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ANALYSE

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Genèse et fortune
du “Brief Discours sur la vie de Michel Nostradamus”

par Jacques Halbronn

    Quelles étaient les pièces en prose figurant lors de la parution de la première édition des Centuries ? Nous avons dit, lors de précédentes études, que figurait certainement une Epître à Henri II - probablement très proche de la version que reproduira à la fin du XVIIe siècle un Antoine Besson - que Crespin signale1 - alors qu’il ne dit mot de la Préface à César. Mais nous pensons probable qu’un autre texte devait également être présent et qui comportait d’une part une dimension biographique et posthume, de l’autre une dimension exégétique, de façon à situer le personnage Nostradamus et de souligner l’intérêt de ses quatrains par quelques exemples d’interprétation. On sait qu’un tel texte est absent des éditions antidatées 1555, 1557 et même - bien qu’il s’agisse d’une date se prêtant à une édition posthume - 1568, tout comme il ne figure pas davantage dans les éditions datées de 1588, 1589 et 1590. En revanche, il a été conservé dans le Janus Gallicus de 1594 et dans la réédition parue sous le titre de Commentaires du Sr de Chavigny, Paris, 1596, sous le titre de “Brief Discours sur la Vie de Michel de Nostradamus” puis dans toute une série d’éditions des Centuries au cours du XVIIe siècle, lesquelles d’ailleurs portent en leur titre la formule “avec la vie de l’Autheur”, citons notamment à partir du milieu des années 1650 :

“La vie de Maistre Michel Nostradamus, médecin ordinaire du Roy Henry II, Roy de France”, in Les Vrayes Centuries de Me Michel Nostradamus, Rouen, J. Cailloue, J. Viret, J. Besongne, 1649 (Bibl. Lyon La Part Dieu, 343003).

“Apologie pour Michel Nostradamus avec l’histoire de sa vie & les éloges que plusieurs Autheurs luy ont donné”, en tête de l’Eclaircissement des véritables Quatrains de Maistre Michel Nostradamus, par [Jean Giffré de Rechac], s. l., 1656 et la réédition de 1657 : Apologie pour Michel Nostradamus avec l’Histoire de sa vie & les éloges que plusieurs autheurs luy ont donné, par [J. Giffré de Rechac], Envers (sic).

“La vie de l’auteur & des observations sur ses prophéties”, en tête de Les Vrayes Centurties et Prophéties etc, Amsterdam, Daniel Winkermaans, 1667.

“La vie de l’autheur”, en tête de Les Vrayes centuries et prophéties de Maistre Michel Nostradamus, Amsterdam, Jean Jansson etc, 1668, Paris, Jean Ribou, 1668.

“The Life of Michael Nostradamus”, en tête de The true Prophecies or Prognostications, Londres, 1672, Reed. 1685).

“La vie de l’autheur”, en tête de Les Vrayes Centuries et Prophéties etc, Cologne, J. Volcker, 1689.

“La vie de l’autheur et plusieurs de ses Centuries expliquées par un Scavant de ce temps”, en tête de Les Vrayes Centuries et Prophéties etc, Rouen, J. B. Besongne, 1691.

“Vie de l’Auteur et plusieurs de ses Centuries expliquées par un Scavant de ce temps”, en tête de les Vrayes Centuries et Prophéties de Maistre Michel Nostradamus, Lyon, Antoine Besson, s. d., (c 1691).

“La Vie et l’apologie de Nostradamus”, in Concordance des Prophéties de Nostradamus avec l’Histoire depuis Henry II jusqu’à Louis le Grand, par Balthazar Guynaud, Paris, Jacques Morel, 1693.

Abrégé de la vie de Michel Nostradamus suivi d’une nouvelle découverte de ses quatrains par le sieur Palamédes Tronc de Coudoulet, Aix, Adibert, 1701.2

“La Vie et l’apologie de Nostradamus”, in Concordance des Prophéties de Nostradamus avec l’Histoire depuis Henry II jusqu’à Louis le Grand, par Balthazar Guynaud, Paris, Jacques Morel, 1709.

“Vie de l’autheur et plusieurs de ses Centuries expliquées par un Scavant de ce temps”, en tête de Les Vrayes Centuries et Prophéties de Maistre Michel Nostradamus, Rouen, Jean B. Besongne, 1710.

La Vie de Nostradamus par Pierre Joseph, Aix, Veuve Charles David, 1711.

“La Vie et l’apologie de Nostradamus”, in Concordance des Prophéties de Nostradamus avec l’Histoire depuis Henry II jusqu’à Louis le Grand, par Balthazar Guynaud, Paris, Jacques Morel, 1712.

   On aura observé que cette “Vie” figure dans la série intitulée “Vrayes Centuries et Prophéties” elle-même issue d’une première mouture rouennaise simplement intitulée “Vrayes Centuries”, ne recourant donc pas au mot Prophéties, ce qui était plus discret. Nous pensons que la formule choisie par la dite série doit être assez proche de la version d’origine, du moins dans son principe et probablement en partie dans son contenu. En effet, il nous semble que cette “Vie” aura été remaniée à plusieurs reprises tout en conservant certains de ses éléments de départ, donc datant du tout début des années 1570.

   Nous essaierons, dans la présente étude3, de déterminer les couches successives de l’ensemble se présentant en tant que “Vie de Nosradamus” et dont le contenu, au demeurant, aura sensiblement évolué, sur environ 125 ans.

   Nous débuterons logiquement avec le texte figurant dans la Première Face du Janus François, ensemble publié en français et en latin - y compris pour ce qui est du Discours (“Mich. Nostradami vita in Epitomen Contracta”) par Jean Aimé de Chavigny, à Lyon, chez les Héritiers de Pierre Roussin, en 1594, sous le titre de “Brief Discours sur la vie de M. Michel de Nostredame iadis Conseiller et médecin ordinaire des rois tres-chrestiens Henri II (second) du nom, François II et Charles IX.” et qui tient en sept pages. Notre propos n’est pas ici de constituer une biographie de Nostradamus mais de nous situer sous le seul angle de la place de cette Vie au sein du corpus centurique.

   D’emblée, la fin du Discours nous apparaît-elle comme ayant été remaniée pour justifier une certaine progression de l’ensemble centurique. Que dire en effet de cette formule : “Il a escrit XII Centuries de predictions comprises brièvement par quatrains” sinon qu’elle ne correspond pas vraiment à l’idée d’une miliade de quatrains, formule qui ,elle, figure dans l’Epître à Henri II, tant dans celle reprise par Besson que dans celle figurant dans la plupart des éditions à partir du XVIIe siècle. Par rapport à la mouture Besson, il semble bien qu’il ait fallu ajuster le Discours pour passer de dix à douze centuries. Est-ce à dire qu’initialement le Discours annonçait une miliade de quatrains et non une douzaine de centuries ? Soulignons en tout cas que le fait d’indiquer une miliade ou douze centuries n’implique pas nécessairement tant pour l’auteur du Discours que pour son lecteur que tout ce qui est ainsi visé ait été publié mais on conçoit à quel point on se situe là dans une logique de publication posthume qui conviendrait assez mal pour une parution gérée par l’auteur des quatrains lui-même.

   Un passage nous retiendra particulièrement :

   “(Il) se mit à escrire ses Centuries & autres presages commençant ainsi,
D’Esprit divin l’ame présage
Trouble, famine, peste, guerre courir
Eau, siccité, terre & mer de sang teintes
Paix, tresve, à naître, Prelats, Princes mourir
Lesquelles il garda long temps sans les vouloir publier.”

   A quoi se rapporte “lesquelles” ? Certainement pas à présages qui est masculin, bien plutôt à Centuries. N’y aurait-il pas eu dans ce cas une interpolation maladroite d’un texte au demeurant bien improbable puisque selon nous il s’agit d’un quatrain appartenant à l’année 1555 et se trouvant dans la Prognostication pour la dite année mais surtout il se trouve en tête du Recueil des Présages Prosaïques. B.Chevignard le qualifie de “quatrain liminaire” qui “ouvre le Recueil”.4 Selon nous, cette Prognostication est une contrefaçon maladroite car on ne trouve pas de quatrains de ce type dans les Pronostications annuelles de Nostradamus.

   Ce “lesquelles” se rapporte d’autant moins aux quatrains des almanachs que ceux-ci furent bel et bien publiés en temps et en heure !

   A la fin du Discours, on retrouve d’ailleurs la même dualité Centuries/Présages :

   “Ces deux dernières (XI et XII) ont long temps tenu prison & tiennent encores pour la malice du temps, en fin nous leur ouvrirons la porte. Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis (depuis) l’an 1550 iusques à 67”. L’auteur de ce passage qui n’est pas nécessairement celui de la totalité du Discours, affirme que les dits présages en prose “comprennent notre histoire d’environ cent ans & tous nos troubles, guerres & menées dez un bout iusques à l’autre”. Or, il convient de rapprocher ce passage du sous-titre du Janus Gallicus : “contenant sommairement les troubles, guerres civiles & autres choses mémorables advenues en la France & ailleurs dès l’an de salut MDXXXIIII (1534) iusques à l’an MDLXXXIX (1589) fin de la maison valésienne”, ce qui sera corrigé dans l’édition parisienne de 1596 par “depuis l’an 1534 iusques à present”, ce qui d’ailleurs nous amène à penser que le Janus Gallicus était voué initialement à paraître à la mort d’Henri III, dès 1589 et sans bien entendu l’Epître à Henri IV ou celle à d’Ornano, datées respectivement de juillet et de février 1594, et pas forcément, d’ailleurs, en faveur du dit Henri de Navarre.

