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ANALYSE

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Les chronologies officielles
des quatre premières éditions des Centuries

par Jacques Halbronn

    Quand les premières Centuries parurent à la fin des années 1560, et quand Crespin quelques années plus tard les désarticulait, sans le dire, dans ses Prophéties dédiées à la Puissance Divine, dans quel ordre se présentaient-elles ? Certainement sous celle avec laquelle nous ont familiarisé les éditions antidatées supposées parues entre 1555 et 1568. Et ce pour la bonne raison que les Centuries numérotées VIII à X, dans le canon, ne pouvaient l’être puisqu’à l’époque on ne connaissait que six centuries, ce qu’atteste le travail du dit Crespin.

   Mais il serait peut-être trop simple de conclure que les Centuries VIII à X étaient alors numérotées IV à VI. En effet, ne sait-on point qu’il y eut une addition à la “dernière” centurie et que celle-ci n’était visiblement pas la centurie numérotée X dans le canon, laquelle n’est suivie d’aucune addition ?

   En revanche, nous savons que la centurie numérotée III dans le canon fut suivie d’une telle addition, puisque l’on connaît des éditions à 53 quatrains (Macé Bonhomme 1555, Ed. Raphaël du Petit Val, Rouen, 1588) à la centurie numérotée IV dans le canon ou qui signalent cette addition à la IV (Editions parisiennes, 1588, 1589).

   Ne serait-on pas tenté d’appeler dernières les Centuries VIII-X mais ce serait oublié que sous la Ligue les dites Centuries semblent ne pas avoir circulé tant et si bien que lorsqu’elles réapparaîtront, l’Epître à Henri II figurant dans les Centuries ira jusqu’à présenter ces Centuries là comme les dernières puisque “parachevant la miliade”.

   “Tellement que j’ay esté en doute longuement à qui je viendrois consacrer ces trois Centuries du restant de mes Prophéties, parachevant la miliade”.

   On comprend alors la formule figurant en tête du groupe de ces trois “dernières” centuries :

Centuries VIII. (e) IX. (e) X. (e) qui n’ont encores iamais esté imprimées.

   Une telle présentation laisse clairement entendre que les centuries VIII-X sont plus tardives que les sept centuries précédentes - puisque elles sont précisément numérotées VIII-IX-X - ce qui est manifestement faux.

   Rappelons, en passant, que le point après le nombre implique un passage du cardinal à l’ordinal. Cette règle n’a plus été suivie si bien que l’on dit Centurie VIII au lieu de Centurie huitième, Henri II au lieu d’Henri Second et ainsi de suite, erreur qui n’est pas commise en anglais et que l’on retrouve également dans la façon de lire les jours du mois : 2 janvier au lieu du tiers ou troisième de Janvier (third of January). La tradition ne s’est maintenue que pour “premier”.

   Autrement dit, on confirmait ainsi que les Centuries numérotées I à VII étaient parues avant les Centuries annoncées par l’Epître au Roi et pour ce faire, il était impératif de les faire paraître avant 1558, date où la dite Epître, sous la forme qui était désormais la siennes, était datée. On comprend ainsi que l’on ait fabriqué de fausses éditions datées de 1557, faisant elles-mêmes suite à une édition datée de 1555. Il fallait impérativement que les sept Centuries publiées sous la Ligue fussent initialement parues avant 1558, date butoir.

   On nous objectera que tout cela ne semble pas compatible avec l’édition qui serait parue en 1560 et comportant, on l’a vu, une addition à la “dernière” Centurie. Nous avons déjà signalé une telle incohérence mais elle est le fait du manque de concertation entre les faussaires et de leur manque d’information.

   La fiction de l’édition Barbe Regnault appartient en effet à une toute autre époque, celle où les centuries numérotées VIII-X dans le canon étaient encore placées en tête, précédées d’une version de l’Epître à Henri II sensiblement différente de celles figurant dans le canon avec la forme “à la miliade”. A partir du moment où les premières centuries avaient été composées, selon la fiction acceptée alors, en 1558, il n’y avait aucune difficulté à ce qu’une addition eût lieu en 1560. En revanche, dès lors que ces premières centuries devenaient les dernières, les autres Centuries devaient nécessairement se présenter comme étant parues auparavant, donc avant 1558. On voit à quel point le changement de positionnement des centuries accompagnant l’Epître au Roi détermine une modification de la chronologie des Centuries.

   Certes, mais à quel moment commença-t-on à produire des éditions supposées parues du vivant de Michel de Nostredame ? Il semble que cela ait coïncidé avec les premières additions au premier train de six centuries paru en 1568. Or, Crespin ne fait-il pas déjà état de quelques quatrains appartenant au début de la IVe Centurie, soit déjà une première addition correspondant à l’édition Barbe Regnault 1560 avec son supplément de 39 articles ?

   Ce qui nous préoccupe davantage est la question des additions aux six premières Centuries lesquelles devaient comporter deux volets : l’une se présentant comme une réédition de la vraie édition comportant une Préface à César, et signalée par Couillard, en 1556, l’autre comme une addition à celle-ci, introduite par l’Epître au Roi, retouchée par rapport à la vraie Epître (cf. infra). Mais, comment dans ce cas, nous objectera-t-on les premières Centuries auraient-elles pu être celles introduites par la dite Epître au Roi puisqu’il s’agirait d’une suite ? Certes, mais comment expliquer alors la formule attesté par le Manuel du Libraire de Brunet :

Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores esté imprimées lesquelles sont en ceste presente édition. Reveues & additionnées par l’Autheur pour l’An mil cinq cens soyxante & un de trente-neuf articles à la dernière Centurie.

   mais aussi signalée strictement dans les mêmes termes, bien que sans nom de libraire, dans toute la production parisienne des années 1588 - 1589.

