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ANALYSE

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La question des deux éditions Antoine du Rosne 1557

par Jacques Halbronn

    Si pour les éditions Macé Bonhomme 1555, on peut parler de tirages d’une même édition, en revanche pour les éditions Antoine du Rosne 1557, il faut impérativement parler d’éditions radicalement différentes et qui n’appartiennent d’ailleurs nullement à la même époque.

   Ce cas montre à quel point la date indiquée sur les pages de titre ne veut strictement rien dire, étant donné les différences flagrantes entre les deux éditions, supposées parues à quelques mois d’intervalle. D’ailleurs, le problème se pose pareillement en ce qui concerne les multiples éditions Benoist Rigaud 1568 dont on nous dit que certaines seraient moins fausses que d’autres, datant, nous dit-on, du XVIIIe siècle, sans que l’on sache très bien pourquoi.1

   Lorsque R. Benazra publia2 sa présentation de l’exemplaire de Budapest correspondant à l’une des éditions Antoine du Rosne, il n’avait pas eu connaissance de l’exemplaire d’Utrecht. Il est probable que son analyse n’aurait pas été la même s’il en avait été autrement. Aujourd’hui que nous pouvons confronter les deux éditions, on ne peut en rester là, à la différence de ce qu’imagine encore P. Guinard3, en s’en tenant docilement à ce qui est indiqué complaisamment par divers faussaires n’agissant même pas de concert, auxquels il est fait un bien grand honneur.

   Il convient d’abord de revenir sur le choix de ce libraire. Son nom est mentionné en rapport avec MDN mais nullement pour ce qui est des Centuries. En 1656, dans l’Eclaircissement des Vrais quatrains, Giffré de Rechac nous rappelle4 que MDN “traduisit de Latin en François la paraphrase de Gallien (...) pièce qui fut imprimée chez Antoine du Rhosne l’an 1557 à Lyon”, information qui, d’ailleurs, ne figure pas dans le “Brief Discours de la Vie de Michel de Nostredame”, in Janus Gallicus, 1594 et qu’il reprend des Bibliothèques parues dans les années 1584 - 1585. Pas question d’Antoine du Rosne à propos des Centuries ! Mais cette information peut avoir encouragé des faussaires à lui attribuer, à plusieurs reprises, la responsabilité d’éditions des quatrains. Encore, ne sait-on pas à coup sûr si les éditions de la Paraphrase qui ont été conservées correspondaient à l’édition ainsi signalée. Nous avons déjà exprimé notre étonnement face à cette vignette placée sur la couverture de celles-ci, laquelle est typique de la production nostradamique. Pourquoi en 1557, une telle vignette concernant le traducteur français, à savoir MDN, aurait-elle du figurer de la sorte ? Les autres ouvrages non astrologiques et non prophétiques signés MDN - et qui sont cette fois autre chose qu’une traduction - ne comportent en effet pas une telle vignette. Quid de l’Excellent & moult utile opuscule à tous nécessaire qui désirent avoir cognoissance de plusieurs exquises receptes divisé en deux parties etc., Paris, O. De Harsy, 15565, ouvrage qui sera traduit en allemand en 1572 ? Pas la moindre vignette, celle-ci étant réservée selon nous aux Prognostications de MDN. On sait que l’almanach pour 1563, chez Barbe Regnault, comporte une telle vignette mais qu’il s’agit d’un faux, d’ailleurs appartenant à la période de la Ligue, plus de 20 ans plus tard. Pour notre part, nous pensons que ces éditions à vignette nostradamique censées parues chez Antoine du Rosne sont des contrefaçons d’une édition ayant bel et bien existé, comme il est en effet attesté.6 Il est probable que l’une des deux éditions des Centuries, supposées parues chez Antoine du Rosne, soit contemporaine de cette “nouvelle” édition de la traduction française de la Paraphrase de Galien. Si l’on compare les trois vignettes, on trouve une plus grande similitude entre l’exemplaire d’Utrecht et l’édition de la Paraphrase, pour les deux tirages de 1557 et 15587 mais aussi l’édition 1555 Macé Bonhomme, qu’avec l’exemplaire de Budapest, lequel comporte une vignette inversée et tronquée.

