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ANALYSE

8

Le Janus Gallicus
et les mots rendus en majuscules ou initiales

par Jacques Halbronn

    Nous portons l’attention du chercheur sur certaines similitudes de présentation entre le Janus Gallicus et les éditions Macé Bonhomme datées de 1555.1

   Le lecteur un tant soit peu attentif au commentaire et à la traduction que constitue tout à la fois le Janus Gallicus, observera que Chavigny semble vouloir à tout prix y faire ressortir le nom de Louis (Loys).

   Le Janus Gallicus a ainsi accordé au premier Prince de Condé, Louis, qui prendra vite le relais d'Antoine de Navarre à la tête du clan Vendôme quelque importance dans ses commentaires à telle enseigne que le mot “loin” dans les quatrains y est rendu par “Louis” et en latin par Lodoicus, c'est à dire Louis, ce qui montre à quel point la traduction était marquée par le commentaire.

   Dans un cas, le commentateur n'hésite pas à renvoyer, toujours à partir de loin, non plus à Louis mais à Henri de Condé. Nostradamus « prend le père pour le fils  » (Janus Gallicus, n° 286, Cent. VIII, 92). Sans cette trouvaille exégétique consistant à noter la récurrence de “loin”, et sa transposition en “louis”, l'entreprise historique eût été plus laborieuse encore.

1 - N° 134, Cent. III, 55

Quatrain (III.55)
Le grand de BLOYS son ami tuera
Commentaire :
« En Bloys se trouve Loys tout au long et le B signifie Bourbon ».

2 - N° 98, Novembre 1560

Quatrain (III.55)
Noir & de LOIN & le Grand tiendra fort
Latin :
LODOICUS tamen atque Niger, Magnisque resistent
Commentaire :
« Le Prince de Condé ne sera reçu dans Paris
Par de LOIN, Loys de Bourbon, Prince de Condé ».

3 - N° 122, Avril 1562

Quatrain (III.55)
De LOIN viendra susciter pour mouvoir
Latin :
Omnia LODOICUS populosam accensus in urbem
Commentaire :
« Par LOIN il entend LOYS de Bourbon, Prince de Condé lequel conduit son armée devant Paris le 28 de ce mois ».

4 - N° 126, Mars 1562

Quatrain (III.55)
Esmeu de LOIN, de LOIN près minera
Pris, captivé, pacifié par femme
Latin :
Excitus stimulis medios ruit acer in hostes
LODOICUS capitur facit inclita foemina pacem

Commentaire :
« Loys de Bourbon esmeu de cholères s'approchera des coups, se ruera parmi la presse des combatans. Bataille de Dreux où le Prince de Condé est fait prisonnier ».

5 - N° 271, Cent. VI, 61

Quatrain (III.55)
Chassé du règne aspre LOIN paroistra
Latin :
LODOICUS regno fiet crudelior actus

6 - N° 195, Septembre 1563

Quatrain (III.55)
Des grands deul LVIS (sic) trop plus trebuchera
Latin :
LODOICUM
Commentaire :
« Le Prince de Condé pour estre de sang & maison royale est obligé davantage à conserver la Couronne & l'Estat ».

   On a, à vrai dire, quelque mal à comprendre ce qui a conduit Chavigny à rechercher de façon aussi systématique une allusion à Louis dans les quatrains nostradamiques. Le seul Condé prénommé Louis auquel il ait pu faire référence vécut de 1530 à 1569. Nous ne croyons guère que Jean Aimes de Chavigny ait eu une connaissance aussi pointue de la vie politique des années 1550 - 1560. Il a tout au plus prolongé jusqu'aux années 1580 un travail déjà accompli par d'autres.

   Nous suggérerons l'explication suivante : Chavigny se serait servi d'un commentaire plus ancien, réalisé au début des années soixante-dix, peu après la mort de Louis de Condé. Selon nous, en effet, une telle insistance sur ce personnage d'une autre génération ne fait pas sens en 1593. S'agit-il d'un commentaire de Dorat auquel il fait référence ou encore de celui d'un Jean de Chevigny ? Il nous semble en tout cas que Jean Aimes de Chavigny trahit ainsi qu'il n'est pas à part entière l'auteur du Janus Gallicus.