   En fait, cette formule “à la dernière centurie” ne fait sens que si l’on évacue les Centuries VIII-X comme c’est justement le cas sous la Ligue et on peut se demander si cela ne concerne pas plutôt une huitième centurie, laquelle figure dans toutes les éditions parisiennes, comme par hasard et qui semble devoir se substituer à la huitième Centurie du volet évacué. Notons que cette huitième Centurie du temps de la Ligue se maintiendra en annexe de l’autre huitième Centurie dans les éditions du XVIIe siècle.

   “Autres cy devant imprimées soubz la Centurie huictiesme”

   On n’y trouve certes que six quatrains mais la septième centurie, également, ne comportait-elle pas, elle non plus, que quelques quatrains, repris d’ailleurs de l’almanach pour 1561, soit pour la même année que l’édition Barbe Regnault de ces Centuries augmentées et dont le contenu devait être identique à celui des éditons parisiennes puisque, en réalité, déterminé par le contenu des dites éditions. Le choix de 1561 est assez judicieux en ce que 1561 se situe trois ans après 1558 tout comme 1558 vient trois ans après 1555. Mais en fait, 1561 se substitue ici à 1558. On fait ainsi écrire Nostradamus non plus avant la mort d’Henri II en 1559 mais à la fin du règne de François II, mort en 1560.

   Cependant, comme nous l’avons montré dans une autre étude1, il semble bien que Crespin ait eu accès à des quatrains de la centurie IV, dont certains versets de sa compilation semblent bel et bien issus. Est-ce que cela ne viendrait pas corroborer la thèse d’une addition à 39 quatrains à la “dernière” centurie ? On ne peut pas exclure que cette addition ait figuré à la suite de la dixième et dernière centurie, selon la numérotation canonique (VIe centurie selon la numérotation que nous supposons avoir été en vigueur en 1568) et que par la suite, quand on évacua les centuries VIII-X, elle se soit retrouvé en position de IVe Centurie. Et c’est sur cette base là qu’ultérieurement on serait passé à la structure IV-VII / 53-100-71-35. N’oublions pas que les versets nostradamiques chez Crespin ne sont jamais numérotés.2

   Cela dit, se pose pour nous le problème de la production à la fin des années 1560 d’une édition antidatée qui serait parue chez Barbe Regnault en 1560. On comprend qu’à la suite de la production posthume de six centuries, certains aient voulu exploiter le filon en en proposant une suite, comme de nos jours au cinéma. Pourquoi, en effet, Nostradamus n’aurait-il pas rédigé après 1558, date de l’Epître au Roi un supplément, pourquoi aurait-il tout bouclé en cette année 1558 alors que tant d’événements cruciaux allaient se dérouler dans les années 1559 - 1560 suivis du début des Guerres de Religion ? Mais dans ce cas, pourquoi ne pas admettre que l’édition posthume de 1568 comportât les 39 quatrains en question ? Certes, mais si c’est une édition posthume, constituée de textes restés inédits, il ne saurait être question d’une parution en 1560 de tout un lot de Centuries dont les 39 quatrains en question n’auraient été que l’appendice. Rappelons en passant qu’en tout état de cause, l’Epître à Henri II “à la miliade” ne saurait admettre une telle addition postérieure à 1558.

   Il semble que la meilleure explication soit la suivante : la première édition des Centuries à six centuries serait parue avec la date de 1558 et non de 1568, c’est à dire qu’elle aurait adopté l’année de l’Epître au Roi de juin 1558. Et dès lors, selon une même logique de contrefaçon, on aurait par la suite publié une nouvelle édition censée parue en 1560, avec une addition de 39 quatrains et c’est cette édition que Crespin utilisa pour réaliser ses adresses de la Prophétie dédiée à la puissance divine et à la nation française. Précisons à ce propos que Crespin utilisera un titre assez proche en une autre occasion, en 1574, il s’agit de l’Epistre de Profetie de paix, qui doit venir au Royaume de France sans dissimulation, qui régnera plus de trois cents ans (...) dédiée à monsieur le mareschal d’Anville & à la nation chrestienne, Lyon, Jean Patrasson (BNF, V 21373). Le rapprochement s’impose en ce qu’on y trouve à la dernière page toute une série d’adresses dans le style des adresses de la Prophétie de 1572 mais cette fois sans versets centuriques. Il est intéressant de comparer ces deux listes.

   Certes, les deux éditions datées de 1558 et de 1560 n’ont pas été conservées et l’on ait tenté un peu vite de ne pas en tenir compte en privilégiant des éditions bien plus tardives datées de 1555, 1557 et 1568, qui elles sont disponibles.3 En fait, on ne saurait exclure que la date de 1568, qui n’est attestée qu’en 1586, dans la Bibliothèque d’Antoine du Verdier, n’est pas le fait d’une erreur, confondant 1558 et 1568. En 1588, il sera apparu qu’il pouvait être utile de recycler le titre de l’édition contrefaite Barbe Regnault annonçant une addition “à la dernière centurie” pour justifier la production d’une centurie VIII prenant la place de l’ancienne ; on voit mal, en effet, les libraires parisiens inventer de toutes pièces une telle édition.