   Leoni5 fait remarquer que l’Epître à d’Ornano ne verra pas ses prédictions réalisées :

   “Paris will fall to him (Henri IV) in May or June but not until practically every inhabitant is dead and the Duc de Mayenne, Henry’s archfoe, is in exile. After that Henry will conquer Italy, overthrow the Ottoman Empire and of course wind up as Emperor of the World. As it happened, Paris was quietly surrendered to Henry before Janus even came off the presses and Mayenne was loaded with honors.” Il est intéressant de noter que cet échec prévisionnel notamment concernant Paris n’empêchera pas l’Epître d’être reprise dans le Janus Gallicus.

   En fait, ce qui nous frappe, c’est que le Janus Gallicus ne commente que des quatrains pour rendre compte de “cent ans” de troubles, alors que le “Brief Discours” annonce que cette entreprise s’appuiera sur les seuls présages en prose. Bien plus, pour ce qui est des Centuries, le “Brief Discours” ne les affecte nullement à ces “cent ans”, il en parle ainsi : “Ceux là, à savoir les Centuries s’estendent en beaucoup plus long siècles”. Or, le commentaire du Janus Gallicus mélange allègrement centuries et quatrains pour traiter de la période allant de 1534 à 1589.

   On a ainsi le sentiment qu’à certains moments, le Discours est parfaitement en phase avec le commentaire du Janus Gallicus, puisqu’il annonce les Centuries XI et XII dont certains quatrains étudiés en son sein se revendiquent et qu’à d’autres moments, le rapport est sensiblement moins évident. Tout se passe comme si l’on avait recyclé un texte pour un autre usage que celui qui avait été d’abord envisagé, en laissant des traces de la destination première, ce qui est du même ordre que ce qui se produisit pour la Préface à César laquelle comporte quelque hiatus avec le texte qu’elle introduit, dans l’ensemble centurique.

   Si on élimine la fin du Discours, à propos des 12 Centuries et si l’on ne cherche pas systématiquement à rechercher une unité d’inspiration dans l’ensemble du Janus Gallicus, il semble bien que les dits Présages en prose - que Chavigny saura utiliser dans les Pléiades (1603)- ne concernent nullement des quatrains. Or, nous savons que le commentaire du JG est constitué très largement de commentaires des “Présages”, selon une appellation consacrée qui peut induire, plus ou moins délibérément, en erreur.

   Il nous semble que le Brief Discours voulait affecter les “présages en prose“, parus jusqu’au lendemain de la mort de Nostradamus (1566), à la description de l’Histoire passée à la date de 1589. En revanche, les Centuries concerneraient, selon le Discours, une période plus lointaine et n’auraient donc guère eu vocation à se voir “vérifiés” de si tôt, à l’époque, “en beaucoup plus longs siècles”. Il semble donc que dans l’immédiat le travail exégétique annoncé dans le Brief Discours, avant les retouches mais aussi avant qu’il ne figurât au sein du Janus Gallicus, ait concerné une centaine d’années, soit davantage que ce que propose la Première Face du Janus Gallicus, et ce au moyen des présages en prose, dont le recueil avait été conservé.

   On a l’impression que l’on a voulu faire servir le Discours à un ensemble combinant Centuries et Présages alors qu’au départ, il ne concernait qu’un seul de ces deux ensembles et probablement plutôt celui concernant les Présages. Dans ce cas, ce n’est pas la référence aux Présages qui aurait été interpolée mais bien celle aux Centuries. Autrement dit, le Brief Discours introduisait au départ le Recueil des Présages Prosaïques et un commentaire des dits Présages déjà publiés par Nostradamus, ce qui ne se réduisait nullement à moins de 200 quatrains surnageant au milieu de la prose.

   Revenons sur la fin du Brief Discours : “les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siècles dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur la vie de ce mesme Auteur qui bien tost verra la lumière où nous remettons le Lecteur” (p. 7).

   Ce passage n’a probablement pas été supprimé et il correspond difficilement aux interpolations concernant les Centuries. On notera qu’en ce qui concerne César, il est question d’une prédiction pour juillet 1559 (p. 6). Quant à la formule “auquel il a dédié ses Centuries”, concernant César, elle est probablement interpolée et tient compte de la présence de la dite Préface dans les éditions ligueuses des années 1588-1589.

   Il semble donc qu’il y ait eu deux introductions, sous forme de “vies”, dont l’une, pour quelque raison, n’aurait pas été conservée, précisément celle concernant les Centuries. Faute de mieux, on voulut utiliser le texte subsistant à la fois pour les Présages et pour les Centuries à tel point que par la suite ce même Discours figurera en tête d’éditions des Centuries. Etant donné que le Recueil de Présages Prosaïques ne parut pas comme prévu au lendemain de la mort de Nostradamus, le texte qui l’introduisait fut peut-être préféré, quitte à le retoucher quelque peu, à moins que l’on n’ait mélangé les deux Discours pour n’en faire plus qu’un seul, tant on passe de présages bel et bien parus année après année aux Centuries qui sont supposées avoir attiré l’attention du Roi sur lui. Or, on peut se demander si ce ne sont pas au contraire les Présages qui firent sa fortune et si l’on n’a pas interpolé une référence aux Centuries avant le passage suivant :

   “De ce bruit & fame empennée, esmeu le tres puissant Henry II Roy de France l’envoya quérir pour venir en Cour l’an de grace 1556 & ayant avec iceluy communiqué de choses grandes le renvoya avec présent.”

   Rappelons que Nostradamus plaça en tête de ses Présages Merveilleux pour 1557 son Epître au Roi.

   Que dire de la formule : “A la parfin vaincu du désir qu’il avait de profiter au public, les mist en lumière” ? On pourrait croire que cela concerne les Centuries, le français ne distinguant pas ici le masculin et le féminin pluriel, à la différence de l’espagnol (los, las) mais cela ne tient qu’à la présence du mot “Centuries” placé à côté du mot “présages” (p. 3) et à l’usage assez incongru, on l’a vu, du féminin pluriel (“lesquelles”). En réalité, ce qui est dit, c’est que ce sont les présages qui ne furent pas publiés immédiatement et qu’il se décida finalement à mettre en lumière et quand, à la fin, on nous parle d’ “autres présages en prose faits puis l’an 1550 iusques à 67”, on ne nous dit pas qu’ils sont tous parus dès 1550 mais qu’ils ont été composés à partir de cette date ; en réalité, leur parution dut précéder de peu la venue à la Cour de Nostradamus. Quant à la pierre tombale qui figure dans le Brief Discours, on a déjà fait remarquer qu’elle ne comporte aucune référence à un Nostradamus auteur de Centuries.

   Enfin, que dire de ce Brief Discours qui nous signale que seule la VIIe Centurie - outre la XI et la XII - est incomplète si ce n’est que l’on se situe en une période postérieure aux années 1588-1589, durant laquelle la VII n’était pas la seule à être incomplète. Cela montre combien tardif fut l’ultime remaniement d’un Discours qui dut être rédigé au lendemain de la mort de Nostradamus, alors que l’idée même de Centurie incomplète n’était pas encore à l’ordre du jour.

   Abordons à présent la fortune du Discours d’une part chez des exégètes comme Giffré de Rechac et Guynaud, de l’autre directement au sein d’éditions des Centuries, ce qui concerne avant tout le XVIIe siècle.

“La Vie du sieur Michel Nostradamus” (Eclaircissement,1656)

   On nous parle essentiellement de ses Almanachs (p. 31) : “Les imprimeurs & libraires (...) débitèrent quantité de faux Almanachs sous son nom (...) Ce fut la cause des escrits du sieur Pavillon contre luy etc.” On notera que ce passage ne figure pas dans le Brief Discours, tout comme le texte de la pierre tombale est conforme dans la Vie telle qu’elle figure dans l’Eclaircissement à celle qui se trouvait chez les Cordeliers alors qu’elle est tronquée dans le Brief Discours. Autrement dit, le texte rendu par Giffré de Rechac ne parle pas des Centuries ! On ignore comment le dominicain se le procura mais une chose est sûre, il ne se contenta pas de recopier le Brief Discours. Ce n’est nullement parce que Giffré de Rechac ne s’intéressait point aux Centuries, lui qui, bien au contraire, ne daigne pas commenter les Présages mais parce qu’il disposait de ce texte et l’a rendu tel quel, tout en semblant s’en attribuer le mérite alors qu’il est évident qu’il recourt à une même source que le Brief Discours, mais sans les retouches propres à ce dernier texte et notamment la partie finale consacrée aux douze centuries.