   Notre conception du texte prophétique nous conduit à penser qu'en règle générale l'information est centrée sur les enjeux de la période de publication, ce qui d'ailleurs contribue sensiblement à la datation de tel ou tel ouvrage. Si décalage il y a, c'est qu'il y a eu emprunt à une source plus ancienne, ce qui place le document plus ou moins en porte-à-faux avec l'époque où il est édité ou réédité.

   Certes, à partir du XVIIe siècle, les commentateurs des Centuries reviendront sur des épisodes d'un passé toujours plus lointain mais ils le feront le plus souvent à la lumière de la culture historique supposée de leurs lecteurs. On comprendrait mal pourquoi en 1593, alors que Chavigny est encore partisan de la Ligue, il manifesterait une telle insistance à retrouver, à de nombreuses reprises, le personnage du réformé Louis de Condé mort depuis vingt cinq ans ! Il s'agit là d'un texte polémique mais concernant des événements qui n'intéressent plus guère le lecteur des années 1590 même s'il est toujours possible d'établir des parallèles entre une époque et une autre, notamment dans la France de la seconde moitié du XVIe siècle. Selon nous, Jean Aimes de Chavigny a repris un travail accompli par d'autres, ce qui apportait une assise à son étude de la période la plus récente sans parler de son projet d'une Seconde Face pour les années à venir.

   Or, quant aux éditions de Macé Bonhomme en date de 1555, elles portent bel et bien une marque qui pourrait être chavignienne : nous avons signalé l'abus des mots écrits en majuscules dans le Janus Gallicus, ouvrage dont la première édition semble avoir paru dans le camp ligueur en 1593, à Lyon. Or, la dite édition des premières centuries comporte la même tendance, pourquoi dans ce cas ne pas situer celle-ci dans la mouvance du premier Janus Gallicus, dès lors qu'il apparaît que celle-ci ne pouvait intéresser que le camp hostile au gouvernement de Tours ? Ce trait ne figure pas dans les contrefaçons de 1557 ni dans la plupart des éditions postérieures au recueil du Beaunois.

   Rappelons ces mots ainsi mis en évidence et qui devaient à l'évidence attirer l'attention du lecteur de l'époque sur tel ou tel quatrain. On peut supposer que ces mots puissent constituer un message, selon un procédé assez classique qui est celui des lettres anonymes dont les mots sont découpés par exemple d’un journal :

   I, 2, BRANCHES, I, 16, AUGE, II, 79 CHYREN, II, 94, GRAN Po, III, 51; PARIS, III, 75 PAU, III, 96 FOUSSAN et TARPEE, IV, 19 ROUAN, IV, 27 SEX l'arc, IV, 34 roi CHYREN.

   Toute la question est de faire l’inventaire complet de ces mots ainsi mis en exergue, éventuellement en combinant plusieurs éditions des Centuries.

   Dans la seule “demi-centurie IV” qui clôt l'ouvrage, on ne trouve pas moins de trois mots en majuscules. Celles-ci, présentes dans les deux tirages, disqualifient au demeurant le choix de ces contrefaçons en tant qu'editio princeps, comme a cru bon le faire un Pierre Brind’amour (édition posthume, Droz, 1996). On ne les retrouve d'ailleurs nullement dans l'édition d'Anvers.

   Que tirer de ces onze mots et de ces onze quatrains ainsi mis en exergue ? Le nom de CHIREN / Henri est ainsi souligné à deux reprises et pourrait viser Henri de Navarre. PAU pourrait également évoquer le Béarnais. Le quatrain (III, 96) comporte deux mots en majuscules, FOUSSAN et TARPEE renvoit bien entendu à une perspective de chute (roche tarpéienne), cela pourrait viser Henri de Navarre tout comme le quatrain avec AUGE de l'exaltation. C'est également un quatrain astronomique (Saturne en Lion). ROUEN évoquerait la retraite d'Henri de Navarre lors du siège de la ville. PARIS représente un autre échec pour Bourbon. Dans ce cas, ces majuscules dresserait une sorte de réquisitoire contre le prétendant au trône de France, étant bien entendu qu'il s'agirait là de la part de l'auteur de cette version d'un placage exégétique.