   Il ne faut en tout cas pas se fier aux intitulés des deux volets tels qu’ils sont annoncés dans une édition comme celle datée de 1568, chez Benoist Rigaud, et se présentant carrément comme d’époque (reprint Chomarat, 1568) et qui suppose trois stades successifs, à 4, 7 puis 10 centuries comme l’indiquent les titres des deux volets :

      1 - “Dont il y en a trois cens qui n’ont encores esté imprimées”.

      2 - “Centuries VIII. IX. X. qui n’ont encores iamais esté imprimées”.

   Il semblerait, au vu de l’édition Barbe Regnault que le titre “Centuries VIII, IX, X etc” n’était pas alors à l’ordre du jour.

   On notera toutefois un détail qui n’est peut-être pas sans importance : l’intitulé exact de l’édition Barbe Regnault pourrait être plus authentique que celui qui sera par la suite de mise :

Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores esté imprimées lesquelles sont en ceste presente édition etc.

   Cette forme “lesquelles sont en ceste présente édition” et qui se trouve également dans les éditions parisiennes de 1588 - 1589 est absente de l’ensemble des autres éditions connues, en leur premier volet, à commencer par les éditions rigaldiennes, toutes versions confondues.4 Nous pensons qu’il est extrêmement improbable que l’édition Barbe Regnault - un libraire bien connu des faussaires5 - n’ait point existé ; elle nous semble au contraire constituer une pièce maîtresse pour cerner la genèse du corpus centurique et pour détecter les faux, quand bien s’agirait-il aussi d’un faux, ce qui ne saurait être un argument à retenir : un faux peut en cacher un autre et un faux peut permettre d’en détecter un autre. La présence de l’édition Barbe Regnault, au supplément du Manuel du Libraire et de l’Amateur de livres de Brunet6 nous paraît un gage non pas évidemment d’authenticité mais d’existence. Mais Brunet précise que “cette édition contient 7 centuries”. On aimerait bien savoir lesquelles. Même s’il ne s’agissait là que d’une contrefaçon du temps de la Ligue avec un contenu semblable à celui des éditions parisiennes, le titre de l’édition n’en est pas moins tout à fait révélateur et aurait repris celui de l’édition utilisée par Crespin mais avec un contenu bien différent : dans le cas de la “vraie fausse” édition parue avant 1572, on aurait les Centuries I-III, IV, VIII-X, selon la numérotation canonique qui n’était pas alors en vigueur et dans la “fausse fausse” édition de 1588 - 1589, on aurait les centurie I à VIII.

   Paradoxalement, il nous apparaît que l’édition dont nous avons le plus de raison de croire qu’elle ait existé serait l’édition datée de 1560 comportant selon nous les centuries I-III et VIII-X plus 39 quatrains de la IV qui serviront de point de départ par la suite pour ce que nous avons appelé les centuries additionnelles, absentes de la compilation de Crespin de 1572. Centuries additionnelles qui se trouvaient à la suite de la Xe centurie jusqu’à ce que l’évacuation des centuries VIII-X vienne les placer à la suite de la IIIe centurie.

   Reprenons donc attentivement le titre de l’édition Barbe Regnault qui est notre fil d’Ariane pour aborder la ou les éditions qui lui sont antérieures. Cependant, la forme Les Prophéties de M. Michel Nostradamus comme nous l’avons exposé dans une précédente étude, nous semble caractéristique des éditions parisiennes et ne saurait faire référence. En revanche, la suite du titre nous semble plus pertinente : Dont il y en a trois cens qui n’ont encores esté imprimées lesquelles sont en ceste présente édition. Ce qui concerne le cas de l’édition Barbe Regnault est la fin du titre Reveues & additionnées par l’Autheur (sic) pour l’An mil cinq cens soyxante & un de trente-neuf articles à la dernière centurie. Considérons donc la partie du titre concernant le ou les éditions antérieures à la dite édition Barbe Regnault, 1560 à savoir Dont il y en a trois cens qui n’ont encores esté imprimées lesquelles sont en ceste présente édition. Titre qui est à rapprocher de celui de l’édition rouennaise de 1589 : Les Grandes et Merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus dont il en y a trois cens qui n’ont encores jamais esté imprimées esquelles se voit représenté une partie de ce qui se passe en ce temps , tant en France, Espaigne, Angleterre que autres parties du monde. Nous avons dit plus haut pourquoi la suite du titre de l’édition Barbe Regnault nous semblait plus authentique avec la forme “lesquelles sont en ceste présente édition” qui manque partout ailleurs.

   Qu’apprend-on du titre ? Qu’il y a trois stades ou que du moins c’est ce qu’on veut nous faire croire :

      Stade 1 : les Grandes et Merveilleuses prédictions, si l’on s’en tient à ce titre qui nous semble préférable à la forme Les Prophéties de M. Michel Nostradamus.

      Stade 2 : dont il y en a trois cens qui n’ont encores esté imprimées lesquelles sont en ceste présente édition.

      Stade 3 : Reveues & additionnées par l’Autheur (sic) pour l’An mil cinq cens soyxante & un de trente-neuf articles à la dernière centurie.

   On serait tenté de “traduire” :

      Stade 1 : Préface à César de 1555 et centuries I-III.

      Stade 2 : Epître à Henri II de 1558 et centuries VIII-X.

      Stade 3 : 39 articles constituant une première mouture de la centurie IV.