   Or, comme nous pensons avoir montré, ailleurs, que l’exemplaire de Budapest est plus ancien que celui d’Utrecht, on peut raisonnablement supposer que l’idée de rééditer la Paraphrase avec la même vignette vint de l’existence du dit exemplaire. On nous objectera que cet exemplaire, on l’a dit, comporte une vignette tronquée. Ajoutons cependant que la vignette utilisée pour la Paraphrase de Galien et pour l’exemplaire d’Utrecht est bonne compagnie, étant semblable à celle qui figure sur la Prognostication pour 1562 dont nous avons souligné le caractère de contrefaçon8 ainsi que sur l’almanach Barbe Regnault pour 1563, mais aussi pour les Prophéties Macé Bonhomme 1555.9 En effet, il convient de distinguer cette série d’une autre, avec frise zodiacale, figurant sur les Prognostications pour 1557 et pour 1558 - ainsi que sur les Significations de l’Eclipse 1559, laquelle série comporte documents authentiques (1557 et 1558) et contrefaçons (1555 et 1559). Cette série dérive d’une vignette figurant dans le Kalendrier des Bergers10, la frise, quant à elle étant déjà présente dans le Période de Turrel.11 La série qui nous intéresse ici (avec une vignette reproduite sur la couverture du RCN) ne semble concerner que des contrefaçons.

   Autrement dit, la vignette - série “sans frise zodiacale” (SFZ) de la Paraphrase de Galien, chez Antoine du Rosne (1557 - 1558), a été utilisée à notre connaissance uniquement pour élaborer des contrefaçons (1555, 1557, 1562, 1563) alors que l’autre série, avec frise zodiacale (AFZ), comporte un mélange d’éditions authentiques et contrefaites. Ajoutons que seule la vignette SFZ aura servi pour mettre au point des éditions des Centuries. L’exemplaire de Budapest constitue un cas en soi, en ce que tout en appartenant à la série SFZ, il en est une version atypique, notamment en ce que le personnage se trouve à droite et non à gauche, comme partout ailleurs, toutes séries confondues, de la vignette, tandis que l’exemplaire d’Utrecht a une vignette standard, caractéristique de la série SFZ. Il conviendrait de signaler une autre variante, celle de certaines éditions parisiennes parues sous la Ligue, chez la veuve Nicolas Roffet et chez Pierre Ménier12, avec le personnage désignant un point de la sphère, laquelle étant située à sa gauche et non plus à sa droite.

   Si on revient sur le cas de la Paraphrase de Galien, on a le choix entre deux solutions : soit c’est une édition authentique et la vignette qu’elle comporte aura servi pour orner les diverses contrefaçons qui la comportent, soit, la dite édition de la Paraphrase, telle qu’elle est conservée, a fait partie d’un projet de mise en circulation de contrefaçons et est donc elle-même une contrefaçon, cette vignette SFZ ayant été conçue tout exprès pour réaliser des éditions contrefaites, en s’inspirant bien entendu de la série AFZ. Il est probable que les faussaires aient voulu conférer une authenticité à la série SFZ en produisant des éditions de la Paraphrase de Galien comportant la dite vignette. Signalons un petit détail : l’orthographe “Antoine du Rosne” au lieu d’ “Antoine du Rhosne”, selon la forme proposée dans l’Eclaircissement.

   Patrice Guinard note (en avant propos de la parution du fac-similé sur le Site du CURA) :

   “Ce texte de Nostradamus, la Paraphrase de C. Galen sus l'exortation de Menodote, paru à Lyon en 1557, est une adaptation d'un traité de Galien, d'après une traduction latine d'Erasme. On le trouve à la Mazarine sous la cote Rés 29247 (3). C'est un ouvrage codé d'après Buget. On y trouve 5 images, ainsi que quelques pièces en vers dignes d'attention, comprenant un acrostiche au folio D 7.”