   Mais est-on vraiment certain que Chiren concernait initialement un prénommé Henri ? Le contexte de la Ligue offre une autre approche : il pourrait s’agir d’une contraction de Charles (Ch) de Lorraine (iren), c’est-à-dire du Duc Charles III de Lorraine, prétendant au trône de France. Nous avons trouvé dans un pamphlet intitulé Le Tyrannicide ou mort du tyran, Lyon, J. Patrasson et seconde édition Paris, A. Du Breuil, 15892 plusieurs mots en majuscules : CHARLES DE LORRAINE, DUC DE GUISE, JACQUES CLEMENT, assassin d’Henri III.

   En fait, à l’origine, il semble que cela ait été le mot chien par la suite changé en chiren, par l’introduction d’un r. A l’appui de cette conception, un passage de l’Epître centurique à Henri II :

   “Qu’après le gros chien sortira le plus gros mastin qui fera destruction de tout”

   On retrouve dans la VIIIe centurie qui fait suite à la dite Epître, au quatrain 54 :

   Fait magnanime par grand Chyren selin

   Dans les Prophéties à la Puissance Divine de Crespin, qui sont probablement le document le plus ancien avec le Janus Gallicus, on trouve également la forme “chien” :

II, 79 :
Le grand chien ostera du loing tous les captifs par Seline banière (A Monsieur (l’Evêque) de Nevers)

   On retrouve la formule “le grand chien / Chyren” en VI, 70 :

Un chef du monde le grand chyren / chien sera

   On peut donc conclure, nous semble-t-il, que les éditions où “grand chien” a été remplacé par “grand Chiren ou Chyren” (II, 79, VIII, 54, notamment) sont postérieures à 1572, date de parution des dites Prophéties à la Puissance Divine. Or, force est de constater que l’on n’a conservé aucune édition où chien n’ait pas été remplacé par chiren si ce n’est précisément dans l’Epître à Henri II qui a évité de subir un tel traitement. Notons que Selin - qui accompagne à deux reprises le grand chien - est le nom de deux sultans ottomans, Selim I et II, au XVIe siècle.

   Cependant, la forme chyren apparaît déjà attestée dès 1558 : dans la Déclaration des abus, ignorances et seditions de Michel Nostradamus, de Salon de Craux en Provence, oeuvre très utile & profitable à un chascun, Avignon, Pierre Roux & Ian Tramblay :

   “Comme quand tu dis en tes almanachs le grand chyren, pour dire henry, il n’y falloit point de C ny pour la methatesis ny pour orchema, au moins si tu voulois parler françoys. Mais tu me diras que c’est le langage maternel de ton pays que pour henry ils disent henryc etc.” (folios F verso, G recto)

   On voit que si les éditions datées de 1557 ont depuis quelque temps intrigué les chercheurs quant à leur authenticité, de nouveaux doutes peuvent êtres suscités en ce qui concerne les éditions datées de 1555, aux insolites majuscules. Il y a là probablement un code qui semble bel et bien porter la griffe de l’auteur du Janus Gallicus ou en tout cas de l’un de ses lecteurs. Par ailleurs, nous avons récemment signalé le procédé consistant à mettre certains mots en majuscules dans les éditions des Centuries “modèle Du Ruau” - notamment celle, bien plus tardive, antidatée de 1605, avec les Présages et les Sixains - qui, selon nous, sont à jumeler avec le Janus Gallicus qui en est le commentaire et non l’inverse, comme semble le suggérer R. Benazra, d’une édition manquante. Autant d’observations qui situent les Significations de l’Eclipse et la Prognostication pour 1555 des années 1590 - 1594.