   On comprend d’ailleurs pourquoi l’édition rouennaise à 4 centuries s’intitule simplement Les Grandes et merveilleuses predictions de M. Michel Nostradamus divisées en quatre centuries esquelles se voit représenté etc. Tout se passe comme si on avait dans un deuxième temps interpolé entre Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus et esquelles se voit représenté etc la formule : dont il y en a trois cens qui n’ont encores esté imprimées lesquelles sont en ceste présente édition.

   Ainsi, peut-on raisonnablement reconstitué une série de trois intitulé successifs lesquels s’enchaînent les uns dans les autres, à ce détail près que la formule “divisées en quatre centuries” ne nous semble pas recevable puisque précisément la quatrième centurie correspond au départ à l’addition de 39 quatrains, d’autant que la centurie IV de l’édition rouennaise se termine par un quatrain numéroté 53, et que de ce fait cette mouture de la IV est inséparable des centuries V, VI et VII, comme c’est le cas de l’édition rouennaise parue l’année suivante. Mais, dans ce cas, pourquoi avoir publié à Rouen en 1588 une édition à quatre centuries alors qu’on venait de passer quelques années plus tôt par une édition à dix centuries de quatrains, comme est attesté par Antoine Du Verdier, en 1585 ? Selon nous, il s’agit d’une tentative maladroite de reconstituer les trois premières éditions des Centuries. Or, il est remarquable que si les deux éditions rouennaises pourraient tout à fait correspondre aux stades I et II décrits plus haut, les diverses éditions parisiennes décriraient, en leur titre sinon en leur contenu, le stade III. Tout se passe comme si l’on avait disposé à l’époque des pages de titre des trois premières éditions, mais en ne gérant pas correctement le découpage interne des dites éditions et ce pour l’excellente raison que les Centuries VIII-X n’étaient plus prises en compte et remplacées en quelque sorte par trois autres centuries V-VII. Or, ce n’étaient pas trois mais quatre centuries qui se présentaient à la place des Centuries VIII-X d’où l’idée de placer la centurie IV dans le premier groupe, de façon à ménager le principe d’une addition de trois centuries ou de trois cents quatrains. Mais là encore, vu que trois Centuries additionnelles sur quatre7 n’étaient pas complètes, il convenait de les amener à cent chacune de façon à mieux correspondre avec les Centuries VIII-X, complètes et au titre correspondant dont il y en a trois cens qui n’ont encores esté imprimées. Il s’agit bien là de 300 quatrains à mettre en place, ce qui d’ailleurs ne sera jamais strictement obtenu, du moins avec les trois centuries V-VII. Le fait de prendre en compte la centurie IV ne pouvait que déstabiliser tout le système en ajoutant une quatrième centurie là où il n’y aurait du exister que trois centuries. Or soit on prenait en compte la centurie IV à 100 quatrains et on dépassait les 300 quatrains, soit on ne prenait que le supplément de 47 quatrains et ajoutés aux 35 quatrains de la VII ; on n’arrivait plus à 300 ! Une telle comptabilité nous semble assez improbable : au départ trois cents quatrains ne pouvaient que signifier trois centuries et non pas une besogneuse addition de quatrains appartenant à quatre centuries. On voit donc à quel point les libraires rouennais et parisiens mais aussi anversois sont embarrassés par des intitulés inadéquats mais auxquels ils semblent farouchement tenir. Cet embarras même nous semble conférer un caractère d’authenticité aux titres, aux contenants, aux signifiants que nous proposons de découpler radicalement des contenus, des signifiés. Embarras qui vient du fait qu’on a un titre à trois étages alors qu’on ne dispose plus, pour cause de censure, que de sept centuries et qu’il faut masquer cette absence !

   L’édition la plus complète dont on disposait à la fin des années 1560 était celle correspondant au titre de l’édition Barbe Regnaut et non pas à celui de l’édition Benoist Rigaud, laquelle ne mentionne pas l’addition de 1560, ce qui la disqualifie ipso facto et cette fois peu nous importe quel est le contenu si l’étiquette n’est pas appropriée. Insistons sur ce point, une édition COMPLETE des Centuries, au sens où elle a pu circuler avant 1572 devait impérativement comporter mention d’une ultime addition à “39 articles”, comme l’avaient bien compris les éditions parisiennes de 1588 mais non les éditions rouennaises et anversoise qui ne la comportent pas et en sont restées au stade II.

   Les historiens des textes et des langues ont souvent à se féliciter de l’attachement à certains archaïsmes, ce qui compense par ailleurs la tendance à brouiller les pistes. On a là un exemple d’école de la coexistence de telles exigences contradictoires. Mais qui s’en plaindrait ?

   Cette édition de 1560 allait d’ailleurs se révéler gênante dès lors que l’on passerait à une Epître à Henri II “à la miliade”, impliquant qu’aucune addition ne pouvait plus avoir eu lieu après 1558, d’où la contraction de la chronologie centurique entre 1555 et 1558, avec à la clef les éditions de 1557, lesquelles passaient d’un stade post 1558 à un stade pré-1558 ; on est en pleine réécriture de l’Histoire, dans un parfait style stalinien !