   Précisons que cet acrostiche est annoncé par l’auteur de l’Epître au Baron de la Garde : “et à un d’eulx avons mis notre surnom, aux lettres supérieures”. On peut se demander si le texte ainsi mis en exergue par un tel procédé n’aurait point été chargé d’une signification particulière pour l’époque, plus tardive, où il paraît vraiment :

Acrostiche Paraphrase de Galien (1557)

   Mais il y a quand même là un problème : pourquoi cette épître qui comporte en son commencement mention du nom de Michel de Nostredame - sans parler de la page de titre ! - ferait-elle tant mystère sur son nom, puisque l’acrostiche (on peut lire ici NOSTRADAMUS, avec autant de versets que de lettres) a bel et bien, en règle générale, fonction de révéler un nom qui n’est pas avoué d’entrée de jeu ? On peut donc se demander si la première édition de l’ouvrage n’était pas précisément dépourvue de la mention du nom du traducteur, ce qui viendrait confirmer qu’il s’agit avec les éditions dont nous disposons et qui comportent une telle redondance, de contrefaçons d’une édition ayant existé mais sans la vignette en question et sans le nom du traducteur, à savoir “Nostradamus”.

   C’est sur de telles bases que nous reprendrons la question de la comparaison et de la datation des deux éditions à sept centuries Antoine du Rosne 1557. Récapitulons, préalablement, nos conclusions telles qu’exposées dans d’autres études relatives aux deux éditions en question.

   L’exemplaire de Budapest, assez proche de l’édition à sept centuries parue à Anvers, F. De St Jaure, 1590, ne comporte pas d’avertissement latin, à la fin de la VI, et n’a que 40 quatrains à la VII. On ne trouve un mot en majuscule qu’en une seule occasion. L’exemplaire d’Utrecht comporte le dit avertissement latin, sous une forme corrompue et 42 quatrains à la VII, de nombreux mots y sont mis en majuscules.

   Or, le fait que la vignette Budapest soit si peu élaborée pourrait plaider en faveur d’une première mouture de la série SFZ, ce qui signifierait que tous les ouvrages comportant la vignette aboutie lui seraient postérieurs, y compris les exemplaires Macé Bonhomme 1555.

   Voyons dans quelle mesure cette thèse, pertinente au niveau de l’analyse iconographique, peut se soutenir au niveau du contenu des éditions.

   Nous avons exposé, ailleurs, que l’exemplaire de Budapest pourrait correspondre au premier volet de l’édition à la miliade, réalisée au début des années 1580, laquelle édition aurait été peaufinée : suppression de l’avertissement latin, en tant que trace d’une édition à six centuries, suppression des marques d’addition au milieu de la IVe Centurie, voire suppression de deux quatrains à la fin de la VIIe centurie. A contrario, l’exemplaire d’Utrecht serait issue d’un état antérieur à l’édition à la miliade, avec la conservation de l’avertissement latin, sous une forme corrompue. A ce détail près, qu’en comparaison avec toutes les éditions ligueuses parues à Paris, il ne comporte de marque d’addition à la IVe Centurie.

   Il convient, en outre, de prendre en compte le chronème / critère relatif aux mots mis en majuscules. Et là précisément, l’on observe que l’exemplaire de Budapest ne comporte qu’une seule et unique occurrence de l’application d’un tel procédé tandis que l’exemplaire Macé Bonhomme 1555 (Bib. D’Albi) et l’exemplaire d’Utrecht 1557, sont truffés de mots en majuscules, ce qui nous semble correspondre à des interventions tardives, contemporaines du Janus Gallicus qui témoigne d’une telle pratique. Rappelons que les éditions parisiennes de la Ligue ne comportent aucun mot mis en majuscules. On peut dès lors penser que les quatrains 41 et 42 de la Centurie VII, figurant dans l’exemplaire d’Utrecht seraient plutôt des additions par rapport aux 40 quatrains à la VII, de l’exemplaire de Budapest.