“La Vie et l’apologie de Nostradamus” (Concordance de Guynaud, 1693)

   Guynaud, quant à lui, cite carrément le “Janus Gallicus dans son Histoire des Guerres Civiles” - on notera qu’il désigne l’auteur de la dite Histoire sous le nom de Janus Gallicus - et on trouve des passages allant totalement dans le sens d’une parution des Centuries dès 1555 : “Les désirs que Nostradamus avoit de rendre service à la postérité le firent passer pardessus toutes ces considérations & le déterminèrent enfin de faire imprimer ses Prophéties le I. Mars 1555” (p. 13). On voit que Guynaud n’hésite pas, allant beaucoup plus loin que le Brief Discours, à fournir des détails très précis dans son propos biographique. Mais, Guynaud une fois cette incidente sur les Centuries, rejoint le texte de l’Eclaircisssement mais au lieu de parler des almanachs, il parle d’un “petit livre intitulé l’Almanach de Nostradamus”. On retrouve (p. 14) des passages presque identiques au texte figurant dans l’Eclaircissement : “Les Imprimeurs & les Libraires charmez du gain très-considérable qu’ils faisaient dans la vente des Pieces qui venoient de luy débitèrent par tout le Royaume une infinité de faux Almanachs qu’ils firent imprimer sous le nom de Nostradamus, si bien que ne répondant point aux événemens qu’on promettoit il fut d’abord regardé comme un charlatan & un faussaire (...) Ce fut aussi le seul motif du livre que fit imprimer à Paris Antoine Couillard sieur du Pavillon en l’année 1560, chez Charles Langlois (sic) intitulé Les Contredits à Nostradamus (...) Le Poète Jodelle fit aussi à l’imitation de Coullard (sic) ce Distique latin etc.” Il s’agit bien entendu des Contredicts du Seigneur du Pavillon (...) Aux faulses & abusifves prophéties de Nostradamus & autres astrologues etc, parus chez Charles L’Angelier. Il semble que Guynaud ne s’appuie pas ici sur le seul texte de l’Eclaircissement, lequel (cf. supra) est plus succinct que le sien concernant Couillard. Du Pavillon et qu’il ait éventuellement recouru à une autre source. On ne saurait exclure que la référence à Couillard et à Jodelle ait figuré dans le texte biographique et qu’elle ait été omise dans le Brief Discours tel que paru dans le JG. Guynaud aborde la question des Présages, sans pour sa part, la mélanger avec celle des Centuries, comme on le trouve dans le JG. Il se plaint que les éditions des Centuries ne comportent pas la totalité des Présages : “On en a même entièrement dérangé la situation & l’ordre où on les avait mis, puisque tel Présage était au commencement qu’on a mis à la fin & tel étoit à la fin qu’on a mis au commencement (...) Ils étaient aussi en Quatrains tout de même que ses Prophéties, dont le premier commençait : D’Esprit Divin l’Ame présage atteinte etc.” Après de nombreuses digressions notamment sur le fait que la réputation de Nostradamus fut liée à la mort d’Henri II, “s’étant trouvée clairement prédite dans les Prophéties que Nostradamus avoit depuis quatre ou cinq ans mises au jour (ce qui fut) en partie la cause que sa réputation augmenta si fort etc.” (p.22) Quant à la pierre tombale, Guynaud la restitue (pp. 26 - 27) correctement, ne suivant pas en cela le Brief Discours. Signalons qu’il existe un manuscrit de cette partie de la Concordance, à la Bibliothèque de l’Institut et comportant des variantes importantes.

   Passons à présent aux textes apparaissant en tête de nombre d’éditions des Centuries, tant en France qu’en Hollande, ils sont plus directement inspirés du Brief Discours.

   Sous le titre “La vie de maistre Michel Nostradamus Médecin ordinaire du Roy Henri II Roy de France”, paraît à Rouen en 1649 (cf. supra) ce qui semble n’être que la reproduction littérale du Brief Discours et que l’on retrouve en 1688 à Amsterdam, chez Ianson ; en réalité, si le texte est bien copié docilement sur celui du Janus Gallicus, y compris en ce qui concerne la pierre tombale, avec une corruption concernant les Centuries incomplètes : “7, 9, 11” au lieu de “7, 11, 12”, la fin du Brief Discours en est tronquée : on a “ceux ci comprennent nostre histoire etc” mais on n’a pas “ceux là, savoir les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siecles etc”, ce qui n’est peut-être pas tout à fait innocent. Signalons que l’édition Besson n’offre guère sur ce point de grande originalité et s’aligne sur l’édition d’Amsterdam, reprenant la même faute “7. 9. 11”, en supprimant le même passage sur les Centuries en le remplaçant par une addition biographique : “Il avoit un autre frère nommé Iean Nostradamus, qui étoit Procureur au Parlement d’Aix, il composa l’Histoire de Provence & la Vie des Poètes du même Païs.”

   Notons cependant que ces éditions comportent des commentaires de certains quatrains, avec une illustration représentant l’exécution du Roi d’Angleterre (frontispice chez le libraire hollandais et chez Besson, fol. 192) Mais si l’édition de Cologne, 1689 Cologne, J. Volcker, reprend le commentaire de celle d’Amsterdam, en revanche, celle de Besson est inspirée par le commentaire du chevalier de Jant (1672).

   Un des cas les plus intéressants est celui d’une édition datant de 1689, comme celle de Cologne, parue à Bordeaux et qui intègre carrément le commentaire au sein même de la Vie de Nostradamus. La dite édition comporte en fait un volet réservé à la biographie : La Vie de Michel Nostradamus médecin ordinaire du Roy Henry II. L’un des plus savants astrologues de son siècle qui a prédit dans ces (sic) Prophéties tout ce qui c’est passé & qui se passe présentement tant en France, Allemagne, Angleterre que autres parties du monde, chez Pierre Abegou6 Contrairement à la description qu’en donne R. Benazra, le volet biographique (conservé séparément au Musée National des Arts et Traditions Populaires, Bibl. O’R 274) se place avant les volets centuriques et leurs épîtres respectives, comme le montre l’exemplaire que nous avons pu consulter à Londres (Harry Price Library, University of London), avec un deuxième volet à sept centuries, chez Arnaud Lalane et un troisième chez le même Abegou, incluant les sixains. Il est néanmoins remarquable que le volet en question hagiographique et exégétique ait pu être éventuellement vendu séparément à l’intention de ceux qui ne souhaitaient pas se colleter avec l’ensemble centurique. R. B. ne signale pas que le volet biographique bordelais diffère sensiblement du Brief Discours par les commentaires qui y sont inclus.

   C’est ainsi que la version bordelaise du Brief Discours est constituée d’un commentaire qui a pu exister lors du lancement des Centuries, avec évidemment des références à des événements de l’époque. Un des premiers bilans rétrospectifs pour les XVIe et XVIIe siècles, débutant en l’an 1555 et allant jusqu’en 1666, se trouve dans l’édition d’Amsterdam des Vrayes Centuries et Prophéties de Maistre Michel Nostradamus, 1667, chez Daniel Winkermans, sous le titre d’ “Observations sur ses Prophéties”. Bilan repris dans l’édition bordelaise de 1689 : “Nostradamus, y lit-on, fait voir dans ses Centuries les noms de plusieurs personnes qui n’étaient pas encore nées & ne vinrent au monde que longtemps après sa mort. Comme celui du Maréchal de Biron, sixain 6, du Maréchal de Montmorency, Centurie IX, 18 ; le premier par transport de lettres (anagramme, Robin) & l’autre par ses propres lettres avec celui du soldat qui lui trancha la tête à Toulouse à savoir Clerepeine”. Et de citer la dissolution du mariage d’Henry le Grand avec la Reine Catherine (sic, il s’agit de la Reine Margot, Marguerite de Valois), le mariage du Roy avec Marie de Médicis, le problème Concini (Sixain 1) et après avoir parlé de l’histoire de Bordeaux, on ne peut ne pas signaler la mort du Roi d’Angleterre et le quatrain IX, 49 (“Senat de Londres etc”), la “tyrannie” de Cromwell, l’Incendie de Londres de 1666 (II, 51) etc. Remarquons que le libraire bordelais ne signale pas que cette “Vie de Nostradamus” est reprise en grande partie d’un autre texte, déjà connu à la fin du XVIe siècle, sous la forme du Brief Discours dont il s’inspire, reprenant notamment à son compte le “7. 11. 12”, cette fois correctement transcrit. On n’y trouve pas en revanche le passage final sur les Présages : “Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis l’an 1550 iusques à 67 etc.”. En fait, une partie du commentaire des quatrains figurant dans cette version augmentée de 1689 du Brief Discours est empruntée à l’Edition d’Amsterdam de 1668 ; on a combiné en un seul texte ce qui relevait de la Vie de Nostradamus et du Commentaire de 1668, dûment augmenté, comme on peut le voir dans l’édition Cologne, 1689. On relèvera que les sixains sont à l’honneur et que l’idée selon laquelle ils ont été exhumés tardivement ne gêne pas les exégètes, malgré les mises en garde de l’Eclaircissement> de 1656. Une tradition exégétique tente de se mettre en place, attribuant tel événement à tel quatrain mais elle fera long feu, en raison, notamment, du manque de culture historique du public, lequel préférera, à chaque génération, une constante réactualisation de la dite exégèse cadrant avec ses réminiscences scolaires ou avec les événements du moment, ce qui explique le manque d’enthousiasme de certains à situer les quatrains dans le contexte d’un XVIe siècle, somme toute, devenu assez peu familier.