Les Pléiades (1603) de Chavigny

Frontispice des Pléiades (1603) de Jean-Aimé de Chavigny

   Un autre cas de figure concerne les mots réduits à des initiales, au cas des Pléiades.3 On a un manuscrit de cet ouvrage4 qui fournit le texte d’origine qui par la suite sera censuré ou autocensuré :

Extrait des <I>Pléiades</I>    Extrait des <I>Pléiades</I>

Extrait des Pléiades

   Voici toute une phrase ainsi “codée” : “I. D. R. E. F. D. T. F. Q. L. S. P. S. E. C. T. L. I. F. M. L. S. C. Q. T. L. S. D. S. P.”, dans la Première Pléiade dite Electre (p. 2), alors qu’il faut lire si l’on se réfère au manuscrit : “Il détruira Rome et Florence de telle façon que le sel ne pourra semer en ces terres là. Il fera mourir les souverains clercs qui tiendront le siège de Saint Pïerre.”

   Un peu plus loin, toujours dans la première Pléiade, Electre, Chavigny explique directement à Henri IV, à propos d’un autre passage pareillement traité (p. 10) sur un tel procédé qu’il pourrait avoir utilisé dans la Pronostication pour 1555 et dans les Significations de l’Eclipse de 1559 :

Extrait des <I>Pléiades</I>

Autre extrait des Pléiades

   “I. D. R. E. D. F. D. T. F. Q. L. S. S. P. S. E. C. T. L. Je ne veux expliquer pareillement, ni dire ce qui est signifié par ces lettres, me contentant de ce que j’en ay apporté au Prognostic qui fut présenté de ma part à vostre Majesté l’année précédente. Comme aussi sur ce qui suit, qui est une autre période I. F. M. D. M. L. S. C. Q. T. I. S. D. S. P. Tout ce que je réserve à déduire bien au long au second livre de mon Janus François.”

Significations de l'Eclipse 1559, fol. A4v

Extrait des Significations de l'Eclipse 1559, fol. A4v

   On trouve déjà de telles initiales dans le Janus Gallicus, dans l’Epître à d’Ornano, datée du 19 février 1594.5

   HIC ERIT E. L. R. D. D. E. V. Regia Q. IMPERII HOMINE SCEPTRA GERET

   La présence de telles initiales dans les Significations de l’Eclipse 1559 vient, en tout cas, confirmer une possible relation, proposée par Théo Van Berkel, avec Chavigny. Que signifie, en effet, la série “& aussi H. T. H. N. S. & par moyen d’héréditer etc.” dans le cours du texte ?6 Il ne semble pas en tout cas qu’un tel procédé ait été pratiqué par MDN. Dans les Centuries, on trouve à VIII, 66 : “Quand l’écriture D. M. trouvée”.7

   Signalons aussi les initiales grecques en (I, 81) :

Kappa Thita Lambda mors bannis esgarez

   L’édition Macé Bonhomme 1555 fournit même les lettres selon l’alphabet grec.

Quatrain (I.81)

   Or, dans les Présages, on tombe sur de telles initiales, à deux reprises, et ce uniquement pour des quatrains concernant 1555 :

Janvier 1555 :
V. S. C. Paix l’arme passera

Mars 1555 :
Merre terre tresve. L’amy à L. V. s’est ioint

   Il s’agit là d’une publication annuelle dont nous n’avons pas pu consulter l’original et quant auquel nous avons exprimé certains doutes8, à commencer par le fait qu’il s’agirait non pas d’un almanach, comme il se devrait, mais de la Pronostication pour 1555.9 Selon nous, cette Prognostication nouvelle & prédiction portenteuse pour lan 1555 est un faux, la date de 1555 ayant été choisie en raison de la Préface à César mais aussi parce que les dits quatrains se placent ainsi en tête, selon l’ordre chronologique. Quant à la vignette, elle reprend celle de la Grand Prognostication nouvelle avec portenteuse prédiction pour l’an MDLVII, dont elle emprunte d’ailleurs le titre mais sans prendre garde au fait que cet ouvrage n’a pas de quatrains.10 En outre, c’est le seul exemple d’une suite de 14 quatrains. On remarquera que le Janus Gallicus cite, sans état d’âme, le premier quatrain pour 1555.

Pronostication pour 1555    Pronostication pour 1557

Frontispices des Pronostications pour 1555 et 1557

   Arrêtons-nous sur cette fort douteuse Prognostication pour 1555 et voyons si elle n’est pas à rapprocher de textes plus tardifs que la date ainsi indiquée.

