astrologisme consiste à tenter de consolider, à harmoniser un tel ensemble notamment par le biais d’interprétations, de commentaires, de rapprochements de toutes sortes. A force de profiter d’un certain nombre de synergies, l’astrologie donne l’illusion d’exister par elle-même alors qu’elle profite et exploite d’autres savoirs ainsi mis à son service (psychologie, divination, Histoire, science politique, symbolisme, astronomie, etc). Or, si l’on devait évacuer les dits savoirs vaguement astrologisés, il ne resterait plus, dans l’état actuel des choses, quoi que ce soit de bien consistant qui pourrait constituer un noyau dur. C’est plus ici la périphérie qui alimente le centre que l’inverse. Le plus grave, c’est probablement que l’astrologisme est contraint d’adopter un nombre inconsidéré d’hypothèses pour gérer derrière une façade unitaire - Astrologie avec un grand A et sans “s” à la fin - un ensemble aussi vaste et aussi disparate - et qui part dans tous les sens, c’est le cas de le dire - qui fragilisent ses positions.2

   Qu’en est-il en ce qui concerne le nostradamisme ? Nous avons déjà dénoncé l’abus de références expresses à Michel Nostradamus et, comme pour l’astrologisme, la multiplication, l’inflation, des hypothèses nécessaires pour notamment tout attribuer au seul Michel de Nostredame.3 Précisons que le nostradamisme est susceptible d’affecter le travail de l’historien qui cherche à retracer la genèse du corpus et pas seulement ceux qui se préoccupent de savoir si Nostradamus était ou non prophète et autres questions dans ce style.

   Comme pour l’astrologie, nous pensons qu’il faut précisément éliminer un maximum d’hypothèses dès lors que le phénomène étudié ne s’en maintient pas moins : il ne s’agit évidemment pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, comme disait Kepler, qui s’essaya à la réforme et à la refonte de l’astrologie, autour de 1600. Mais cette eau est bien sale !

   On conviendra donc que l’hypothèse selon laquelle Michel de Nostredame serait l’auteur à part entière des Centuries ne remet pas en question leur existence par ailleurs largement et suffisamment attestée.

   On conviendra que cette hypothèse n’est pas indispensable pour conférer aux quatrains centuriques voire aux épîtres une valeur prophétique, puisque de toute façon, ce corpus a généré les commentaires et les interprétations que l’on sait tout au long des siècles et jusqu’à nos jours. On peut donc faire l’économie de telles hypothèses.

   On n’est pas obligé de supposer que les quatrains qui décrivent des événements antérieurs à la date officielle de publication ont valeur pour le futur et pourquoi dès lors faudrait-il les réutiliser au lieu de se concentrer sur ceux qui n’étaient pas encore confirmés à ce moment là ?

L’hypothèse de Nostraadamus historien

   Faut-il voir, dans ce cas, dans les quatrains un travail d’historien et quel en aurait été la raison d’être ? Que leur rédaction ait exigé de recourir à des chroniques anciennes est une chose, que l’on ait voulu présenter le résultat comme tel en est une autre. Il en est de même pour la prophétie des papes de Saint Malachie. Elle a certainement été fabriquée à l’aide d’Histoires de la papauté mais il n’était pas question de la présenter comme telle. On ne saurait confondre le travail des faussaires avec la nature affichée du produit ainsi obtenu ! Il semble bien que les Centuries, sous leur forme initiale - et qui ne recouvre pas obligatoirement tout ce qui paraîtra par la suite sous ce nom, d’ailleurs purement technique qui ne préjuge pas du titre exact d’origine - se soient présenté comme un très vieux recueil de prophéties, dont certaines datant de plusieurs siècles. C’est l’hypothèse la plus simple et qui ne fait que constater la référence à des événements antérieurs au temps de Nostradamus ou datant de sa toute jeunesse, comme l’avènement de François Ier en 1515, alors que le dit Nostradamus n’avait qu’une douzaine d’années ! Quand quelqu’un vous parle explicitement du passé, il ne prétend pas avoir prophétisé mais il peut prétendre se faire l’écho de ceux qui l’ont fait ou auraient pu le faire. En revanche, le commentateur du texte en question se devra d’être historien pour décoder les quatrains concernant le passé en question tout comme le commentateur de la prophétie pseudo-malachienne se devra de compulser ou de prétendre avoir compulsé des ouvrages d’histoire pour valider la dite prophétie, à la date du dit commentaire. Si, évidemment, le commentateur est aussi l’auteur du texte, il se sera servi des mêmes documents pour rédiger le dit texte et pour l’expliquer.