   Comme le note David Pitt Francis7, on ne signale pas les quatrains qui ne se sont pas réalisés, dans une sorte de fuite en avant, renvoyant l’accomplissement du pronostic aux calendes grecques puisqu’aucune limite de temps n’est fixée ; autrement dit, l’échec prévisionnel ne peut exister dans le champ centurique, sinon au niveau de l’interprète qui aura probablement, n’est-ce pas ?, mal compris le texte, jamais à celui des Centuries stricto sensu. Il nous semble que c’est cette invulnérabilité de la lettre du texte centurique qui fait sa principale force : il y a toujours une échappatoire. Pourtant, il semble bien que certaines prévisions ne se soient pas réalisées et qui faisaient sens à l’époque : c’est ainsi que le Roi de Blois, Henri III, n’a pas pris le contrôle d’Avignon - projet cher à Crespin - comme annoncé en VIII, 38 et VIII, 528 ni Mendosus alias Henri IV ne s’est engagé en Italie, comme l’annonçait IX, 45.9 N’oublions pas que ces prophéties tendent parfois moins à prévoir qu’à provoquer l’événement en agissant sur les esprits; elles servent à l’évidence à manipuler l’opinion, pour lui faire accepter un certain état de choses, une certaine entreprise en projet ou en cours, dont on ignore encore l’issue.

   Il nous apparaît que les années 1650-1670 virent réemerger des textes d’une certaine ancienneté, c’est-à-dire antérieurs à la période 1588-1594. C’est le cas de la version de la Préface à César, traduite par Théophile de Garencières, en 1672 et dont Besson nous atteste, dans son édition des Vrayes Centuries et Prophéties de Maistre Michel Nostradamus qu’il existait bien un original français qu’il ne fait que reprendre, vingt ans plus tard, vers 1691. Soulignons que la Concordance de Guynaud est contemporaine de l’édition Besson, c’est dire qu’au sortir du XVIIe siècle, le corpus centurique a récupéré des éléments importants, ce qu’il faut ici relier avec les travaux biographiques qui paraissent à partir de 1701, tel cet Abrégé de la Vie de Michel Nostradamus, qui, tout en se référant au Janus Gallicus, n’en restitue pas moins la totalité de l’épitaphe (p. 26 de l’édition Benazra, 2001). Il faut probablement situer dans ce même courant l’édition Pierre Rigaud 1566, due à des libraires d’Avignon, laquelle édition comporte la reproduction, en frontispice, de la dite épitaphe. Cette édition considérablement réduite par rapport à la plupart de celles qui se vendaient au cours du siècle précédent correspond probablement à une tentative d’élagage mal conduite, suivant en cela les directives de l’Eclaircissement - notamment quant aux sixains et aux présages - et, par ailleurs, bien maladroite quant au choix du libraire, Pierre Rigaud, lequel on aura confondu avec Benoist Rigaud.

   C’est dire l’importance de la période 1656-1712 pour la recherche nostradamologique - même si la période peut sembler singulièrement tardive aux yeux de certains qui ironisent sur la nature et l’origine de documents qui réapparaissent alors - avec en 1710 la parution d’une oeuvre importante, la Clef de Nostradamus, Isagoge ou Introduction au véritable sens des Prophéties de ce fameux auteur. Avec la critique touchant les sentimens & interprétations de ceux qui ont ci-devant écrit sur cette matière, Paris, Pierre Giffart (BNF Ye 7379), ouvrage du à Jean Le Roux, ancien curé de Louvicamp.10 En 1711 et 1712 paraîtront encore la biographie compilée par Pierre Joseph de Haitze (BNF 16° Ln27 87147) et une ultime édition de la Concordance.11 En 1711, Pierre Joseph de Haitze, dans sa Vie de Nostradamus, cite nommément Chavigny et forge une version officielle qui ne coïncide plus guère avec celle en vigueur en ce début de XXIe siècle, selon laquelle Nostradamus aurait publié bien après avoir rédigé ses quatrains, ce qui lui aurait donné l’occasion de les tester au cours d’une recherche menée dans la “solitude” : “Après la mort du fameux Nostradamus, on recueillit soigneusement tout ce qu’on trouva de ses ouvrages, par écrit, qu’il n’avait pas publié. Il s’y rencontra encore quantité de quatrains dont même quelques uns étoient rangés sous certaines années. On eut soin d’en faire le recueil sous deux Centuries qu’on forma, qui forment la XIe et XIIe pour les donner au public.” On songe aux Pensées de Pascal, rassemblées à sa mort (1662).

   On notera que Pierre Joseph se réfère en 1711 à Pierre Rigaud lequel fera bientôt l’objet d’une réédition : “ainsi qu’il se voit dans les éditions originales de ces mêmes Centuries par Pierre Rigaud” (pp. 61 - 62). On y retrouve des emprunts manifestes à la version Guynaud du Brief Discours (pp. 80 - 85), en reprenant l’idée d’un “Almanach de Nostradamus” et se référant à Couillard, paru chez Langlois (sic). Pierre Joseph de Haitze reprend à son compte les commentaires des quatrains que l’on trouve chez ses prédécesseurs en y ajoutant la grande affaire du début du XVIIIe siècle, à savoir la succession du trône d’Espagne, au profit du Bourbon Philippe V (VIe centurie, quatrain 2).

   Pierre Joseph se réfère aux “quatre premières éditions (...) devenues fort rares”, à ces “quatre pures sources des prophéties de Nostradamus” (p. 163), sans que l’on sache exactement ce dont il s’agit : cela n’en indique pas moins un contact avec des documents fort anciens, fort rares, certes, mais néanmoins accessibles. Le texte de Haitze sera repris en 1789 sous le titre La Vie et le Testament de Michel Nostradamus, cette fois à Paris, chez Gattey mais il est présenté comme étant l’oeuvre d’Edme Chavigny, donc comme correspondant au Discours figurant dans le JG12 ; on y trouve ce mélange assez percutant de biographie de Nostradamus et d’exégèse de “ses” quatrains -on notera d’ailleurs que les sixains n’en sont pas moins désignés, dans cet ouvrage, comme quatrains.

   C’est probablement aussi le cas de la version de l’Epître à Henri II qui figure chez le dit Besson, c’est enfin celui de la version de la Vie de Michel Nostradamus, autre texte à vocation introductive, telle qu’elle est reprise, dès 1656, dans l’Eclaircissement des véritables quatrains de Michel Nostradamus. Ce n’est donc pas par hasard si c’est dans ces années là et notamment dans l’édition d’Amsterdam, chez Jan Janson à Waesberghe & Veuve Elizee Weyerstraet, 1668 - dont le frontispice sera repris par les éditions françaises de la série Vrayes Centuries et Prophéties, et notamment à Rouen, chez J. B. Besongne, ville qui, on le sait, avec Raphaël du Petit Val, avait joué un rôle significatif en 1588-1589, pour la production centurique, que la “Vie de l’Auteur” figure aux côtés des deux épîtres centuriques, encore que la Préface à César n’ait pas légitimité à ce titre.

   Il convient enfin de resituer cette Vie dans le contexte des années 1570. On rapprochera le passage à propos des faux almanachs figurant dans l’Eclaircissement (1656) et dans la Concordance (1693) - mais non dans le Brief Discours - de telle mise en garde que l’on trouve en 1571 et reproduit par R. Benazra (RCN, p. 99) : “Sous le nom & crédit de Nostradamus… ils abusent grandement de cuider donner bruit & réputation à leurs ineptes escrits pour faussement s’advouer estre ou voisins ou parens ou serviteurs de Nostradamus etc. ” (Advertissement au Lecteur), de la part du libraire Nicolas du Mont, obligé de publier un texte à l’authenticité douteuse in Présages pour treize ans continuant d’an en an (....) Recueillies de divers autheurs & trouvées en la bibliothèque de defunct maistre Michel de Nostredame (...) Lesquelles à la supplication de plusieurs ont esté à grande diligence reveues & mises en lumière par M. De Nostradamus le Jeune, Paris, (Bib. Ste Geneviève, Res 1225 (pièce 5). En 1577, un Antoine Crespin se plaindra de ceux qui fabriquent de faux almanachs en se revendiquant de Nostradamus. R. Benazra a reproduit (RCN, p. 114) son “Au bénévole Lecteur”, en tête de Au Roy Epistre et aux autheurs de disputation sophistique, Lyon, Benoist Rigaud, 1578, (BNF, Res. PV 201), réédition de celle de 1577 non recensée dans le RCN : “journellement avec leurs faussetez (ils) impriment au nom du dit (Nostradamus) (...) & si controuvent plusieurs noms comme Nostradamus le Jeune & Florent de Crolz & autres faux noms inventez etc.“ Rappelons que cette méfiance envers les faux almanachs conduira un Giffré de Rechac, dans l’Eclaircissement, à bannir carrément les Présages du canon centurique (p. 70) : “Du nombre des Quatrains de l’Auteur, il en faut premièrement retrancher tous ceux que l’on a imprimé sur diverses Années : scavoir est ceux que l’on trouve sur l’an 1555 & sur les années qui sont depuis l’an 1557 iusques à l’an 1566 où il mourut, parce qu’ils sont douteux & sentent au levain des faux Almanachs, lesquels on débitoit sous la réputation de son nom afin d’estre mieux vendus & faire gaigner le Marchand.” C’est dire que sur ce point le dominicain ne suit pas le Brief Discours, tel que figurant dans le JG, ouvrage dont on sait l’importance qu’il accorde aux Présages dont 141 sont commentés et c’est d’ailleurs à partir du JG que les Présages pourront figurer au XVIIe siècle dans nombre d’éditions des Centuries, notamment celles de Pierre du Ruau (notamment celle datée de 1605).

