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ANALYSE

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Le rôle des vraies Epîtres
dans la datation du faux centurique

par Jacques Halbronn

    Nous avons mis en évidence les relations existant entre le Janus Gallicus et les Présages des éditions du modèle Du Ruau.1 On ne suivra pas R. Benazra quand il écrit : “Ces 141 quatrains-présages ont la particularité de porter chacun un numéro et le nom d’un mois de l’année. Ils sont tirés de la Première Face du Janus François de Chavigny.”2 Il eût fallu pour ce faire que les 141 présages figurassent dans le Janus en question. Force est donc d’accepter que c’est plutôt le Janus qui est lié à une édition non recensée, publiée ou manuscrite, des Centuries comportant les Présages.

   Nous avons trouvé un témoignage, datant de 1710, et qui nous semble important à propos des éditions du Ruau en ce qu’il confirme le rapport entre Du Ruau et les éditions (anti)datées de 1605 :

   “Ainsi que le témoigne Pierre du Ruau de Troye (sic), dans son édition de ces sortes de Prophéties en 1605 où il assure à la teste de son Livre (...) que Benoist Rigaud de Lyon fût le premier qui les imprima en 1568, édition que je n’aye jamais vûe, & que je souhaiterais voir avec passion, pourvu qu’elle ne fût point contrefaite ; car il y en a beaucoup de fausses, faites à Paris & ailleurs, comme si elles étaient véritablement celle de Benoist Rigaud de Lyon.”3

La Clef de Nostradamus (1710)

Frontispice
de la Clef de Nostradamus (1710)

La Clef de Nostradamus (1710, p. 272)       La Clef de Nostradamus (1710, p. 273)

Extrait du témoignage cité plus haut
(Clef de Nostradamus, 1710, pp. 272 - 273)

   On ne connaît pas cette édition vademecum du Janus, elle différait nécessairement en certains points des éditions troyennes qui comporteront les Présages, à la différence des éditions lyonnaises de la fin du XVIIe siècle. Et pour une raison très simple que les 141 présages comportent des lacunes déjà signalées ailleurs et notamment le quatrain du mois de décembre 1567. Or, ce quatrain figure dans le Janus (p. 182, n° 221) :

Par le cristal l’entreprise rompue
Ieux & festins de LOIN plus reposer
Plus ne sera près des Grands sa repue
Subit catarrhe l’eau beniste arrouser.

   Certes, ce quatrain figure-t-il dans le RPP mais, selon Chevignard, “seuls subsistent quelques mots en début de vers qui suggèrent que Chavigny a du réécrire les alexandrins”.4 Il semble donc qu’il faille bel et bien supposer l’existence d’une édition imprimée comportant les divers quatrains commentés dans le Janus plus les autres qui ne le furent pas. Nous avons montré par l’étude des mots mis en majuscules la parenté entre le Janus et les éditions plus tardives des Centuries, comportant les Présages, non sans relever quelques variantes qui laissent à penser que l’édition disparue devait comporter certaines particularités qui diffèrent ponctuellement des éditions “modèle Du Ruau” qui sont les plus proches de ce à quoi le Janus renvoyait, à part le fait qu’elles comportaient les sixains.

   On s’est déjà interrogé sur le choix de ces 141 quatrains des almanachs et on a noté que si l’on ajoute 58 sixains, cela donne un total de 199 quatrains, soit quasiment deux centuries, ce qui porterait le nombre de Centuries à douze dont une incomplète, la VII. D’ailleurs, dans l’édition Chevillot, 58 sixains figurent sous le titre de Centurie XI. On sait que le projet d’un ensemble à douze centuries est exposé à la fin du “Brief Discours sur la vie de M. Nostradamus”, placé en tête du Janus. Mais on sait aussi que le Janus cite quelques quatrains qu’il attribue aux Centuries XI et XII et que d’ailleurs, ceux-ci figurent dans les éditions “modèle Du Ruau”. Il y aurait donc là cohabitation de deux “solutions” pour parvenir à 12 centuries. Nous avions supposé5 que les sixains seraient venus compléter la centurie VII mais une autre hypothèse, plus vraisemblable, en raison de la topographie de l’ensemble centurique, serait de les associer aux Présages, les deux séries se faisant suite, dans le modèle Du Ruau et les Présages manquant chez Chevillot.