   Même si Nostradamus était l’auteur, en quelque façon, des Centuries, il n’aura certainement pas prétendu avoir prophétisé tout ce à quoi les quatrains renvoient puisque cela impliquerait qu’il ait été âgé de plusieurs siècles comme Cagliostro ou le Comte de Saint Germain ! Dire que Nostradamus est l’auteur des Centuries est une chose, affirmer que celles-ci parlent toutes du futur par rapport à leur date de publication en est certainement une autre. Mais il est vrai que si Nostradamus n’est que l’éditeur ou que le versificateur de documents déjà existants ou qui auraient pu exister n’en fait pas en effet un prophète à part entière mais plutôt un commentateur de prophéties ou de pseudo-prophéties à l’instar de ceux qui lui succédèrent dans ce rôle. Exit donc l’hypothèse d’un Nostradamus parlant exclusivement de l’avenir et prétendant être l’auteur, cette fois sur le fond et non pas seulement dans la forme, de tous les quatrains figurant dans les dites Centuries. Il ne nous semble donc pas possible de supposer que c’est dans cet esprit que les Centuries soient d’abord parues mais bien plutôt comme une collection, un recueil des prophéties les plus diverses dont certaines concernaient le passé, ce qui permettait de vérifier leur bien fondé, pour autant qu’on accepte leur ancienneté et d’autres l’avenir à la date de parution.

   Mais quelle est cette date de parution si on ne veut prendre en compte que la toute première mouture imprimée, ce qui pose aussi, ipso facto, le problème de son contenu ? Le problème, c’est que certains quatrains concernent l’avenir, dans un sens nécessairement relatif à une certaine date affichée. De deux choses l’une, ou bien l’événement en question a bien été prophétisé - mais peut-être ne l’a-t-il pas été et ce n’est qu’une affaire d’interprétation - ou bien la prophétie est post eventum et dans ce cas l’édition comportant la dite prophétie a du paraître après le dit événement. Or, l’hypothèse selon laquelle l’événement, dans toute sa spécificité, a bien été annoncé est assez lourde. Est-elle vraiment nécessaire au maintien et au respect du phénomène centurique ? Rappelons que de telles observations ne sauraient valoir que pour une période relativement courte, à savoir sur une centaine d’années au grand maximum après la date de 1555, qui est généralement donnée comme celle de première parution de - et non pas des - centuries. Il est évident que pour des événements survenus dans la seconde partie du XVIIe siècle et au delà, une telle possibilité “post eventum” ne saurait être envisagée, en raison du nombre d’éditions des Centuries qui sont attestées. En revanche, avant les années 1630 voire 1640, le doute reste raisonnablement permis, étant donné qu’il n’est nullement certain que nous disposions de versions de ce qu’on appelle le second volet (centuries VIII-X) antérieures à cette période, ce qui fait l’objet d’un débat entre bibliographes, si l’on veut bien nous compter comme tel.

   Ainsi, par économie, pour ne pas avoir à utiliser le joker du don prophétique, ce qui est une hypothèse lourde, nous préférons expliquer certaines prétendues anticipations par une rédaction contemporaine des événements auxquels il serait fait écho, si tant est que ce soit le cas, dans certains quatrains. L’autre position consisterait carrément à nier qu’aucun quatrain ne concerne ou en tout cas ne recoupe des événements postérieurs à 1555 ou à quelque autre date proche de celle-ci, position qui fut celle du regretté Pierre Brind’amour mais dans ce cas, la ressemblance entre certains versets et certains événements ou certains personnages que cela impliquerait de la mettre sur le compte du hasard, ce qui nous ramène à une autre hypothèse lourde !