   Pour notre part, nous pensons probable que le Brief Discours, sous sa forme d’origine, devait servir à introduire un commentaire, dans une édition aujourd’hui perdue mais qui devait être connue puisque la mouture d’origine du Discours semble avoir été récupérée dans l’Eclaircissement (cf. supra). Le dit commentaire pourrait fort bien, à quelques retouches près, correspondre au début de celui du Janus Gallicus, c’est-à-dire jusqu’au début des années 1570 et aurait été complété pour les années suivantes par un Jean Aimé de Chavigny. Notons que sur les 347 commentaires figurant dans le JG, 265 couvre une période allant de 1534 à 1572, ce qui en laisse en gros 80 pour la période s’étendant de 1573 à 1589, que si l’on s’arrête à 1571, on arrive encore à 242 commentaires et à 240 commentaires jusqu’en 1570 inclus, soit encore près des deux tiers. Ajoutons que si l’on prend comme base 1571 et que l’on remonte jusqu’à 1534, soit sur 37 ans, on trouve entremêlés Présages et quatrains centuriques, ces derniers selon nous ayant été interpolés dans un commentaire qui initialement ne devait pas s’y consacrer. A notre avis, le commentaire initial ne devait concerner que les seuls Présages à l’exclusion des quatrains centuriques selon la formule conclusive du Brief Discours : “ceux-cy comprennent notre histoire d’environ cent ans etc” et la suppression du second membre de la phrase est significative : “Ceux là savoir les Centuries s’estendent en beaucoup plus longs siècles dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur la vie de ce mesme Auteur etc.” Suppression fort maladroite, qui ne semble cependant pas avoir été signalée, mais nécessaire puisqu’elle annonçait que les quatrains centuriques sont traités à part et ne sauraient se mélanger avec les Présages. On observera que le commentaire du JG accorde une place considérable aux Présages qui occupent plus de la moitié des quatrains abordés et en fait ne correspond même pas au programme présenté par le Brief Discours. On notera que le Commentaire ne devait en réalité commencer que pour l’an 1555, les Présages n’intervenant pas avant cette date, les commentaires 2 à 8 ne recourent en effet qu’aux quatrains centuriques et la prise en compte des vingt années précédentes est certainement le résultat d’une addition tardive peu familière avec les Présages. On aura simplement maintenu, avant d’aborder au n° 3, l’an 1534, le quatrain introductif pour donner le change avec un commentaire intemporel mais le titre même indique bien qu’il devait initialement ouvrir l’année 1555.

D’un Présagesur l’an 1555.
D’Esprit divin l’ame presage atteinte etc.

“Fort prolixe, mais bellissime proposition, pleine d’estonnement & admiration. L’auteur promet parler des Rois, Princes & Prelats, autant de ceux qui sont à naistre, que de ceux qui doiven mourir pendant le temps des guerres civiles, tant de leur mort natureelle qu’autrement accelérée.“

   On y ajouta, dans ce prélude, en n° 2, un quatrain centurique (I, 15) :

Mars nous menaced par sa force bellique
Septante fois faire le sang espandre
Auge & ruine de l’Ecclesiastique
Et plus ceux qui d’eux rien voudront entendre.

   Commentaire : “Ailleurs il (Nostradamus) dit, Tant d’ans les guerres en Gaule dureront. Le nombre sept est plein de mystères & par plusieurs exemples pris tant du vieil que du nouveau Testament appert que Dieu a de coustume punir les pechez des hommes par ce nombre icy, soit es temps, soit es generations, es personnes ou es choses. Et cy après sera dit , septante parts naistre nouvelle ligue. Auge, augmentation : mais ruine premierement de l’Ecclésiastique puis augmentation & ruine seulement des autres”. Ce quatrain centurique est suivi d’autres, pour les commentaires 3 à 8 avant d’aborder l’année 1555.

   Rappelons que le quatrain qui ainsi introduit le commentaire est le seul qui soit cité dans le Brief Discours : Il “se mit à escrire ses Centuries & autres présages commençant ainsi , D’ESPRIT divin l’ame présage atteinte etc lesquelles il garda long temps sans les vouloir publier etc.” (p. 3)

   Ajoutons que l’on trouve une séquence ininterrompue de Présages pour les n°s 153 à 188, soit plus de trente commentaires, ce qui nous semble confirmer que l’état premier de la Première Face du Janus François s’appuyait sur les seuls Présages, la Seconde Face, jamais parue, devait, probablement, concerner les quatrains centuriques et se situer sur un autre plan. D’ailleurs, n’a-t-on pas placé juste après le Brief Discours un “Au Lecteur” (pp. 13 et seq) plus en phase avec le contenu réel ? “J’en ay fait un amas & recueil tiré de ses Centuries & autres qu’il avoit faits sur chacun mois pendant dix ou douze années ou j’ay pensé pouvoir comprendre & embrasser l’histoire d’environ cent ans, des choses qui appartiennent à ce Royaume de France & autres externes & l’ay divisé en deux livres”. La formule “amas & recueil” désigne ici le commentaire d’un certain nombre de quatrains et nullement le Recueil des Présages Prosaïques puisqu’il est question ici de Centuries. Le projet est donc sensiblement différent de celui exposé dans le Brief Discours, puisque les Centuries sont citées en premier “Centuries & autres qu’il avait faits sur chacun mois”, c’est-à-dire les Présages (p. 20). On a toujours deux volets : mais au lieu que l’un s’appuie sur les Présages et l’autre sur les Centuries, l’un traite du passé (Première Face de Janus ) et l’autre de l’avenir (Seconde Face de Janus), sans distinction au niveau de la nature des quatrains.

Un original latin du Brief Discours

   On aurait, au demeurant, quelque raison, de se demander si l’original du Brief Discours n’aurait pas été plutôt en latin et simplement traduit, avec quelque liberté, en français. Il est également bon d’étudier la version latine du Brief Discours, laquelle ne sera pas maintenue dans l’édition parisienne de 1596.

   D’abord en ce qui concerne César :

Latin :
“De primo, cui Caesari nomen est, magnam nobis spem inecit commentario quodam, ubi de eo.” (p. 12)

Français :
“Le premier des masles nommé César, personnage d’un fort gaillard esprit, est celuy auquel il a dédié ses Centuries premières duquel nous devons espérer de grandes choses si vray est ce que j’en ay trouvé en plusieurs lieux des Commentaires de son dit père, notamment sur l’an 1559 & mois de Iullet, où je renvoy le Lecteur.”

   Pas question dans le texte latin de Centuries premières dédiées au dit César, pas davantage n’y parle-t-on du “commentaire” relatif à juillet 1559. On est en droit de voir une interpolation dans la traduction française.

   Autre passage (p. 9) où il est question des Centuries :

Texte latin :
“Coepit praedictionum Centurias texere, hoc initio, quod sic e Gallico vertimus
Horrida vaticinor divino numine plenus etc.”

Texte français (p. 3) :
“(Il) se mit à écrire ses Centuries & autres présages commençant ainsi,
D’Esprit divin l’ame présage atteinte etc.”

   Il aurait fallu traduire par : “Il commença à composer des Centuries de prédictions, dont le commencement, si on le traduit en latin, est ainsi rendu etc.”

   Autrement dit, le quatrain qui fait suite et qui, en cet endroit, n’est nullement associé à un mois ou à une année comme il l’est ailleurs, aurait été le premier des Centuries alors qu’il n’y figure plus dans les éditions connues mais aurait été transféré dans le groupe des Présages alors que celui comporte déjà par ailleurs treize quatrains pour l’an 1555. On trouve en effet dans les présages pour 1555 un quatrain par mois plus une Epistre liminaire sur la dicte année13, commençant ainsi :

La mer Tyrrhene, l’Occean par la garde etc.

   Au vrai, le quatrain “D’Esprit divin l’ame présage atteinte etc” convient fort bien pour décrire le projet poursuivi, énumérant les divers types de présages possibles.

   Revenons à présent sur les dernières lignes du Brief Discours, question déjà abordée plus haut :

Texte latin:
“Scripsit & in singulos annos menses, immo ad singulos prope dies (quod maxime mirum) prognostica quaedam & commentationes ab anno Christi 1550 ad 67 quae a me collectae & in XII libros digestae propediem typis excudentur, he oratione prosa, illae metro constant, hae centum annos fere, hoc est temporis huius historiam ab ovo usque ad mala continent ; illae in multa secula sese extendunt. Quae praeterea scripserit mirificus Vates, dixerit, egerit memoria dignum, videbit Lector, in alio opere Centuriarum scilicet, iam iam recudendo & in eo quoque dialogo, quem ad Ioan. Auratum aliquot ante annos destinavimus & huic opusculo attexuimus.”