   Mais pourquoi ne pas avoir placé tous les quatrains des almanachs et en avoir sacrifié quelques-uns dont ce quatrain du mois de décembre 1567 susmentionné. On a l’impression que ce nombre de 141 n’a strictement rien à voir avec le Janus et encore moins avec l’édition des Prophéties à laquelle le Janus renvoie. Il semble que l’on ait fait cette sélection, à partir de l’existence de 58 sixains encore que l’hypothèse inverse ait pu être envisagée, si l’on admet que les sixains, eux aussi, étaient plus nombreux que 58.

   Entre les deux éventualités, nous serions plutôt conduits à opter pour l’hypothèse d’une base de 58 sixains à laquelle on aurait choisi d’ajouter une sélection de quatrains. En effet, nous avons la preuve, ne serait-ce que dans le Janus, que les Présages étaient plus nombreux que 141 alors que nous n’avons pas la preuve formelle que les Sixains étaient plus nombreux que 58. Donc les Présages nous renseignent sur la situation des sixains mais le nombre 58 des sixains peut, pour sa part, tenir à la présence de 42 quatrains à la VII.

   On aurait donc la succession suivante :

   - 42 quatrains à la Centurie VII
   - 58 sixains pour compléter la VII.
   - 141 quatrains d’almanachs pour compléter les 58 sixains, sans savoir qu’ils servent déjà à compléter la VII, ce qui aboutit aux Centuries XI et XII.

   Tout cela donne une certaine idée des manipulations que s’autorisaient sinon les faussaires, du moins les “éditeurs” du début du XVIIe siècle, ne rechignant pas à trancher dans le vif, en éliminant certains quatrains des almanachs, quand cela les arrangeait.

   L’édition datée de 1605 est un cas intéressant et nous éclaire sur le cas de l’édition datée de 1555. Par certains côtés, l’édition de 1605 est antérieure à cette date, par d’autres, postérieure. Elle est antérieure à 1605, par son contenu, parce qu’elle comporte notamment le quatrain 100 de la Centurie VI, lequel figure d’ailleurs dans le Janus mais dans aucune édition parue chez les Rigaud, au cours des années 1590, pas plus que dans les éditions de la Ligue ou l’édition Antoine du Rosne 1557. Elle est postérieure à 1605 parce qu’elle date probablement, de par la présence des sixains, d’après l’assassinat d’Henri IV, en 1610, et vraisemblablement de la période de la Régence de Marie de Médicis.

   Pourquoi, donc, porte-t-elle la mention de l’année 1605 ? C’est qu’il existait une épître à Henri IV, datée du 19 mars 1605 et signée Vincent Sève, en la maison du Connétable de Montmorency, à Chantilly, et qui avait servi à introduire des quatrains.6 On aura utilisé cette Epître, remaniée, pour la faire introduire des sixains, tout en gardant l’année de 1605. Et c’est probablement exactement ce qui eut lieu pour l’édition Macé Bonhomme datée du Ier mars 1555, à partir, également, d’une Epître “relookée”, à César Nostradamus7, recyclée au service du centurisme.

   Bien entendu, cette Epître à Henri IV n’est pas sans s’inspirer de l’Epître à Henri II ainsi que du “Brief Discours de la vie de Michel Nostradamus”, et l’on peut déterminer l’endroit où la retouche est intervenue :

   “Ayant recouvert certaines Prophéties ou Prononstications (sic) faictes par feu Michel Nostradamus (...) et par moy tenues en secret jusques à présent (...), recogneu que j’ay la vérité de plusieurs sixains advenus de point en point (...) j’ay pris la hardiesse vous les présenter en ce petit Livret, non moins digne & admirable que les deux autres Livres qu’il fit etc.”

   A la place de sixains devait initialement figurer une autre expression : quatrains, par exemple.

   On voit de quelle façon, les faussaires produisent des contrefaçons de faux. Mais le genre de la contrefaçon8 en ce qu’il préserve souvent des informations précieuses et qui, d’ailleurs, vont souvent à l’encontre de ce qui est interpolé ou du nouveau cadre dans lequel le document concerné est repris alors que le faux, quant à lui, est surtout marqué par le profil de ceux qui le produisent.