Les deux premières éditions

   Nous pensons connaître les deux premiers titres utilisés pour introduire les Centuries, et il ressort que la seconde édition incluait le contenu de la première et y ajoutait trois centuries supplémentaires.8 tout comme la troisième édition incluait le contenu des deux précédentes. Mais est-ce que tout cela justifie la présence de deux Epîtres ? Oui, dès lors que la seconde signale la précédente et qu’elle parle de “parachever” le nombre de Centuries. A condition toutefois qu’il ne soit plus question de “miliade”, puisque tel n’était pas le cas. Est-ce à dire que ces trois stades étaient prévus dès le départ ? Nous ne le pensons pas. Il semble bien plutôt qu’on ait exploité un filon. Il n’est nullement certain que la première édition envisageait une quelconque suite et de même pour la deuxième édition. Il a pu s’agir d’une sorte de partie de ping pong prophétique entre des camps politico-religieux opposés.9 Une fausse épître à Henri II répliquant à une fausse Epître à César et une troisième réplique venant encore s’ajouter avant que d’autres ne soient produites, quelques années plus tard jusqu’à la tentative d’insertion des sixains.

   On sera peut-être surpris du procédé consistant à récupérer l’édition antérieure pour u placer de nouvelles centuries ou des quatrains supplémentaires. Mais on fera remarquer que rien ne prouve que les quatrains de la précédente édition n’aient été retouchés, remaniés, remplacés et que par ailleurs, chaque fois il s’agissait vraisemblablement d’une addition plus tardive de l’ “auteur”, selon la formule de l’édition Barbe Regnault, addition donc plus à la page que l’état antérieur, l’épître de 1558 venant reconsidérer celle de 1555, tout comme le Nouveau Testament par rapport à l’Ancien et l’addition de 1560 venant à son tour remettre les pendules à l’heure. On peut parler là d’une certaine surenchère.

   Tout aurait donc commencé avec la mise sur le marché, à la mort de Michel de Nostredame, d’une Epître de celui-ci à son fils en date de 1555, laquelle n’est en fait qu’une version remaniée, dont Couillard atteste avec Videl de l’existence et qui d’ailleurs devait comporter quelques quatrains. On se sera donc contenté de retoucher l’Epître et d’augmenter sensiblement le nombre de quatrains ne serait-ce que pour montrer quel grand prophète avait été Nostradamus, lequel aurait ainsi annoncé le désastre de Saint Quentin et bien d’autres “malheurs”, comme disait un Pierre Ronsard.

   Mais ces éditions se présentaient-elles comme antidatées ou plutôt comme nous le pensons comme retrouvées dans la bibliothèque de Nostradamus ? En ce qui concerne les deux premières éditions, nous opterons pour la seconde solution car à cette époque la ficelle aurait été un peu grosse: plus tard, sous la Ligue, on pourra se permettre de renoncer au caractère posthume des Centuries. En revanche, pour la troisième édition Barbe Regnault, il semble que l’on ait fait encore plus fort et que l’on ait carrément laissé entendre que Nostradamus avait publié en 1560 la dite troisième édition, ce qui supposait, ipso facto, qu’il en avait été de même pour les deux précédentes éditions, à moins de supposer que même pour cette troisième édition, on s’en soit tenu à la thèse d’une publication posthume d’un texte rédigé, par définition, du vivant de l’auteur mais resté dans ses papiers ou ayant éventuellement circulé en manuscrit et de façon assez confidentielle. Mais on peut tout aussi bien admettre que la surenchère aidant on ait pu laisser entendre, dans cette troisième édition, que toutes les éditions étaient parues du vivant de Nostradamus, ce qui aurait été un précédent pour les faux antidatés de 1555 et 1557 qui seront commis par la suite. Le débat ne tourne pas ici autour de la question de savoir si Nostradamus publia ou non des Centuries, selon le contenu du canon, de son vivant mais si ou non on a voulu le laisser croire, après sa mort. Il est de fait que si l’on a utilisé des intitulés d’épîtres réellement parues de son vivant, tant pour César que pour Henri II, dans les années 1555 - 1556 on peut raisonnablement supposer que l’on a pu en effet vouloir laisser entendre que les Centuries étaient bel et bien parues en ces années là, sans qu’on comprenne très bien pourquoi il y aurait eu besoin de changer la date de l’Epître à Henri II de 1556 en faveur de l’année 1558. Le recours non pas à des faux mais à des contrefaçons d’épîtres ayant existé et auxquelles il fut répliqué aura d’ailleurs conduit certains nostradamologues à ne pas douter de l’authenticité des dites éditions ainsi introduites. Malheureusement, pour eux et notamment pour le nostradamologue anglais P. Lemesurier10 si l’on n’a pas retrouvé une Epître à César dans un cadre non centurique, c’est en revanche bel et bien ce qui s’est produit - et Ruzo le savait pertinemment puisqu’il reproduit le début de la dite épître dans son Testament de Nostradamus11 - pour l’Epître à Henri II placée en tête des Présages Merveilleux pour 1557, texte qui ne comporte pas le moindre quatrain et dont nous avons une reproduction intégrale à la Bibliotheca Astrologica, grâce à l’amabilité de Madame Carola de Ruzo, laquelle nous a dédicacé un ouvrage publié par son mari en 1991 et intitulé Nostradamus. La tercera inundacion. La invasion Arabe de Europa ? Editorial Mundo Hipano de Morelos, Mexique et qui se trouve également dans les collections de la Bibliotheca Astrologica, et qui pourrait éventuellement être traduit en français. Une première édition de cet ouvrage était parue en 1989, à Cuernavaca, dans la ville où il résidait et où se trouvait sa bibliothèque nostradamique. On y apprend le nom complet de Ruzo : Daniel Ruzo de los Heros et s’y trouve une photo très expressive du chercheur péruvien, à la veille de sa mort. Nous consacrerons prochainement une étude à la Tercera Inundacion, ouvrage rédigé au lendemain de la chute du mur de Berlin.