   On nous objectera que précisément après 1630, on peut encore effectuer des rapprochements, comme on ne s’en priva point dans le cas de l’exécution du roi d’Angleterre Charles Ier en l’an 1649 ou à la fin du siècle suivant pour la “fuite de Varennes” (1791). Si le premier cas peut correspondre à un événement antérieur - ce qui ne signifie pas que nous acceptions la thèse de la répétition, par ailleurs si importante en astrologie mais le caractère astrologique des Centuries nous paraît assez secondaire - dans le second cas, on sait que ce nom correspond à plusieurs villes de France (ce que l’on se garde de préciser dans le film de Dominique Guillen, Nostradamus l’avait bien dit (1991), BNF, département audiovisuel) et que, comme l’a montré Chantal Liaroutzos, le quatrain en question est purement et simplement constitué de noms de lieux mis à la suite des uns des autres et c’est loin d’être le seul quatrain dans ce cas. A force de truffer les quatrains de termes de ce type, on risque fort un jour à l’autre de tomber juste, sans que cela prouve quoi que ce soit, n’en déplaise à certains.

   Mais pourquoi Nostradamus aurait-il recouru à un procédé aussi grossier ? Or, justement, de tels procédés ne sont-ils pas indignes de notre auteur ? Est-ce de propos délibéré que tant de quatrains ont été composés selon une telle recette ? Est-ce parce que la probabilité d’un recoupement était ainsi prévisble ? Ou bien est-ce pour recourir à un style prophétisant à peu de frais ? Alors se pose le problème de l’imitation des Centuries, du genre nostradamique tout comme celui de rédactions successives voire d’inspirations relevant de camps politiques ou/et religieux différents. Autant d’éléments qui rendent bien difficile l’attribution d’un tel corpus à un seul auteur, à une seule époque, ce qui constitue à nouveau une hypothèse lourde, impliquant chez un seul et même auteur bien des contradictions de forme et de fond. Il nous semble plus économique de supposer que nous sommes bel et bien en présence d’un ensemble composite - comme l’est au demeurant l’Ancien Testament aux dires de la critique biblique - constitué de pièces que l’on aura rassemblées ultérieurement en raison de certaines similitudes d’ailleurs délibérées puisque se référant à Nostradamus ?4 Il semble assez évident que l’on ait parfois du mal à distinguer l’original et son imitation.

   Mais d’autres questions nous attendent ? Comment se fait-il que les premières éditions supposées parues dans les années qui suivirent la mort de Michel de Nostredame ne fassent pas référence à celle-ci et en outre ne comortent aucun élément biographique ni aucun commentaire rétrospectif des quatrains mettant en évidence certains recoupements et appliquant un certain mode d’emploi des quatrains ? Comment expliquer une telle bizarrerie quand d’une part on sait que cette pratique se répandra dans le dernier tiers du XVIIe siècle d’insérer une vie de Nostradamus et un commentaire et quand d’autre part, on dispose de certains textes nostradamiques mais non centuriques de la fin des années 1560 qui mentionnent explicitement la mort de Nostradamus et le fait que certains documents ont été retrouvés dans sa bibliothèque ? On pense notamment à cette édition à deux volets totalisant dix centuries, datée de 1568, donc deux ans seulement après la mort en question, supposée parue à cette date par les soins du libraire lyonnais Benoist Rigaud et qui ne comporte strictement aucun caractère posthume ; comment une édition dédiée à Henri II ne le signale-t-elle point sur sa couverture, quand bien même le souverain serait-il mort depuis près de dix ans, alors que sa veuve est toujours bien en vie ? L’hypothèse la plus économique, c’est que cette édition est nettement plus tardive et qu’elle a été antidatée assez maladroitement et anachroniquement car des décennies après la mort d’un auteur, il ne fait plus trop de sens de signaler sa mort. L’hypothèse inverse consiste à s’en tenir à la date indiquée, de ne pas en démordre en supposant que les libraires ne s’amusent pas à mettre des fausses dates et à fabriquer de (vrais) faux anciens, ce qui suppose que ce cas de figure n’a jamais existé et qu’il n’y a jamais eu de contrefaçons, ce qui va à l’encontre de ce que l’on sait de l’Histoire des Textes.