   La question du tutoiement nous semble un critère à considérer :

Pour Mars 1555 (présage V), on trouve :
O Mars cruel, que tu seras à craindre

   Or, on ne trouve pas de tutoiement dans les almanachs de MDN que l’on peut raisonnablement classer comme authentiques. Certes, MDN tutoie son fils dans sa Préface mais c’est une autre affaire. En revanche, dans les Centuries, il y en a quelques uns, fort peu nombreux au demeurant dont un sur lequel nous avons déjà attiré l’attention :

IV, 46
Garde toy Tours de ta proche ruine

   Et ce quatrain 100 de la VI qui ne figure que dans les éditions troyennes :

Fille de l’aure, asyle du mal sain
/.../
Prodige veu ton mal est fort prochain
Seras captibe & des fois plus de quatre

   Signalons :

I, 8 :
Ton mal s’approche. Plus seras tributaire

VII, 8 :
Flora, fuis, fuis le plus proche Romain

VIII, 32 :
Garde toy roy Gaulois de ton nepveu

   Et puis coup sur coup :

X, 64
Pleure Milan, pleure Luques, Florence
Que ton grand Duc sur le char montera


X, 65
O vaste Rome ra ruyne s’approche
Non de tes murs, de ton sang & substance

   On notera cette même idée : ta ruyne s’approche (X, 65), ton mal s’approche (I, 8), ta proche ruine (IV, 46), ton mal est fort prochain (VI, 100).

   Arrêtons-nous sur le quatrain pour juin 1555 :

Loin près de l’Urne le malin
Qu’au grand Mars feu donnera empeschement
Vers l’Aquilon au midy la grand fière
FLORA tiendra la porte en pensement

   Chevignard commente d’ailleurs :

“Les majuscules de FLORA sont très probablement de Chavigny”.11

VII, 8
Flora, fuis, fuis le plus proche Romain

   Qui est cette Flora (qui fait songer à Florence, mais par analogie peut désigner Catherine de Médicis, qui en est issue) qui figure tant dans la Pronostication pour 1555 que dans le huitième quatrain de la Centurie VII, dont nous savons qu’il est probable qu’il appartienne aux “39 articles” que l’on voulut, dans les années 1588, avoir été écrits par MDN pour l’an 1561 et dont on a perdu apparemment la contrefaçon.12

   Signalons encore :

VIII, 18
De FLORE issue de sa mort sera cause

   Toujours concernant les faux quatrains de la Prognostication pour 1555, on notera celui de février, qui vise Genève et le parti réformé :

Près du Léman la frayeur sera grande

   On trouve cette même formule en V, 12 :

Auprès du Lac Léman sera conduite
Par garde estrange cité voulant trahir etc.

   Deux quatrains consécutifs de la Pronostication pour 1555 nous semble très éclairant :

Octobre :
Vénus Neptune poursuivra l’entreprinse
Serrez pensifs. Troublez les opposans:
Classe en Adrie. citez vers la Tamise
Le quart bruit blesse de nuict les reposans


Novembre :
Secours, Adrie à la porte faict offre

   Il s’agit très certainement de la “Sérénissime République” à savoir Venise - jeu de mots sur Vénus - qui donne sur la mer Adriatique et qui est l’alliée d’Henri de Navarre. Le 21 novembre 1589, l’ambassadeur de Venise, Jean Mounégo, fut reçu à Tours (“Prends garde Tours etc”) où Henri IV a constitué son gouvernement. Il conviendrait donc, selon nous, de dater cette Prognostication pour 1555 de cette période. Quant à la Tamise, cela renvoie à Londres et à l’Angleterre, autre alliée d’Henri de Navarre.