La question des sixains

   On doit encore s’interroger quant à la date la version “à la miliade” de l’Epître au Roi. Il ne faudrait peut-être pas oublier la question des sixains. En effet, stricto sensu, .les six centuries pleines et la centurie VII à 40 ou 42 quatrains plus les trois centuries “royales”, ne donnent pas un total de mille quatrains. Tant qu’à faire, puisque l’on n’était pas à une manipulation près, autant se débrouiller pour avoir bel et bien 1000 strophes prophétiques.

   Ce qui nous conduit à penser que la mention de la miliade ne peut être antérieure à l’insertion de 58 sixains venant compléter opportunément les 42 quatrains de la VII.e Centurie. Alors, enfin, pourrait-on parler de “miliade” par l’addition de 300 strophes aux 700 déjà existantes.

   On nous objectera que les 58 sixains sont placés dans les éditions connues à la suite des dix centuries et non point à la suite de la centurie VII qu’ils sont censés venir compléter. C’est d’ailleurs, cette anomalie qui a parfois découragé un rapprochement entre les sixains et la dite centurie VII.

   Autre difficulté : faut-il supposer, selon une telle représentation des choses, que les sixains auraient pu être présentés comme parus avant 1558 ? Ne pourrait-on envisager l’hypothèse suivante, à savoir que les sixains n’ont fait que prendre la place d’une précédente série de 58 strophes, laquelle complétait la VII et dont nous n’avons pas trace ? Cette addition aurait été remplacée par une autre. On n’a pas en tout état de cause conservé cette édition mais l’Epître à Henri II, de par sa référence à la miliade, permet d’en concevoir l’existence. Rappelons cependant que les sixains se présentent au contraire comme postérieurs à la miliade, puisque introduits par une épître à Henri IV, datant de 1605. Il semble qu’il s’agisse d’une initiative assez maladroite visant à atteindre précisément la miliade annoncée. Mais ne serait-ce pas plutôt l’indice que cette miliade n’était pas vraiment de mille quatrains et que, par un certain excès de zèle, certains voulurent, après coup, lui donner raison ? On peut donc raisonnablement ne pas tenir compte des sixains pour dater l’Epître à la miliade. En revanche, cette quasi-miliade impliquait que les neuf autres Centuries disposent bien de 100 quatrains, situation qui ne se présenta pas selon nous avant la fin des années 1580, à Rouen, Paris, et Anvers, avec une centurie VI passant de 71 à 100. Mais, à cette époque, on le sait, il n’était plus question des Centuries numérotées VIII-X et on se basait sur un corpus de 642 quatrains. C’est le passage de 642 à 942 quatrains qui conduira à l’Epître à la miliade, avec le retour, le recyclage de trois centuries déjà parues à la fin des années Soixante, ce qui est bel et bien un subterfuge.

   On notera à quel point le problème de la “dernière” centurie apparaît assez épineux et tributaire du sort des éditions successives. Au départ, les dernières centuries étaient celles introduites par l’Epître à Henri II. Puis une fois ces centuries bannies, la dernière centurie devint la VIIe et l’addition concernait donc une VIIIe centurie. Puis, lors du “retour” des centuries “henriciennes”, celles-ci retrouvèrent leur statut de “dernières” centuries. Cependant, l’apparition des sixains allaient faire émerger une XIe Centurie, laquelle devenait ainsi la nouvelle dernière centurie, encore ce statut fut-il remis en question puisque les éditions Benoît Rigaud 1568, celles que d’aucuns considèrent comme authentiques, ont évacué les sixains. Encore ne faudrait-il pas oublier que dans le Janus Gallicus, il existe une autre centurie XI (et XII) qui figureront également dans nombre d’éditions du XVIIe siècle, sans aucun lien avec les sixains ? Une fois de plus, la centurie X retrouve, après maintes tribulations, son statut de “dernière” centurie, ce qui ne signifie nullement, pour autant, qu’elle soit parue après les centuries V à VII ! La question de la “dernière” centurie souligne à merveille le chevauchement des éditions - s’agit-il de la troisième, la sixième, la septième, la dixième ou la onzième centuries ? - et montre à quel point un même signifiant “dernier” n’a pas un sens univoque dans le champ centurique.