   Croire qu’un ouvrage peut être daté à partir de la date de l’Epître qui y figure est bien imprudent et certains en sont encore à supposer l’existence d’une édition parue en 1558, pour accompagner l’Epître à Henri II qui comporte cette date.9

   R. Benazra écrit à ce sujet, en faveur d’une édition 1558 mentionnée comme ayant été utilisée par des éditions du XVIIe siècle :

   “Il n’aurait servi à rien que Nostradamus écrivît une préface adressée à un certain “Henri Second”, s’il ne la faisait pas publier avant la mort, en juillet 1559, du souverain de France, Henri II (...) et il n’est guère probable qu’un imprimeur aurait osé éditer après le décès du roi (...) un livre qui s’ouvre sur une longue dédicace adressée au Roi.”10

   Tout dépend justement de l’intervalle entre la mort du Roi et la date de parution. Curieusement, on s’étonne qu’une épître au Roi ait pu paraître de façon posthume alors que l’on a des dizaines d’éditions des Centuries qui la comportent et la rapportent, bien après les événements considérés. Ce qui eût été absurde, c’est que l’on eut fait écrire à MDN cette Epître après la mort d’Henri II ! Il importait que si l’on souhaitait récupérer la “vraie” Epître à Henri II, en tête des Présages Merveilleux pour 1557, pour introduire un lot de Centuries, de se situer dans ce créneau situé à la veille de la mort du roi.

   On nous demandera pourquoi les faussaires n’ont pas gardé la date figurant dans les Présages Merveilleux, à savoir le 13 janvier 1556. Il est évident que si cela avait été le cas, la contrefaçon eût été immédiatement identifiée, confrontée à l’original mais on pourrait en dire autant d’autres contrefaçons qui respectèrent les dates des épîtres recyclées. On sait, par le témoignage de Crespin, que la date du 27 juin 1558 fut utilisée pour une contrefaçon de l’Epître du 13 janvier 155611, dans les années qui suivirent la mort de MDN, en 1566. Qu’est-ce donc qui justifia de postdater - ce qui est assez inhabituel dans un milieu où la pratique inverse est plus répandue - la date de la dite Epître ? Ce n’est quand même pas l’Epître des Présages Merveilleux qui aurait été antidatée ! Qu’est ce qui dans le contenu de l’Epître remaniée ou dans les Centuries qui l’accompagnent pourrait expliquer d’avoir repoussé sa date de rédaction ? A-t-on voulu en datant l’Epître du mois de juin, au 27 de ce mois, qui sera celui de la blessure mortelle du Roi, lors du tournoi du 30 juin 1559, un an plus tard, laissé entendre que MDN avait, quand même, annoncé celle-ci ? Nous avons souligné, ailleurs, le jumelage de cette Epître au Roi de 1558 avec celle figurant, pour la même année 1558, à la fin des Significations de l’Eclipse de 1559, en date du 14 août et qui aurait été remaniée en vue de faire annoncer par MDN le tragique événement.12 En tout état de cause, il semble bien que cette Epître ait accompagné les centuries “posthumes” (correspondant dans le canon à VIII - X), parues en 1568. Or, curieusement, il semble que nombre de chercheurs, de nos jours, rechignent à reconnaître ouvertement un tel caractère posthume - une épithète fort peu employée - à une partie des Centuries, comme s’ils pressentaient qu’une fois une telle chose admise, on ouvrirait - ce qui n’est pas faux - la porte à toutes sortes d’interrogations qui se répercuteraient sur les premières centuries et leur préface.13