   Comment expliquer que des éditions parues sous la Ligue, notamment à Paris, dans les années 1588-1589, semblent plus anciennes, dans leur présentation, dans leur agencement, que des éditions datées de 1557 ? Il y a certes de bonne raisons de penser que certaines éditions sont en retrait par rapport à d’autres plus anciennes - ainsi il semble bien que l’on soit passé au cours des années 1580 d’une édition à dix centuries à des éditions ne comportant plus les Centuries VIII à X. Mais si l’on en reste au “premier volet”, réputé être le plus stable, les différences restent frappantes : la centurie VII des éditions parisiennes n’a vraiment rien à voir avec la centurie VII des éditions lyonnaises d’Antoine du Rosne. Il faut attendre l’édition d’Anvers 1590 pour que les deux centuries puissent se superposer et encore uniquement jusqu’au quatrain 35, puisque la dite édition d’Anvers de François de Saint Jaure ne va pas au delà. Alors qu’a-t-il bien pu se passer à trente ans d’intervalle si l’on défend la thèse que les éditions datées de 1557 sont bien de cette année là et non pas sensiblement plus tardives voire postérieures aux dites éditions de 1588-1590 ?

   Une comparaison entre la structure de la centurie IV se révèle tout à fait édifiante :

   En 1589, la centurie IV est coupée en deux et il est indiqué après le 53e quatrain qu’une addition a été opérée.

   En 1590, cette mention disparaît et la centurie IV se présentera désormais comme étant d’un seul tenant.

   Or, les éditions Antoine du Rosne datées de 1557 comportent, sur ce plan, les mêmes caractéristiques que celle d’Anvers. Il nous semble donc extrêmement difficile de supposer que les dites éditions sont antérieures à 1589, sauf à soutenir une thèse selon laquelle l’édition de 1590 aurait pris modèle sur celles de 1557, que l’on aurait retrouvées entre temps, à ce détail près que l’édition de 1590, on l’a dit, ne comporte que 35 quatrains à la VIIe centurie au lieu de 40 et 42 pour les dites éditions Antoine du Rosne.

   Nous ne sommes pas parvenus au bout de nos peines. On a le cas Crespin à considérer avec des centuries qui ne sont pas présentes dans sa compilation de 1572. Absence de quatrains se retrouvant dans les centuries V, VI et VII..Que Crespin soit l’auteur de ces textes ou qu’il les ait empruntés à une édition des Centuries, force est de constater qu’aucun recoupement ne désigne le moindre quatrain appartenant aux dites Centuries. On peut dès lors soit supposer que ces centuries V-VII n’étaient pas encore parues - Centuries que l’on retrouve dans les dites Editions Antoine du Rosne 1557 - soit en tout cas qu’elles n’étaient pas encore attestées en 1572. Sinon, on peut construire des hypothèses selon lesquelles certaines éditions auraient été provisoirement égarées, à savoir l’édition 1557 et le premier volet de l’édition 1568, et que l’on n’aurait plus disposé en 1572 que de l’édition Macé Bonhomme à 353 quatrains, datée de 1555, et du second volet de l’édition Benoist Rigaud 1568. Rappelons que nous avons dit plus haut que ces éditions datées de 1555 et 1557 comportaient des quatrains se référant, selon toute probabilité, à des événements postérieurs aux dites années.

   Si l’on élimine toute une série d’hypothèses inutiles, c’est-à-dire non vitales pour notre sujet, nous pouvons conclure que nous ne disposons pas d’éditions datant du vivant de Michel de Nostredame (1555-1557) ni même du lendemain de sa mort (1566-1568). Ont-elles jamais existé d’ailleurs ? Nous ne le pensons pas : il nous semble bien plutôt que les premières éditions daterait d’après 1572, terminus a quo s’articulant sur les Prophéties dédiées à la Puissance Divine de Crespin, successeur autoproclamé de Michel Nostradamus.

   Les premières éditions devaient comporter, comme on l’a dit une certaine forme de nécrologie.