   L’exemplaire d’Utrecht serait donc issu d’une édition antérieure à la miliade mais modifié dans les années 1590, et doté d’une vignette remaniée par rapport à l’exemplaire de Budapest. Il importe, en tout état de cause, de distinguer l’ancienneté des modèles utilisés et les dates de parution des copies ou imitations. C’est ainsi qu’en ce qui concerne les tirages Macé Bonhomme 1555, nous avons dit que l’état plus achevé de la vignette et la présence de majuscules les situait postérieurement à l’exemplaire de Budapest, quand bien même, à l’évidence, la présence d’une IVe centurie à 53 quatrains, augmentée par rapport à une précédente édition à 300 quatrains, relevait d’un état antérieur à celui des éditions 1557 à 100 quatrains, sans trace d’addition, à la IVe centurie. Nous avons expliqué13, que cette édition à 353 quatrains avait servi, par addition de 47 quatrains à la IV et de 200 autres quatrains (centuries V et VI), à constituer une édition à six centuries, dotée de l’avertissement latin. Une telle édition, portant en son titre la référence à “quatre centuries” se retrouve à Rouen, chez Raphaël du Petit Val, en 1588.

   L’exemplaire d’Utrecht est beaucoup plus “moderne” que celui de Budapest en ce sens qu’il ressemble fort aux éditions qui paraîtront ultérieurement - majuscules, avertissement latin, 42 quatrains à la VII - tandis que l’exemplaire de Budapest n’aura guère de descendance. Voilà qui semble bien venir confirmer notre diagnostic iconographique, à propos d’un brouillon de la vignette figurant sur l’exemplaire de Budapest, faisant de la dite vignette un terminus a quo. Traduisons : tout ouvrage comportant une vignette plus aboutie est ipso facto postérieure à l’exemplaire de Budapest, quelle que soit sa date de parution, dont il est permis de penser qu’elle est proche de celle de l’édition d’Anvers, 1590, laquelle, lacunaire par ailleurs, au demeurant, ne comporte pas non plus les quatrains 41 et 42. Il convient donc de dater les ouvrages dotés de la vignette accomplie SFZ probablement des années 1590, avant qu’ils ne soient remplacés par un nouveau grand projet de rassemblement, faisant suite à celui “à la miliade”, dix ans plus tôt, dont le Janus Gallicus (1594 - 1596) est le commentaire et la caution et dont l’édition antidatée à l’an 1605 (Modèle Du Ruau, MDR) est la réplique, augmentée d’une Epître à Henri IV, datée de cette année là, retouchée, et des sixains. Rappelons les singulières similitudes entre l’édition rouennaise à 7 centuries et les éditions Antoine du Rosne, les unes et les autres comportant cet étrange intitulé “dont il en y a trois cents” au lieu de “dont il y en a trois cents” comme on peut le lire dans les autres éditions.

   Quid dans ce cas, demandera-t-on des éditions à 10 centuries de type Benoist Rigaud 1568 ?14 Où doit-on les situer ? Il s’agit en fait de comparer l’exemplaire d’Utrecht avec l’édition Benoist Rigaud de la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu, Fonds Chomarat cote A 6587, dont M. Chomarat a donné en l’an 2000 un fac-similé, ou du moins le premier volet, par la force des choses.

   On montrera que l’on ne passe pas directement de l’une à l’autre et qu’il existe des chaînons / maillons intermédiaires.

   Page de titre du premier volet : vignette SFZ pour l’exemplaire d’Utrecht, vignette type Almanach de MDN pour Chomarat La Part Dieu.