   La chronologie des trois premières éditions des Centuries a visiblement été remaniée: on est passé d’une structure 1555-1558-1560 à six centuries pleines plus une à 39 quatrains, les autres centuries venant s’ajouter ultérieurement à une structure verrouillée 1555-1557-1558, à neuf centuries pleines plus une à 42 quatrains. L’édition datée de 1560 se retrouvait indésirable dès lors que l’on introduisait dans l’Epître à Henri II l’idée d’un parachèvement de la miliade. Or, comme la dite édition de 1560 était la référence en 1588-1589, force est de constater que cette mouture à la miliade de la dite Epître est sensiblement postérieure à cette époque. Plus que jamais les éditions de la Ligue constituent la clef incontournable de la chronologie des éditions et on voit d’ailleurs à quel point nos adversaires cherchent à disqualifier ces éditions en jetant le bébé avec l’eau du bain. Quelle est l’importance de l’année 1568 dans la chronologie des premières éditions toutes parues après la mort de Michel de Nostredame quand bien se référeraient-elles à des dates antérieures de composition voire de diffusion ? Rappelons que de fausses éditions ont circulé, datées de 1566, année de la mort de MDN, ce qui va dans le sens de la thèse des éditions posthumes mais 1568 est attesté en 1585 par Du Verdier et chez Benoist Rigaud, ce qui est l’occasion de rappeler que nous ignorons chez quels libraires les premières éditions sont parues : Sixte Denyse, signalé par La Croix du Maine, a pu être utilisé pour la publication de la première édition, datée de 1556, “Les Quadrains ou Prophéties dudit Nostradamus ont été imprimés à Lyon l’an 1556 par Sixte Denyse & encore à Paris & autres lieux, à diverses années”. Rappelons aussi que les éditions hollandaises (Leyde, 1650 etc) se référent aux “éditions imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an1558 & autres”. On ne peut d’ailleurs pas exclure que le dit Sixte Denyse ait véritablement publié la première Epître à César avec quelques quatrains cométiques12 et que l’on ait repris son nom pour une contrefaçon, ce qui est la loi du genre. Rappelons que c’est le libraire parisien Jacques Kerver qui publia la “vraie” Epître à Henri II et que son nom peut avoir été utilisé pour la contrefaçon de l’Epître à Henri II tout comme le sera celui de Barbe Regnault, éditeur d’une Prognostication de Nostradamus pour 1562 qui sera d’ailleurs contrefaite par ailleurs, en son épître introductive13 sans parler du faux almanach pour 1563 conservé à la Bibliothèque Municipale de Lille.

   On peut se demander si l’édition datée de 1568 ne serait pas précisément la quatrième édition à dix centuries mais une édition qui ne serait parue qu’au début des années 1580 et faisant logiquement suite à l’édition datée de 1560. Autrement dit, nous aurions affaire tant avec Sixte Denyse et Barbe Regnault à des éditions antidatées tout comme avec Macé Bonhomme et Antoine du Rosne. Mais il est aussi possible qu’une édition reproduisant l’édition Barbe Regnault ait été bel et bien publiée en 1568, puisque les éditions antidatées servent souvent d’alibi à des éditions paraissant en temps réel. C’est ainsi que les éditions de la Ligue ont connu deux manifestations : l’une avec de “vraies” dates (1588, 1589, 1590) et d’autres avec de fausses dates dont elles étaient censées être la copie alors que c’était l’inverse qui était vrai.

   On aurait alors le modèle cumulatif suivant : 1555 (3 centuries) - 1558 (trois plus trois) - 1560-(trois plus trois plus 39 quatrains ), 1568 (trois plus trois plus quatre centuries, dont trois incomplètes, IV, VI, VII) puis une étape supplémentaire impliquant neuf centuries pleines et une centurie (VII) incomplète, à 40 / 42 quatrains, correspondant à l’Epître à la miliade, dernière étape qui correspond au Janus Gallicus de 1594 qui commente des quatrains recouvrant peu ou prou un tel ensemble.

   A partir de la mise en place de l’Epître à la miliade vient se mettre en place une nouvelle chronologie officielle 1555- 1557-1558-1568, qui va générer une nouvelle série d’éditions antidatés correspondantes avec notamment l’édition Macé Bonhomme - il y a eu plusieurs impressions identiques sur le fond mais avec des variantes, ce qui peut impliquer avec un certain intervalle de temps entre les dites impressions - et les éditions Antoine du Rosne - il s’agit bien là d’éditions sensiblement différentes sur le fond et donc forcément sur la forme et donc là encore se succédant sur un certain laps de temps. Des éditions comportant référence à 1568 et à Benoist Rigaud paraîtront à Troyes dans la logique de la miliade pour aboutir au XVIIIe siècle à de fausses éditions Rigaud, allant dans le même sens, mais débarrassées de toutes sortes d’annexes, ce qui leur conférera, à bon compte, une image d’ancienneté, selon un certain raisonnement que nous mêmes nous avons suivi plus haut à savoir qu’on peut remonter le temps en évacuant les additions pour retrouver un état primordial. Si le but avait été pour les éditeurs du XVIIIe siècle, à la suite de l’Eclaircissement des Véritables Quatrains de Michel Nostradamus (1656) de restaurer les éditions initiales, encore eut-il fallu qu’ils restituent les centuries incomplètes en les débarrassant des parachèvements à cent quatrains qu’elles subirent et, encore, après cela, eut-il fallu que les dites centuries incomplètes soient elles-mêmes considérées comme appartenant à une période sensiblement postérieure à 1568, en s’appuyant notamment sur la compilation crespinienne de 1572. Ce n’est qu’alors que ces éditeurs du Siècle des Lumières, si tant est que cela ait été leur intention, seraient parvenus à l’édition Barbe Regnault datée de 1560, elle -même constituant un état tardif par rapport aux deux premières éditions, chacune à 300 quatrains, signalées plus haut (avec les épîtres datées respectivement de 1555 et 1558). Encore eut-il alors fallu se demander si les quatrains retenus n’étaient pas tardifs et ne correspondaient pas à des événements postérieurs aux années 1560 pour ne pas parler d’événements survenus à la fin des années 1550.14 Là encore le recoupement avec la compilation Crespin se révélerait précieux. On débouche ainsi sur la question d’une édition princeps des Centuries. Pour notre part, il nous semble très aléatoire de prétendre parvenir à restituer le texte d’origine, nous ne pouvons le faire que par bribes et pour certains quatrains : il conviendrait de sélectionner les versets et les quatrains les moins douteux plutôt que de proposer un ensemble qui risque fort d’être hétérogène voire anachronique; il en est de même pour les épîtres dont il convient d’évacuer les éléments interpolés, en sachant que les dites épîtres ont une préhistoire non centurique, la contrefaçon des dites épîtres suffisant d’ailleurs à montrer à quel point les centuries ne sont pas de la même époque que la date des épîtres, ce qui met en lumière qu’il y a bien eu trucage sur la marchandise. En revanche, nous pensons que la physionomie générale des éditions, le nombre de quatrains notamment, et l’évolution de ce nombre, étape par étape est tout à fait concevable comme on l’a montré dans la présente étude.