   Est-ce à dire que les Centuries sont une oeuvre posthume de Michel de Nostredame ? Nous pensons que dans un premier temps, comme nous l’avons dit, elles furent présentées comme ayant été rassemblées par le dit Nostradamus mais que sur le fond elles ne lui furent d’abord pas attribuées ; c’est au prix d’un glissement plus tardif que Nostradamus devint l’auteur à part entière de tout le corpus centurique et qu’on lui en attribua tout le mérite, faisant dès lors et pour fort longtemps abstraction de quatrains se référant à une période antérieure aux années d’activité du dit Nostradamus.

   Comment expliquer en effet l’existence de deux moutures de l’Epître à Henri II, relatant l’une et l’autre une comparution devant le dit monarque, l’une datée de janvier 1556 et placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557 et l’autre de juin 1558, dont la parution mais sans en dire davantage est attestée par Crespin, au tout début des années 1570 et dont on ignore, soulignons-le, ce qu’elle introduisait ni si elle ressemblait aux versions ultérieures de la dite épître. Il semble bien que la version datée de 1558, peu de temps avant le fatal tournoi, soit une contrefaçon de la version datée de 1556. Au moyen de quelle hypothèse expliquer en effet un tel sentiment de déjà vu ? C’est dire que les éditeurs, dans tous les sens du terme, de ces publications posthumes n’avaient pas trop de scrupules. Comment donc expliquer l’existence des différentes versions de l’Epître à Henri II, à des dates et/ou avec des contenus variables ? On pense à la version reprise tout à la fin du XVIIe siècle, chez le libraire lyonnais Antoine Besson, de l’épître à Henri II et qui parle de “mes premières centuries” et non pas “du restant de mes centuries”. Quel intérêt ce libraire aurait-il eu à changer le contenu d’une telle Epître, trouva-t-il plus élégant de voir Nostradamus consacrer ses premières et non pas ses dernières Centuries au roi, ce en quoi il n’aurait pas tort ? On ne s’adresse pas au roi de France de façon aussi cavalière, comme s’il s’agissait d’un second choix, puisque d’autres Centuries auraient été dédiées à d’autres, quand bien même serait-ce à son si jeune fils, dans le cas d’un texte daté de 1555. Il existe certes un témoignage de 1556 du à Antoine Couillard (dans ses Prophéties), concernant une adresse de Nostradamus à son fils César en tête de quelque ouvrage non désigné expressément. Malheureusement, Couillard ne mentionne à cette occasion aucun quatrain, ce qui, a contrario, jette la suspicion sur l’édition Macé Bonhomme 1555. Qu’est ce qui aurait bien pu dissuader Couillard de mentionner au moins le mot “quatrain”? On nous dira que pourtant Nostradamus avait bien déjà commencé à publier des quatrains dans ses almanachs à cette date, quatrains qui inspireront évidemment ceux des Centuries. En fait, il ne le semble pas : les quatrains pour l555 sont suspects car ils sont contenus dans une Prognostication pour 1555 donc sans calendrier alors que le genre figure bien plutôt dans les almanachs. Aucune mention de cette Préface à César, dans le cadre centurique, ne nous est parvenue avant 1588 quand la dite Préface est placée en tête d’un lot de Centuries et il est bien possible que ce soit alors qu’une contrefaçon d’une précédente épître à César initialement en tête de Prophéties (Vaticinations) Perpétuelles d’un tout autre genre, ait été produite et ce en remplacement de l’Epître à Henri II.