   Qu’est ce que cette “porte” sinon l’empire ottoman (Sublime Porte) dont on sait les liens avec Venise. Deux autres quatrains comportent le mot “porte” :

Juin 1555 :
FLORA tiendra la porte en pensement

Décembre 1555 :
La porte exclame trop frauduleuse & feinte

   Or, dans les premières centuries, on trouve de nombreuses références à Venise sous le terme Hadrie :

I, 8 :
La grand Hadrie recouvrira tes veines

I 73 :
N’aura la chasse par les Venitiens

II, 55 :
Pendant qu’Hadrie verra ce qu’il faillait

   Citons encore deux quatrains où Venise, cette fois, est citée en clair mais qui appartiennent à un autre lot de Centuries :

VIII, 31
Dedans Venise perdra sa gloire fière
Et mis à mal par plus joyve Celin
(le Turc, Selim / Soliman)

   Et :

X, 64
Changer le siège pres de Venise s’advance
Lors que Colonne (le pape Colonna) à Rome changera

   Mais Venise est déjà largement présente dans les extraits des quatrains tels qu’ils figurent dans les Prophéties dédiées à la Puissance Divine d’Antoine Crespin.13 Or, il faut souligner que Venise est en bonne place dans l’Epître à Henri II :

   “Et sera le commencement comprenant se (sic) de ce que durera & commençant icelle année sera faicte plus grande persécution à l’église Chrestienne que n’a esté faicte en Afrique & durera ceste icy (sic) iusques l’an mil sept cens nonante deux que l’on cuydera estre une rénovation de siècle, après commencera le peuple Romain de se redresser & deschasser quelques obscurs tenebres (…) Venise en apres en grande force & puissance levera ses aysles si tres hault ne distant gueres aux forces de l’antique Rome.”

   Rappelons14 que Crespin était fort hostile au Pape, au début des années 1570, notamment autour de la question juive à Avignon. Il a pu souhaiter faire annoncer par MDN dans son épître retouchée la faillite de la Rome pontificale selon un scénario dans lequel Venise jouerait un rôle capital. En 1571, Venise avait participé à la grande victoire navale de Lépante sur les Turcs. Mais on imagine mal qu’à l’époque, on ait situé l’hégémonie de Venise après 1792, c’était une échéance beaucoup trop lointaine.

   Quant à la présence de RAPIS dans nombre de Centuries, c’est l’anagramme de Paris, ville de la Ligue, assiégée par Henri IV (“Paris vaut bien une messe”).

VI, 23
RAPIS onq (jamais) fut en si tres dur arroy

   On rappellera, en conclusion que bien des quatrains et des commentaires centuriques avaient été élaborés en faveur du camp catholique (cf. TPF). Il convenait donc pour les rendre acceptables, après la victoire réformée, d’atténuer certaines formules, quitte à les vider de leur substance en n’en conservant que les initiales. Il y aurait donc eu, dans certains cas, des éditions sans initiales et d’autres, cryptées, avec initiales.

Jacques Halbronn
Paris, le 16 août 2003

Notes

1 Cf. notre thèse d’Etat, Le texte prophétique en France, formation et fortune, Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Ascq, 2002. Retour

2 Cf. BNF, 8° Ye pièce 3472. Voir aussi Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, op. cit., Crespin, Adresse 70, à Monsieur (à l’évêque) de Nevers, p. 73. Retour

3 Cf. le volume II du TPF, p. 629. Retour

4 Cf. Bibl. Méjanes, Aix en Provence, cote 451 (394 R 536). Retour

5 Cf. “De l’Advènement à la Couronne de France”, p. 289. Retour

6 Cf. p. 453, Ed. Chevignard, Paris, 1999. Retour

7 Cf. sur les initiales figurant sur la pierre tombale de MDN, notre “contribution à la recherche biographique nostradamique”, et également sur le Site CURA.free.fr. Retour

8 Cf. l’article de Ruzo, sur le Site CURA. 26. Retour

9 Cf. les observations de B. Chevignard, Les Présages de Nostradamus, op. cit. pp. 114 - 115. Retour

10 On trouvera les deux pages de titre dans nos Documents Inexploités, op. cit., pp. 43 et 199. Retour

11 Cf. Présages de Nostradamus, op. cit., p. 116. Retour

12 Cf. nos études et R. Benazra, RCN, pp. 118 et seq. Retour

13 Cf. Documents inexploités, op. cit., pp. 210 et seq. Retour

14 Cf. Documents Inexploités, op. cit., pp; 107 et seq. Retour



 

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