Traduction française :
“Nous avons de luy d’autres présages en prose, faits puis l’an 1550 (sic, corruption de 1555, sur la base de la première année des Présages commentés dans le JG) iusques à 67 qui colligez par moy la plupart & rédigez en XII livres sont dignes d’estre recommandez à la postérité. Ceux-cy comprennent notre histoire d’environcent ans & tous noz troubles, guerres & menées dez un bout iusques à l’autre; Ceux là, scavoir les Centuries, s’estendent en beaucoup plus longs siècles, dont nous avons parlé plus amplement en un autre discours sur la vie de ce mesme Auteur, qui bien tost verra la lumière où nous remettons le Lecteur ensemble au dialogue Latin qui cy apres sera rapporté.”

   Nous trouvons un écho de cette présentation dans l’Epître de Sève remaniée à Henri IV, datée de 1605, placée en tête des sixains : “j’ay pris la hardiesse (...) vous présenter (ces sixains) transcrits en ce petit Livret, non moins digne & admirable que les autres deux Livres qu’il fit dont le dernier finit en l’an mil cinq cens nonante sept (sic, lire 1567 : c’est la série 1555-1567), traictant de ce qui adviendra en se (sic) siècle, non si obscurément comme il avait fait les premières.”14 Quel est “ce siècle”, ici ? A priori le XVIe siècle, mais curieusement, par quelque tour de passe passe, on nous propose des sixains “pour les ans courans en ce siècle” et cette fois il faut entendre le XVIIe siècle, nombre de sixains portant des années commençant par Six Cents.

   Rappelons que l’année 1567 est la dernière pour laquelle il semble que Nostradamus ait composé un almanach et insistons sur les aspects posthumes de son titre, ce qui est à rapprocher des prétendues éditions datées de 1568, peu après, dont aucune ne prend la peine de désigner Nostradamus comme défunt :

   Almanach pour l’an 1567 composé par feu Maistre Michel de Nostredame Docteur en médecine, conseiller & médecin ordinaire du Roy etc.15

   Observons que le nom de Jean Dorat ne figure pas dans le texte français du Brief Discours. Si l’Epître à d’Ornano mentionne Dorat, en revanche, on ne saurait parler d’un texte qui aurait été destiné à Dorat et qui aurait été mis à la suite du Brief Discours comme annoncé. “& huic opusculo attexuimus”.

   Mais ce n’est pas là l’essentiel : la forme “scavoir les Centuries” apparaît comme une interpolation : ceux-cy et ceux-là correspondent au latin “illae... illae” mais se rapportent dans tous les cas aux textes relatifs aux années 1550-1567 et nullement aux Centuries. C’est la phrase suivante qui comporte le mot Centuriarum.

   Ajoutons en faveur d’un original latin le fait que l’on recourt dans le texte latin à deux reprises (pp. 9 et 12) à l’alphabet grec alors que la version française n’offre rien de tel.

   “Il a escrit XII Centuries de predictions comprises brievement par quatrains, que du mot Grec il a intitulé Prophéties” (p. 6)

   Latin :

   “Extant praedictionum Centuriae XII quibus de Graeco nomine (suit le terme en grec qui a donné prophétie) titulum fecit”

   La forme “praedictionum Centuriae” (p. 12) - génitif pluriel précédant un nominatif pluriel - était déjà apparue (p. 9) : “coepit praedictionum Centurias texere” à propos du quatrain introductif “D’Esprit divin l’ame présage atteinte etc.”

   On retiendra en tout cas que nous avons ainsi mis en évidence le fait que le quatrain susnommé avait bel et bien vocation à figurer en tête des Centuries de prédictions et non pas en tête des Présages où il est en redondance. En plaçant ce quatrain en tête des Présages, dans les éditions comportant à la fois ceux-ci et le Brief Discours, on introduisait sciemment la confusion.

   Tout se passe comme si l’on avait pris la liberté de supprimer ce quatrain et que l’on avait par ailleurs cru bon de récupérer le Brief Discours, mettant “Centuries & autres présages” au lieu de “Centuries de présages”.

   Enfin, il nous semble assez évident que le Brief Discours annonçait non pas un commentaire des Centuries mais bien des seuls Présages, couvrant initialement les années 1550-1567 et eux mêmes constitués en douze livres auxquels feraient pendant les douze centuries de prédictions. Rappelons que le terme Centuries ne désigne pas nécessairement des quatrains comme on peut le voir dans l’ouvrage latin de R. Dinoth, Adversaria Historica in Centurias, Quinquagenarias, decurias, Bâle, 1581, BNF G 5783, constitué d’ensembles de cent, cinquante et dix paragraphes en prose.

   Nous savions déjà que les quatrains français avaient été traduits de façon souvent cavalière en latin. Il reviendrait désormais, le cas échéant, d’être attentif aux décalages existant dans l’autre sens, du latin vers le français.

Le décalage du Brief Discours avec l’Epître à Henri II

   Force est de constater que l’annonce de douze centuries, faite à la fin du Brief Discours sur la Vie de Michel de Nostredame se concilie malaisément avec celle d’une milliade telle qu’elle apparaît dans les moutures (Besson et canonique) de l’Epître au Roy.

   Il faut attendre longtemps, c’est-à-dire les années 1620, pour voir paraître des éditions des Centuries comportant la Vie de Nostradamus ainsi que les quatrains des Centuries XI et XII et les présages tels que se trouvant dans le Janus Gallicus.

   Sur le moment, c’est-à-dire dans les années 1590 notamment, les éditions qui paraissent - et notamment celle de Cahors et celle des Héritiers Benoist Rigaud, ne comportent aucune de ces pièces contenues dans le JG. Cela peut surprendre, étant donné que le Janus Gallicus appartient également à cette décennie. En fait, tout se passe comme si les Rigauds avec leurs Dix Centuries, et leurs deux Epîtres, ignoraient tout du Janus Gallicus dont on sait pourtant par le témoignage de Claude Duret (1595) qu’il était bel et bien paru à l’époque, sans bien entendu qu’on en connaisse, par cette voie là, le contenu précis.

   En fait, il semblerait que le Brief Discours ne tienne pas compte de l’Epitre centurique à Henri II et qu’il fonctionne sur d’autres données éventuellement antérieures à la confection de la dite Epître. Or, cela ne nous semble pas exclus : si l’on admet que le Brief Discours parut au lendemain de la mort de Nostradamus et mettait en avant d’une part un lot de Présages déjà parus et conservés dans un Recueil de Présages Prosaïques de l’autre annonçait un lot de Centuries de prédictions à paraître, il est concevable qu’aux douze années de quatrains d’almanachs (pour les années 1555 à 1567, moins 1556) ait pu être mis en correspondance douze centuries. Pourtant dès le début des années 1570, c’est le projet milliade qui l’emporte, tel qu’esquissé dans l’Epître au Roi. On notera que la parution initiale de six centuries (I-III et VIII-X), alors, correspond justement à la moitié de douze et l’Epître à Henri II qui y figurait ne devait pas se référer à une quelconque “milliade”. Dans ce cas, l’Epître canonique au Roy, “parachevant la miliade”, se serait contenté de légitimer au moyen de la dite Epître la production existante, laquelle se rapprochait de 1000 quatrains, à savoir plus de 930 quatrains regroupés en dix Centuries, pleines ou non. Pour correspondre à l’annonce de XII centuries, on aurait ainsi composé quelques quatrains faisant l’objet de commentaires en laissant entendre que l’on n’avait fait, comme pour les Présages, que puiser dans les deux recueils et que le reste serait repris et abordé dans une Seconde Face du Janus François, qui ne parut jamais.16 Comme on l’a dit, le Janus Gallicus sera pleinement exploité au XVIIe siècle alors que sur le moment il semble qu’on ait préféré l’ignorer et en rester à l’édition à Dix Centuries “complétée” par rapport à la première édition à dix centuries, datant des années 1580. Tout cela n’empêchera pas pour autant les éditions “janussiennes”, comportant le Brief Discours avec l’annonce de douze centuries de toutes comporter... une Epître à Henri II annonçant la miliade.

L’ouverture du Tombeau de Nostradamus

   Signalons une occurrence biographique séparée des éditions des Centuries avec la parution d’une Histoire Véritable de l’ouverture du Tombeau de Michel Nostradamus lequel a esté ouvert le 5. Jour de Ianvier 1688 avec son Epitaphe & tous les écrits trouvées (sic) dans son Tombeau, lequel prophétise & prédit tous (sic) ce qui doit arriver par tout le monde, au grand étonnement du Peuple.17 On y trouve mis en vers certains passages du Brief Discours :

III - Mon père étoit dans S. Remy Nottaire
Etc.


IV - Et mes Ayeuls du grand Roy de Sycille
Bon Medecins etc.


V - Et moy je fus Médecin sans doutance
Du Roy Henry & de Charles son fils etc.


VI - J’ay epousé deux femmes sans doutance
Qui m’ont donné tous deux fruits de leurs flancs
De la seconde j’ay laissé six enfans
Dont l’un étoit Césard tout plein de fiance.


IX - Enfin mon Dieu m’a tiré de ce monde
L’an mil cinq cens iuste soixante & six


X - Mon Epitaphe on voit chose asseuré
Aux Cordiliers dedans Salon du Craux

   En bas de page et en prose, est repris le texte du Brief Discours, non sans une coquille pour la date de naissance : 1530 au lieu de 1503.

   Figure également le texte de l’épitaphe sans la mention du nom de sa veuve.