   En conclusion, nous dirons que la première édition des Centuries ne devait comporter que six centuries, sans celles “oubliées” par Crespin, qu’elle ne saurait être antérieure aux années 1570, qu’elle devait être introduite par une fausse Epître au Roi datée de 1558, reprise d’un autre document disparu. L’Epître au Roi aurait donc, avec des variantes, introduit trois ouvrages successifs, les Centuries étant le dernier et encore sous une forme proche de celle reprise par le libraire Besson, dans les années 1690. Les centuries supplémentaires sont d’une autre inspiration, probablement protestante et en tout cas anti-Guise, si l’on en croit les quatrains des Centuries VIII-X annonçant la victoire du camp Bourbon, à mots plus ou moins couverts mais qui ne trompent personne. En tout état de cause, vint un moment où toute cette littérature pseudo-nostradamique fut rassemblée et attribuée au seul Nostradamus, au début des années 1580 et apparemment antidatée à 1568. Puis, sous la Ligue, comme on l’a dit, cet ensemble fut tronqué, l’Epître à Henri II évacuée. Et ce n’est que plus tard, dans le cours du siècle suivant, quand l’actualité initiale des quatrains fut émoussée, que celle-ci fut rétablie avec les Centuries VIII-X. Quant à ceux qui veulent que Nostradamus ait composé voire publié - ce qui pose le problème d’une édition datée de 1558 - les Centuries telles qu’elles nous sont parvenues, ils sont amenés à adopter toute une série d’hypothèses qui nous semblent parfaitement inutiles et dont la fortune des Centuries n’a nul besoin pour s’expliquer et se perpétuer. Bien au contraire, on comprend beaucoup mieux certains recoupements entre quatrains et événements dès lors que ceux-ci concernent des événements postérieurs au temps de Nostradamus et il est clair que les dits recoupements ne contribuèrent en effet pas peu à la gloire du dit Nostradamus, telle qu’elle s’imposa définitivement à la fin du XVIIes siècle notamment à la suite des événements d’Angleterre, lesquels donneront naissance à un célèbre frontispice qui ornera maintes éditons des Centuries jusqu’en plein XXe siècle.

   Cela dit, il convient tout de même de distinguer nostradamisme et astrologisme. Si notre réflexion sur l’astrologisme débouche sur la mise en évidence d’un noyau astrologique opérant, ce qui rend le dit astrologisme particulièrement néfaste et rejoint le propos attribué à André Breton selon qui l’astrologie serait “une grande dame” mais qu’ “à sa place trône une prostituée”, en revanche, que trouve-t-on une fois la gangue du nostradamisme évacuée sinon un personnage de médecin astrologue qui n’est porteur d’aucun savoir intéressant la postérité et dès lors le nostradamisme transcende et magnifie bel et bien l’homme Nostradamus et tout retour vers ses origines, certes significatif du point de vue de l’historien des textes, serait peu ou prou stérile sur le plan anthropologique et épistémologique. Tout oppose ainsi astrologisme et nostradamisme car pour l’astrologie, l’astrologisme est une perte de conscience - d’ailleurs le nostradamisme n’est-il pas un avatar de l’astrologisme, en faisant de l’astrologue Nostradamus, après sa mort, un prophète ? Le prophétisme et l’astrologie entretiennent entre eux des rapports ambigus, ils forment souvent couple et d’ailleurs le prophétisme n’est-il pas en effet un facteur déterminant de l’astrologisme ? Il semble qu’initialement, le prophétisme ait été un prolongement de la démarche astrologique auquel il apportait tout un riche capital événementiel, une chair vivante sur son squelette céleste puis qu’il ait tenté de voler de ses propres ailes, en perdant beaucoup de hauteur ? Toutefois, le lien entre astrologie et prophétisme n’a pas été rompu puisque ce n’est probablement pas par hasard que l’on a fait de l’astrologue/astrophile Nostradamus un acteur central du néo-prophétisme, tout comme d’ailleurs, cela avait été le cas avant lui pour l’astrologie Johann Lichtenberger et sa Prognosticatio astro-prophétique, mêlant conjonctions planétaires, révélations de Sainte Brigitte et autres textes prophétiques du même acabit, ce qui allait donner en France dans les années 1520 un Mirabilis Liber, dédié à François Ier.5

Jacques Halbronn
Paris, le 31 août 2004

Notes

1 Cf. “La crise de l’astrologisme”, sur Encyclopaedia Hermetica en ligne. Retour

2 Cf. notre étude “La crise de l’astrologisme”, op. cit. Retour

3 Cf. notre “Petite contre-encyclopédie nostradamique”, Espace Nostradamus. Retour

4 Cf. notre étude : “du néonostradamisme au précenturisme”, sur Espace Nostradamus. Retour

5 Cf. notre étude sur le Site du CURA.free.fr. Retour



 

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