   Préface à César : l’exemplaire d’Utrecht pratique exclusivement le tutoiement tandis que l’exemplaire Chomarat La Part Dieu connaît deux occurrences de vouvoiement de MDN à l’adresse de son fils.15

      Centurie I : majuscules dans les deux cas aux quatrains 2, 16.

      Centurie II : majuscules dans les deux cas, au quatrain 93.

      Centurie III : troisième verset du premier quatrain :

            “Rouge adversaire de peur viendra (deviendra) pasle

Quatrain (III,1) de l'édition Macé Bonhomme (1555)

Quatrain III,1 de l'édition Macé Bonhomme (1555)

Quatrain (III,1) de l'édition conservée à Utrecht (1557)

Quatrain III,1 de l'édition conservée à Utrecht (1557)

Quatrain (III,1) de l'édition d'Anvers (1590)

Quatrain III,1 de l'édition d'Anvers (1590)

Quatrain (III,1) de l'édition de 1605

Quatrain III,1 de l'édition de 1605


            “Rouge adversaire de peur viendra (deviendra) pesle

Quatrain (III,1) de l'édition de Cahors (1590)

Quatrain III,1 de l'édition de Cahors (1590)


            “Rouge adversaire de peur viendra passe

Quatrain (III,1) de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain III,1 de l'édition conservée à Budapest (1557)

Quatrain (III,1) de l'édition de Benoît Rigaud (1568)

Quatrain III,1 de l'édition de Benoît Rigaud (1568)

      Centurie IV : majuscules communes, quatrain 77.

      Centurie V : majuscules commune, quatrain 57.

      Centurie VI : quatrain 100 manquant, dans les deux cas, advertissement latin identique.

      Centurie VII : 42 quatrains, dans les deux cas.

   Editions très proches l’une de l’autre, si ce n’était pour le 1er quatrain de la Centurie III. Or, sur ce point, l’exemplaire de Budapest comporte la corruption “passe” au lieu de “pasle” tout comme pour l’exemplaire Chomarat LPD alors que l’exemplaire d’Utrecht, on l’a vu, donne “pasle”. On soulignera que toutes les éditions parues à Paris et à Anvers, en 1588 - 1590 comportent “pasle” ou “pesle” (Cahors, 1590), y compris l’édition Macé Bonhomme 1555 (Bibl. Albi) et que ce trait (“pasle”) est également propre à l’édition 1605 et aux éditions troyennes. Cette forme “pasle” cohabite avec les éditions n’ayant pas de vouvoiement dans la Préface à César. En revanche, on peut trouver “pasle” avec ce vouvoiement mais pas de “passe” avec le tutoiement, sauf dans un seul et unique cas, celui de l’exemplaire de Budapest.

   Que conclure ? Que l’exemplaire d’Utrecht est antérieur à l’exemplaire Chomarat LPD, lequel appartiendrait à une génération plus tardive d’éditions des Centuries. Il pourrait en fait correspondre au premier volet de l’édition à laquelle se réfère le Janus Gallicus, si ce n’était l’état de corruption de la fin de la Centurie VI qui le rapproche de l’édition troyenne de Pierre Chevillot, à peu de choses près, à savoir, l’absence de l’annexe à la fin de la Centurie VII. Mais, dans ce cas, que dire de l’exemplaire de Budapest, dont il convient de réexaminer le cas ?

   La forme “passe” à III, 1, marque des éditions tardives de BR 1568 type Chomarat LPD. La présence même d’un seul mot en majuscules (en I, 16) ne suffirait-elle d’ailleurs à faire basculer l’exemplaire Budapest dans un autre groupe que les éditions des années 1580, lequel en est totalement dépourvu ? Incongru, cependant, est le maintien du tutoiement exclusif, dans la Préface à César, de la vignette atypique, des 40 quatrains seulement à la VII, plus l’absence de l’avertissement latin. Excusez du peu !