   Le texte se conclut sur une sorte de parodie des Centuries comme on n’en trouve pas chez Couillard, qui ne se serait pas privé en 1556 d’un tel exercice s’il avait eu les Centuries sous les yeux.

IV - Lors que la faux sera iointe à potence etc.

   A partir de I, 16 :

Faulx à l’estang ioinct vers le Sagittaire.

La dimension bibliographique dans le Brief Discours

   Le Brief Discours ne fournit pas de références bibliographiques détaillées concernant l’oeuvre de Nostradamus. En revanche, dans le travail de Giffré de Réchac, on a éprouvé le besoin d’inclure, d’interpoler; dans le cours de la biographie, un “catalogue” :

   “Il nous a laissé pour marques de sa capacité de cette science (médicale) quelques oeuvres qu’il a composées, dont voicy le catalogue : suivent des titres comportant le lieu d’édition, Poitiers 1556, Anvers 1557, Lyon 1557.”18

   Dans ce dernier cas, Giffré de Rechac cite la paraphrase de Galien “pièce qui fut imprimée chez Antoine du Rosne”. En revanche, la biographie ne mentionne pas les Centuries mais uniquement les almanachs, comme d’ailleurs l’épitaphe et ce n’est que pour les dits almanachs, selon le dominicain, que Couillard du Pavillon s’en serait pris à lui, tout comme Jodelle. (p. 32)

   Comment expliquer une telle lacune chez un auteur qui, par ailleurs, se sert bel et bien des quatrains centuriques dans son commentaire à l’exclusion d’ailleurs des Présages, contrairement à la pratique du Janus Gallicus ? Nous formulerons l’hypothèse suivante, à savoir que le rédacteur de la partie introductive de l’Eclaircissement n’est pas l’auteur du Commentaire, le Nostradamus glosé. Oeuvre hybride en tout cas que le dit Eclaircissement puisque l’on y trouve en fait deux Vies de Nostradamus avec des passages quasi identiques :

P. 9 (Apologie pour Nostradamus) :
“Mais ce qui acheva de perdre sa réputation fut l’avarice des Imprimeurs & Libraires de son temps (...) ce qui obligea le sieur Antoine Couillard Seigneur du Pavillon près Loris en Gastinois de composer un Livre contre Nostradamus intitulé Les contredits à Nostradamus, qui fut imprimé l’an 1560 dans Paris par Charles l’Anglois (sic pour L’Angelier).”

P. 32 :
“Dautant que les imprimeurs & libraires (...) débitèrent quantité de faux Almanachs sous son nom (...) ce fut la cause des escrits du sieur Pavillon contre luy etc.”

   On ne peut exclure selon nous que la source utilisée ne faisait pas référence - et pour cause - aux Centuries non encore parues à la mort de Nostradamus, même s’il était possible d’en signaler l’existence sous forme de manuscrit, donc sans lieu d’édition et sans titre précis.

   Nous avons déjà à ce propos, dans une précédente étude, signalé une édition allemande de 1572 : Michaelis Nostradami (...) zwey Bücher etc, paru à Augsbourg19, traduction de l’Excellent & Utile Discours (…) divisé en deux parties etc, daté de 1567 (Bibl. Arsenal 8°S 12591), lequel ouvrage allemand comporte une vie de Nostradamus ne se référant pas aux Centuries et probablement traduite d’un texte biographique français paru antérieurement et non conservé.

   On nous objectera que l’auteur de la Vie de Nostradamus dans l’Eclaircissement a pu récupérer des données bibliographiques chez La Croix du Maine qu’il cite d’ailleurs ou chez Du Verdier, mais, dans ce cas, pourquoi ne s’est-il pas servi des références concernant les éditions des Centuries qui s’y trouvent également ? Et si c’était La Croix du Maine qui avait constitué sa documentation, pour sa Bibliothèque (1584) à partir justement d’une Vie de Nostradamus ? En tout état de cause, on ne saurait soutenir qu’on ait attendu 1594 pour publier une Vie de Nostradamus et nous pensons que des pièces du puzzle - comme l’Epitre Besson à Henri II - sont susceptibles de réapparaître, des décennies plus tard tout comme d’ailleurs des documents antidatés (1555, 1557, 1566 etc) peuvent être fabriqués bien après la date dont ils sont porteurs. Reste à savoir qui est l’auteur de la première mouture de cette Vie : il est possible qu’il s’agisse de Jean de Chevigny ou de quelque Mi(chel) Nostradamus le Jeune. Pour notre part, celui qui se nomme Jean-Aimé de Chavigny nous apparaît plutôt - rejoignant en cela les positions de Jean Dupébe et de Pierre Brind’amour - comme un imposteur, un “fourreur” comme on disait à l’époque et qui a donné l’expression “coup fourré” car n’est pas le dit Jean Aimé de Chavigny qui se permit de traduire à sa façon le texte latin de Jean de Chevigny (cf. supra) ?

Les sources du commentaire du Janus Gallicus

   Le commentaire des quatrains, toutes origines confondues, fait largement appel et cela de manière parfaitement explicite à de nombreux travaux historiques de l’époque comme si l’auteur du dit commentaire voulait s’appuyer sur des autorités indiscutables. Le problème - et cela est également vrai, pour la prophétie de Saint Malachie - c’est que ces ouvrages ont pu également servir à composer certains quatrains, encore est-il possible qu’au départ la versification sous forme de quatrains et éventuellement de centuries n’ait pas eu vocation à s’inscrire dans un cadre prophétique.(sur les sources historiques de certains quatrains centuriques, tel Froissard et ses Chroniques (Iere impression, 1504).20 Il nous semble que la seule explication de la présence de quatrains concernant des périodes antérieures à la publication de l’ouvrage qui les comporte est d’avoir voulu faire croire que leur auteur les aurait rédigés avant les périodes en question ; on peut supposer que les quatrains en question aient pu être attribués initialement non pas à un Nostradamus, né en 1503, mais à un prophète des siècles précédents, à la façon d’un Télesphore de Cosenze (fin XIVe siècle), dont le propos est rapporté, en français, dans le Livre Merveilleux, tout comme les devises des papes de la fin du XVIe siècle étaient supposées avoir été données dès le milieu du XIIe siècle, en s’aidant pour composer les dites devises d’Histoires de la Papauté, lesquelles Histoires serviraient également à les valider, faisant ainsi double usage; un tel procédé vaut aussi, peu ou prou, pour les Prophéties Perpétuelles de Thomas Joseph Moult (1740), supposées dater du règne de Saint Louis et qui seront associées aux Centuries en 1866, à l’occasion du troisième centenaire de la mort de Nostradamus, au sein d’un triptyque comportant également la traduction française de la Prognosticatio de Johannes Lichtenberger (parue dans les années 1480), sous le titre de Recueil des Prophéties et Révélations tant anciennes que modernes, que les éditions troyennes (Ruau et Chevillot) associèrent aux Centuries. Il serait souhaitable que l’on découvrît dans quel traité d’Histoire paru dans la seconde partie du XVIe siècle, la composition de toute une série de quatrains prend son origine ; l’ironie du sort serait que le dit traité figurât parmi les ouvrages cités dans le commentaire des quatrains (pour les ans 1534-1589) constituant la plus grande part du Janus Gallicus ; une quarantaine de quatrains y comporte des renvois à l’oeuvre des uns et des autres ; on discernera trois groupes :

   - les publications des années 1550

   Guillaume Paradin, Histoire de notre temps, Lyon, Jean de Tournes, 1550, Reed 1552, Ibidem, BNF, La20 2 (A).

   Johann Sleidan, Histoire touchant l’Estat de la Religion & Républiques sous l’Empereur Charles V (Quint), Impr. Benoist Richard, 1557, BNF Resaq M 14326.

   - les publications des années 1570

   Lorentz Suhr dit Surius, Histoire ou Commentaire de toutes choses mémorables advenues depuis 70 ans, trad. J. Estourneau, Paris, Guillaume Chaudière, 1571, BNF, G 4161 Resaq).

   N. B. Cet ouvrage est remarquable en ce qu’il progresse dans sa recension année par année - de 1501 à 1570 - et c’est d’ailleurs selon ce même principe que fonctionne le Janus Gallicus.

   Jean Le Frère (de Laval), La vraie et entière Histoire des Troubles et guerres civiles avenues (sic) de nostre temps par le faict de religion, tant en France, Allemagne et Pays Bas, Paris M. Locqueneulx, 1574, BNF 8° La21 16A. En outre, pour chaque année, il accumule des notations fort éclectiques, passant successivement de faits politiques à des faits miraculeux en passant par des propos polémiques contre les Protestants, éclectisme qui n’est pas sans évoquer le caractère apparemment discontinu de la suite des quatrains centuriques.

   - les publications des années 1580

   Milles Piguerre, L’Histoire de France, Paris, J. Poupy, 1581, BNF La21 17.

   Richard Dinoth, De Bello civili gallico, 1586, BNF 4° La21 19 Resaq.

   Estienne Pasquier, Lettres, Paris, Abel L’Angelier, 1586.