   Avec le retour à sept centuries (4 + 3), sous la Ligue, on retrouvait grosso modo la structure éditoriale qui avait présidé aux trois toutes premières éditions (3 + 3 + 1), ce qui avait permis de se servir des anciens intitulés. Quand il s’agit de récupérer les trois centuries mises sur la touche, on avait utilisé, pour le premier volet15 sur laquelle prendra modèle, indirectement à partir de l’édition troyenne Pierre Chevillot, l’édition Benoist Rigaud, Lyon, 1568, reprint Chomarat, Lyon, 2000, qui en reproduit le titre mot pour mot, pour le premier volet comme pour le second16 la formule du stade II17 Les Prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées et qui à l’origine concernait six centuries mais qui désormais en concernaient sept au lieu d’utiliser la formule du stade III, concernant l’addition (pseudo Barbe Regnault) de 1560 et qui eut pourtant fort bien convenu, vu que la centurie VII avait atteint une quarantaine de quatrains. Il y a là nous semble-t-il une insigne maladresse. Quand on décida, une fois la réconciliation entre les camps en présence engagée, de réintégrer les 3 centuries exclues, on utilisa une formule assez gauche car reprenant, de façon redondante, celle du premier volet “qui n’ont encores jamais esté imprimées”, précédées de “Centuries VIII, IX X.” et incluant l’épitre à Henri II remaniée pour comporter référence à la miliade.

   Nous voudrions en profiter pour insister sur le fait que nous ne sommes pas au service d’une quelconque “thèse” mais d’une méthode de travail et que libre à chacun en appliquant celle-ci de développer d’autres thèses. On aura noté qu’à plusieurs reprises, nous avons évolué dans nos représentations et nos analyses. Le problème, c’est que ceux qui s’opposent à nos conclusions refusent également de recourir à notre méthodologie et c’est donc autour de la dite méthodologie que le débat doit s’instaurer. Cela dit, on ne saurait contester à ceux qui ne nous suivent pas de développer certains arguments qu’ils n’auraient pas développés auparavant18 mais ce sont des tentatives encore trop timides et qui ne remettent pas en question un certain statu quo, qui commence déjà à dater singulièrement. Les études nostradamiques sont l’exemple même d’un domaine sinistré comme l’ont montré les diverses manifestations (à Paris et en Provence) et publications (papier et Internet) relatives à la célébration du cinquième centenaire de la naissance de Michel de Nostredame. Seul l’Espace Nostradamus aura fait exception à la règle, grâce à l’idée élevée que Robert Benazra se fait de son rôle de responsable de site ésotérique, par delà ses convictions personnelles.

Jacques Halbronn
Paris, le 31 janvier 2004

Notes

1 Cf. Signification du nombre de quatrains des trois centuries “incomplètes” (IV, VI, VII), sur Espace Nostradamus. Retour

2 Cf. notre étude sur les Signification du nombre de quatrains des trois centuries “incomplètes” (IV, VI, VII), sur Espace Nostradamus. Retour

3 Cf. RCN, pp. 35 - 37 et 51 - 52 et M. Chomarat, “Un chaînon manquant dans l’oeuvre de Nostradamus : l’édition de 1558 des Prophéties”, in Nostradamus traducteur traduit, dir. Martine Bracops, Bruxelles, Ed. Du Hasard, 2000, pp. 78 et seq. Retour

4 Cf. RCN, pp. 140-145, et 295 et seq. Retour

5 Cf. notamment le faux almanach pour 1563 et avec l’épître à François de Guise. Retour

6 Reed. Slatkine, Genève, 1990, tome II, p. 36. Retour

7 Cf. notre étude sur les centuries additionnelles. Retour

8 Cf. notre étude sur le principe trinitaire des Centuries, sur Espace Nostradamus. Retour

9 Cf. notre étude sur le “caractère partisan des Centuries”. Retour

10 Cf. son article sur le Site Cura.free.fr. Retour

11 A Monaco, Ed. Le Rocher, 1982, paru en espagnol à Barcelone, en 1975, chez Plaza y Janés, Reed. 1976 et traduit en japonais en 1983. Retour

12 Cf. notre étude sur la Première Centurie, sur Espace Nostradamus. Retour

13 Cf. notre réponse à E. Gruber dans le dossier consacré aux études parues sur le Site du CURA. Retour

14 Cf. notre étude “Le décalage entre bibliographes et exégètes des Centuries” sur le Site Espace Nostradamus. Retour

15 Cf. Ed. Cahors, J. Rousseau, 1590. Retour

16 Cf. “La question des éditions pseudo-rigaldiennes et l’édition de Cahors”, sur Espace Nostradamus. Retour

17 Cf. supra, Ed. R. Du Petit Val 1589. Retour

18 Cf. les études parues sur le Site Cura.free fr, n° 26. Retour



 

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