   Nous proposerons l’explication suivante : la leçon “passe” a du être corrigée dans certaines éditions et point dans d’autres. Le “passe” de BR 1568 Chomarat LPD pourrait venir d’une édition influencée par l’exemplaire de Budapest, lequel aurait également étrenné l’usage de majuscules à une toute petite échelle, tout comme il aurait essuyé les plâtres pour ce qui est de la vignette SFZ. Il est probable que la clef de cet imbroglio se trouve dans l’édition manquante à laquelle se référait implicitement le Janus Gallicus et dont l’édition 1605.

   Reste la question de la date de l’édition BR Chomarat LPD, édition qui comporte dix centuries, et se démarque sensiblement du modèle Janus Gallicus, incluant les présages et des quatrains supposés extraits des Centuries XI et XII. Il y a eu certainement une volonté de la part des éditeurs de ces versions centuriques à 10 centuries seulement, sans aucune addition, de renouer avec le plan de l’édition à la miliade, ce qui restreint l’ensemble à 10 centuries, tel qu’annoncé dans l’Epître à Henri II. Mais un tel projet nous semble appartenir au XVIIIe siècle , avec l’édition Pierre Rigaud 1566, dont, selon nous, l’édition BR 1568 est issue, étant précisée que ces éditions sont elles-mêmes dérivées des éditions troyennes dont elles ont élagué toute une partie du second volet, au delà de la Centurie X. Un tel subterfuge pour revenir à un état à dix centuries a pu laisser croire que les dites éditions qui furent conservées pourraient être antérieures aux éditions troyennes mais il y a là une évidente solution de continuité.

   Enfin, c’est l’occasion de revenir une fois de plus sur la question des éditions datées du vivant de MDN. Une des manifestations les plus marquantes d’une volonté d’attribuer à MDN des Centuries au cours de sa vie est la mention figurant dans le titre des éditions parisiennes de la Ligue : “reveues & additionnées par l’Autheur, pour l’an mil cinq cens soixante & un de trente neuf articles à la dernière Centurie”. C’est dire qu’en 1588, l’idée de Centuries parues dans les années 1550 était bel et bien établie. Et on n’en était pas à un coup d’essai, puisqu’il s’agit d’une addition à une édition nécessairement antérieure. Dans les Bibliothèques de La Croix du Maine et de Du Verdier (1584 - 1585), il est d’ailleurs question d’une édition datée de 1556, chez Sixte Denyse. On serait donc passé, entre 1572 et 1584 environ de la thèse d’une édition posthume des Centuries - ou due à ses disciples - à celle d’une édition par les soins mêmes de MDN. Le passage fut facilité par le fait que l’Epître à Henri II en tête de certaines Centuries était datée de juin 1558. Sur ces entrefaites, on retoucha une épître de MDN à son fils César, en date de 1555, pour l’ajuster à la présentation d’un autre lot de Centuries (trois centuries pleines et la IVe à 53 quatrains), selon nous, d’abord paru sous le nom d’un disciple. Cette Epître à César allait peu à peu se trouver à la tête de sept centuries comme avec les éditions Antoine du Rosne (à sept centuries dont la VIIe à 40 quatrains) avec entre les deux, très probablement, une édition à six centuries, complétant les 53 quatrains de la IVe Centurie, et une autre, Barbe Regnault, 1560, à 39 articles après la VIe centurie.