   Or, il ne faudrait pas oublier, dans cette affaire, un détail essentiel : nous ne connaissons pas le texte de l’Epître à Henri II dans sa première version remaniée, nous n’avons sous la main qu’une édition probablement élaguée - surtout si elle émanait du camp réformé - introduisant la miliade de quatrains et qui date du début des années 1580. Il est possible que dans cette Epître disparue, certains éléments justifiaient ce report de date, nous pensons notamment à la question des Guise, du fait, en cette année 1558, du mariage de François II avec Marie Stuart, fille de Marie de Lorraine, régente d’Ecosse et soeur du duc de Guise. En outre, le 6 janvier 1558, François de Guise avait repris Calais aux Anglais. La mort d’Henri II allait faire de Marie Stuart la reine de France. Nous avons déjà souligné l’importance des Guise dans l’histoire des Centuries et notamment à propos de la Centurie VII et des 39 articles.14 Bref, 1558 est l’année où l’étoile des Guises commença à briller singulièrement. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. La nouvelle Epître qui parut vers 1584 aurait, selon cette hypothèse, non seulement fait disparaître certains éloges des Lorrains mais aurait introduit des quatrains, qui selon nous ne figuraient pas au début dans le groupe VIII - X, introduit par l'épître à Henri II de 1558, annonçant la victoire des Bourbons (Mendosus) sur les Guises (Norlaris). C’est ce qu’on appelle retourner une prophétie.15 D’où la disparition de cette Epître à Henri II et des centuries qui allaient avec, dans les éditions parues sous la Ligue en 1588 - 1589.

   On notera également le cas de l’édition Antoine du Rosne datée de 1557 alors que la Préface à César l’est, elle, de 1555. On peut se demander s’il n’y eut pas deux éditions de l’ouvrage - il s’agissait de Prophéties Perpétuelles, pouvant donc reparaître sans problème - introduit ou constitué par l’Epître à César, l’une de 1555, attestée par Couillard dans ses Prophéties (1556), l’autre de 1557 qui aurait servi pour la contrefaçon et à laquelle aurait réagi Videl, dans ses Déclarations des abus, ignorances & séditions de Michel Nostradamus, Avignon, 1558. D’où l’existence des éditions respectivement datées de 1555 et 1557, encore que l’édition de 1555 tienne probablement sa date au simple fait que la Préface à César comporte la dite année. L’idée d’une seconde édition a pu susciter celle de Centuries supplémentaires, passant ainsi de quatre à sept.

   L’Epître n’est pas censée changer de date, ce qui n’est pas le cas des éditions successives, d’où souvent le décalage chronologique entre les deux volets, l’épistolaire et le corps de l’ouvrage voire avec la page de titre. Le faux centurique s’est constitué, en grande partie, autour de trois épîtres parues effectivement mais remaniées, respectivement en mars 1555, janvier 1556 - encore convient-il de déterminer à quelle année cela correspond, vu les pratiques de datation en vigueur à l’époque - et mars 1605, la dernière, par définition, n’étant pas censée être due à MDN. Voilà qui dénote tout de même une certaine économie de moyens ; on aura préféré faire du neuf avec du vieux de façon à conférer une patine aux documents et à les inscrire dans le tissu d’une époque, trouvant ainsi dans les témoignages des contemporains de précieux certificats d’authenticité.

Jacques Halbronn
Paris, le 1er août 2003

Notes

1 Cf. nos dernières études. Retour

2 Cf. RCN, p. 160. Retour

3 Cf. Jean Le Roux, La Clef de Nostradamus, Paris, P. Giffart, 1710, pp. 272 - 273. Retour

4 Cf. Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, p. 190. Retour

5 Cf. Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat. 2002. Retour

6 Cf. notre ouvrage Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus. Retour

7 Cf. notre étude “Epîtres et épitaphes”. Retour

8 Cf. notre étude sur “Faux et contrefaçons”. Retour

9 Cf. M. Chomarat, “Un chaînon manquant dans l’oeuvre de Nostradamus : l’édition de 1558 des Prophéties”, Colloque Nostradamus traducteur traduit, Bruxelles, Ed. Du Hasard, 2000, pp. 78 - 82. Retour

10 Cf. RCN, pp 35 - 37. Retour

11 Cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, op. cit., p. 52. Retour

12 Cf. notre étude sur “le seuil de 1559”, op. cit. Retour

13 Cf. notre étude “le caractère et la carrière posthumes de Nostradamus”, op.cit. Retour

14 Cf. notre étude sur “la centurie VI”. Retour

15 Cf. notre étude sur “les centuries partisanes”. Retour



 

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