   Si l’on considère que les Lettres d’Estienne Pasquier (1529 - 1615), lesquelles partent de 1556, ne parurent point avant 1586, pour la première édition, pour finir, lors des éditions suivantes, par couvrir la période allant jusqu’en 1594, on voit que la dernière main du commentaire fut relativement tardive et surtout qu’elle fut le fait de quelqu’un qui n’était peut-être pas très familier avec les événements propres aux années 1550-1560. Nous aurions tendance à penser que la Vie de Nostradamus doit dater des années 1570 et qu’elle fut complétée dans les années 1580. A propos de ces Lettres Historiques, signalons que la Lettre VI, A Monsieur Airault, Lieutenant criminal d’Angers comporte des références à Nostradamus, en rappport avec l’assassinat du Duc de Guise en 1588 à la demande d’Henri III, à Blois21, au sujet du quatrain “En l’an qu’un oeil en France régnera etc” (III, 55). Or, c’est ce même quatrain qui aurait annoncé la mort de son père Henri II, grièvement blessé à l’œil.22

Postel et le Janus Gallicus

   Il convient de s’intéresser à une certaine convergence entre certaines formules propres à Postel23 et certains aspects du Janus Gallicus, à commencer par le titre du recueil ; Postel, en effet, recourt à l’expression Janus Gaulois, dans un manuscrit autographe qui ne fut pas imprimé, intitulé De ce qui est premier pour reformer le monde, traicté nécessaire à salut depuys lan 5566 depuys la création du monde (BNF Latin 3687, fol 44)24, texte que nous avions déjà signalé en ce qu’il exprime sur Henri II. Postel évoque “Janus le Gaulois premier ou antique & second ou nouveau” et ailleurs, dans le même texte, il parle de “Noé dit Janus le Gaulois” (fol. 42). Dans la Loy Salique (1552), il est question de “la vie de Ianus ou de nostre Père Noé”(Ch. V), les français descendant, selon lui, de Gomer, fils de Japhet, un des fils de Noé, avec Cham et Sem. C’est dire l’importance de Noé pour Postel. Or, dans l’Epître à Henri II, ce nom figure à plusieurs reprises : “le premier homme Adam fut devant Noé environ mille deux cens quarante deux ans (...) Après Noé, de luy & de l’universel Déluge, vint Abraham (...) Toutesfois comptant les ans depuis la création du monde iusques à la naissance de Noë, sont passez mille cinq cens & six ans & depuis la naissance de Noé iuques à la parfaicte fabrication de l’arche, approchée de l’universelle inondation passèrent six cens ans (...) et à la fin d’iceux six cens ans Noé entra dans l’arche pour être sauvé du déluge etc.”

   Il est également question de Ianus (BNF, MS Lat. 3398, fol. 55) dans “De la restitution des temps ou du calendrier sacré par Adam avec 800 ans d’observation avec ses derniers enfants institué et par Ianus confermé en l’univers.” On trouve aussi référence au “nom gaulois de Janus”, ainsi qu’un janiculum, dans la Prognostication de sus Paris (ou de ce qui en doibt advenir) extraicte des secrets de la saincte Magie et vraye astrologie des troys roys Mages qui adorerent Nostre Seigneur par Jambaptiste Rorisperge astrologue souverain (BNF MS Latin 3402, fol. 45). C’est dire, en tout cas, que Janus et même Janus Gaulois, font partie du vocabulaire prophétique postélien. Gomer, petit fils de Noé serait le nouvel Adam, premier né après le Déluge dont descendraient les rois de France. Ashkénaze, fils de Gomer.25 Ajoutons que ce thème du Janus-Noé est déjà présent, dès le début du XVIe siècle, chez un Jean Lemaire des Belges.26

   Est-ce à dire que la première épître centurique à Henri II, au début des années 1570, fut marquée par la pensée de Postel ?27 Il est certain que l’épître canonique l’est, ce qui n’est nullement le cas de celle figurant chez Antoine Besson dont nous pensons qu’elle est la première en date de la série centurique des Epîtres au Roi. Il est probable que le texte à tendance postelienne figurant dans l’Epître canonique ait pu circuler dans un autre cadre avant d’y être intégré dans les années 1580 lors de la mise en place de la première édition à Dix Centuries, soit une dizaine d’années plus tard. Rappelons qu’un ensemble comme les sixains a paru séparément des éditions des Centuries.

   Ce problème de l’hétérogénéité des textes est récurrent et constitue un piège de première grandeur pour tous ceux qui prétendent aborder un quelconque texte avec l’idée que celui-ci est né de l’industrie d’un seul et unique auteur, à un moment donné. Le cas du Brief Discours est un cas d’école : on voudrait que tout concordât au sein du Janus Gallicus et qu’il ne puisse exister des contradictions entre les diverses pièces rapportées, des retouches plus ou moins adroites. Or, le fait en soi de récupérer des pièces à droite et à gauche, de multiplier les sources, n’implique nullement que le compilateur ait pleinement la maîtrise de son corpus et qu’il ait conscience de toutes les incompatibilités et les incohérences qui s’y peuvent trouver. Dans le cas du JG, ce qui est frappant, c’est le décalage entre un commentaire central hostile aux Protestants, volontiers qualifiés d’hérétiques et identifiés au mal, notamment à propos du Prince de Condé, Louis de Bourbon, et d’autres pièces louant Henri IV et, dans les deux cas, en s’appuyant sur tel ou tel quatrain nostradamique. Certes, il est toujours possible de tenter d’harmoniser superficiellement un ensemble, au prix d’interpolations, conférant une fausse impression d’unité, mais l’observateur vigilant n’est pas dupe face à un plagiat maquillé et actualisé, lequel plagiat vise à la fois à s’approprier un certain bagage vénérable et à la fois à le mettre au goût du jour, ce qui est un peu la quadrature du cercle. Or, le rôle de l’historien des textes, croyons-nous, n’est pas de “couvrir” de tels agissements mais bien de les révéler et de les dénoncer. C’est le propre de la critique nostradamique et à l’instar de la critique biblique, elle n’épuise pas la foi mais exige qu’elle aille creuser plus profond ; on ne saurait ainsi nier que l’ensemble nostradamique soit doté d’une certaine force d’expression mais cela n’autorise pas pour autant que l’on entretienne une fausse chronologie, un faux récit de sa Création - pour emprunter au Livre de la Genèse - lequel ne résiste guère, du moins sous sa présentation littérale, au savoir scientifique - tant il est vrai que les récits des origines échappent difficilement au mythe.

Jacques Halbronn
Paris, le 25 février 2004

Notes

1 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, pp. 52 - 53. Retour

2 Cf. reprint par R. Benazra, Feyzin, Ed. Ramkat, 2001. Retour

3 Cf. reprint par R. Benazra, Feyzin, Ed. Ramkat, 2001. Retour

4 Cf. B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999, p. 113 . Retour

5 Cf. Nostradamus and His Prophecies, op. cit., pp. 60 - 61. Retour

6 Cf. RCN, pp. 258 - 263. Retour

7 Cf. Nostradamus. Prophecies of Present times ? Willingborough, 1985. Retour

8 Cf. Pitt Francis, op. cit., p. 51. Retour

9 Cf. Pitt Francis, op. cit., p. 64. Retour

10 Cf. RCN, pp. 284 et seq. Retour

11 Cf. RCN, pp. 292 - 294. Retour

12 Cf. RCN, p. 330. Retour

13 Cf. sur ce doublon, E. Leoni, Nostradamus and his Prophecies, New York, 1961, Reed 1982, p. 48. Retour

14 Cf. E. Leoni, Nostradamus and his Prophecies, op. cit., p. 49. Retour

15 Cf. RCN, p. 74 et J. Hogue, Nostradamus. A life and myth, op. cit., pp. 295 - 296. Retour

16 Cf. J. Hogue, Nostradamus. A Life and Myth, Londres, Element, 2003, pp. 299 - 300. Retour

17 Cf. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, n° 292, p. 156, Site BNF, “bibliothèque numérique”. Retour

18 Cf. Eclaircissement, pp. 29 et seq. Retour

19 Cf. M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, n° 121, pp. 67 - 68. Retour

20 Cf. P. Lemesurier, The Unknown Nostradamus, the essential biography for his 500th birthday, Alresford, J. Hunt, 2003, pp. 96 et seq et Nostradamus, The illustrated Prophecies, Winchester, 2003, pp. XII-XIII. Retour

21 Cf. I. Wilson, Nostradamus. The evidence, op. cit., pp. 331 - 332, et l’édition critique de D. Thickett, Genève, 1966, pp. 361 - 377. Retour

22 Cf. certaine version contrefaite de l’Epître introductive (dédiée à Jean de Vauzelles, à la Prognostication pour 1562, sur ce sujet voir notre étude dans nos Réponses au dossier CURA 26, sur Espace Nostradamus. Voir aussi I. Wilson, Notradamus. The evidence, Londres, Orion, 2003, p. 176. Retour

23 Cf. notre étude sur “les années 1570”, Espace Nostradamus. Retour

24 Cf. F. Secret, Bibliographie des manuscrits de Guillaume Postel, Genève, Droz, 1970, pp. 97 - 98. Retour

25 Cf. C. G. Dubois, Celtes et Gaulois, op. cit., pp. 80 - 81. Retour

26 Cf. C.G. Dubois, Celtes et Gaulois, op. cit., pp. 29 - 30. Retour

27 Cf. notre étude sur les Années 1570, op. cit. Retour



 

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