   On a cependant déjà signalé ailleurs l’impossibilité pour une édition à 7 centuries dont la VIIe à 40 quatrains d’être antérieure à l’édition de 1560 amorçant la VIIe Centurie. Ainsi, donc, les éditions Antoine du Rosne devraient-elles être plutôt datées d’après 1561. Mais ce faisant, elles devraient avoir été réalisées après 1588 lorsque l’on évoqua une éditions à 39 articles “additionnés” à la VIe Centurie, en 1560. En fait, l’édition Macé Bonhomme pourrait dater des années 1580, à peu près à l’époque où paraît à Rouen une édition à 4 centuries, dont la IVe incomplète, puis serait parue une édition à six centuries avec à la fin l’avertissement latin, puis l’édition avec l’addition de 39 articles, tout cela dans un laps de temps assez court. En réalité, ces diverses éditions antidatées sont probablement apparues au début des années 1580 et ont été intégrées au sein de l’édition à la miliade tout en poursuivant parallèlement leur carrière, les éditions de la Ligue faisant, par leur titre, à une édition plus ancienne, du fait même que leur contenu ne correspond pas à une telle présentation. Comment donc expliquer que l’on ait fabriqué au moins une édition, dans un premier temps, datée de 1557 alors qu’elle aurait du faire suite à la fausse édition de 1560 qui, en quelque sorte, l’annonçait ? On peut également se demander si l’édition Antoine du Rosne, datée de 1557, ne fut point couplée avec une édition comportant les Centuries VIII-X, portant la mention de l’année 1558, à Lyon16, et ce, évidemment, du fait de l’Epître à Henri II, datée de juin 1558. Cela pourrait expliquer l’existence des deux éditions antidatées de la Paraphrase de Galien pour les années 1557 et 1558.17

   Autrement dit, deux logiques s’opposèrent : l’une qui s'appuyant sur le fait que l’édition à la miliade était annoncée dans une épître datée de 1558, ce qui impliquait qu’une édition à sept centuries ne pouvait qu’être antérieure à cette date et l’autre qui avait été mise en place antérieurement, avant que l’Epître à Henri II n’annonçât la miliade, laquelle affirmait que l’édition à six centuries plus 39 articles datait de 1560. Il semble qu’il y ait eu conflit entre deux représentations du passé centurique, chacune produisant ses contrefaçons avec un décalage de trois quatre ans environ, entre l’édition Antoine du Rosne à sept centuries dont la IVe à 40 quatrains datée de 1557 et l’édition Barbe Regnault à six centuries plus 39 articles, datée de 1560. La matière est grosso modo la même, c’est la présentation qui diffère, puisque de toute façon, ces éditions antidatées relèvent de la même matrice constituée dans les années 1580.

Jacques Halbronn
Paris, le 14 septembre 2003

Notes

1 Cf. notre étude sur le pedigree des éditions Benoist Rigaud, 1568. Retour

2 Cf. Ed. M. Chomarat, 1993. Retour

3 Cf. étude iconographique, Cura.free.fr. Retour

4 Cf. “Apologie pour Nostradamus”, p. 30. Retour

5 Cf. Bib. Arsenal, Paris, 8° S 12592, page reproduite in M. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, Baden-Baden, 1989, p. 17. Retour

6 Cf. J. Allemand, “D’Horapollon à Galien : Nostradamus, médecin, philosophe et traducteur” in Nostradamus traducteur traduit, Ed. M. Bracops, Bruxelles, Les Ed. Du Hasard, 2000. Retour

7 Cf. pages de titre reproduites par M. Chomarat, Bib. Nostradamus, op. cit., pp. 25 et 28. Retour

8 Cf. notre réponse à l’étude de E. Gruber dans CURA 26 et sur ce Site. Retour

9 Cf. les trois tirages reproduits dans la rubrique iconographique (DIAP) du CURA. Retour

10 Cf. TPF, Lille, ANRT, 2002, volume III, planche C 10. Retour

11 Cf. Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat; 2002, p. 116. Retour

12 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, op. cit., p. 94. Retour

13 Cf. “le caractère trinitaire des éditions centuriques”. Retour

14 Cf. notre étude sur “le pedigree” de cette édition. Retour

15 Cf. pp. 30 et 32, éd. Chomarat 2000. Retour

16 Cf. R. Benazra, RCN, pp. 35 - 37. Retour

17 Cf. planches in Bibliographie Nostradamus, op. cit., pp. 25 - 28. Retour



 

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