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ANALYSE

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Contribution aux méthodes de description
du corpus centurique

par Jacques Halbronn

    Quand on consulte les travaux consacrés aux supercheries littéraires1, on ne trouve rien qui soit consacré au phénomène Nostradamus. L’histoire des littératures, à travers les âges, est truffée de supercheries littéraires de toutes sortes et le fait que le nostradamisme centurique ait échappé jusqu’à présent, tout au long des XIXe et XXe siècles, à une telle catégorisation nous semble être le signe d’un certain retard de la recherche nostradamologique. Il semble bien que l’on se soit le plus souvent orienté vers une approche apologétique et exégétique, visant à occulter la véritable Histoire des Centuries. L’obstacle épistémologique tient au fait que les Centuries étant par définition “prophétiques”, il n’était pas aisé de faire apparaître des anachronismes, c’est-à-dire des éléments qui ne pouvaient être connus à une époque donnée, or la recherche textologique passe notamment par la mise en évidence de tels anachronismes.

   Non pas d’ailleurs que Michel de Nostredame puisse être considéré comme faussaire. D’une part parce que l’on ne pourrait statuer à ce sujet qu’une fois le point fait sur son oeuvre, ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas, de l’autre parce que l’on s’est servi à l’évidence de son nom. Quant à ceux qui ont fait “commerce” de son nom, encore faudrait-il déterminer ce qu’ils ont voulu faire croire. Or, sur ce point, les historiens de la littérature nostradamique n’ont, semble-t-il, pas été à la hauteur de la tâche qui leur incombait et ont plutôt ajouté à la confusion par des hypothèses fondées sur une analyse superficielle de certains documents, ce qui les conduisit, paradoxalement, à constituer une supercherie littéraire par leurs propres allégations au lieu de signaler son existence. Cette incurie de la part de ceux qui se sont consacré à la question dans une perspective historienne expliquerait l’absence des Centuries nostradamiques au sein du corpus des supercheries littéraires, qui va du Zohar de Moïse de Léon à Emile Ajar alias Romain Gary. Le cas Nostradamus illustre bien la difficulté du travail de l’historien quand celui-ci est censé nous décrire ce qui s’est passé à partir de documents plus ou moins douteux ou en tout cas dont il lui incombe, a priori, de douter.

   Nous essaierons dans la présente étude de décrire avec quelle méthodologie il convient d’oeuvrer pour traiter avec quelque efficacité de l’ensemble nostradamique. Notre travail devrait intéresser les bibliographes en ce qu’il insiste sur les points qu’il importe de préciser lorsque l’on décrit un document; or il ne semble pas que les bibliographies actuellement en usage nous fournissent les éléments les plus utiles à la datation des textes ainsi recensés.

   Face à un corpus considérable et en partie non daté ou antidaté, comment organiser une chronologie rationnelle de la littérature nostradamique ? Reconnaissons que le travail des bibliographes de la question ne s’accompagne d’aucun apport méthodologique un tant soit peu articulé. Il ne s’agit pas tant dans cette étude de fournir des conclusions mais des outils de travail invitant le chercheur à examiner les diverses éditions des Centuries avec une certaine acuité de façon à lui permettre d’élaborer des propositions de chronologisation qui puissent faire l’objet de discussion et éventuellement de falsification.

   Si les éditions datées posent problème, a fortiori, celles qui ne le sont pas. Il existe une période où aucune date ne figurait, c’est celle qui, dans le Répertoire Chronologique Nostradamique de R. Benazra (RCN) concerne les pages 143 à 193. Ainsi, donc, pendant 50 pages, nous n’avons affaire qu’à des éditions sans date, excusez du peu : cela va des années 1594 à 1644, soit durant un demi siècle ! On nous propose des dates approximatives précédées donc d’un c X ou c Y et qui correspondent aux périodes d’activité des libraires mentionnés de Lyon ou de Troyes. Mais est-ce que les mentions des libraires sont valables, si l’on a pris ainsi la liberté de ne pas dater les éditions ? Le cas de l’édition Pierre Rigaud datée de 1566 et réalisée au XVIIIe siècle est édifiante, en ce qu’elle correspond précisément à un des cas concernés. Mais que se serait-il passé si les faussaires, se servant d’une édition Pierre Rigaud non datée et ignorant les dates d’activité des Rigaud avaient malencontreusement choisi un libraire plus vraisemblable comme Macé Bonhomme ou Antoine du Rosne ? On en serait encore à affirmer, comme le faisaient encore un Torné Chavigny ou un Le Pelletier sous le Second Empire, que l’édition princeps à dix centuries était celle de 1566 et cette édition figurerait entre la production 1557 et la production 1568. Au fond, chaque fois que des faussaires prenaient la peine de mettre une date sur une édition, celle-ci était acceptée pour argent comptant !

   On peut en outre se demander si cette atemporalité des éditions de la période 1594 - 1644 n’a pas favorisé la production d’éditions antidatées pour les années 1550 - 1560. Le cas d’éditions datées de 1568, et vraisemblablement dues à des libraires troyens auteurs d’éditions non datées, nous semble caractéristique et d’ailleurs on peut se demander si le double problème du non datage et de l’antidatage ne se résout pas en un seul; paradoxe en tout cas de ces éditions non datées qui font suite à une série d’éditions qui le sont pour les périodes 1588 - 1590 notamment. Pour démêler l'écheveau de ce corpus non daté / antidaté, au sein du corpus nostradamique en général, il convient de trouver des lignes directrices. On peut tout de même se demander si cette façon, cette tradition qui va s’instaurer durant quelques décennies, de publier sans référence de date tout un ensemble d’éditions sous cependant des noms de libraires bel et bien existants et qui aura ainsi induit en erreur les faussaires de l’édition 1566 ne constitue pas déjà en soi une forme d’anti-datation (à la fois au sens rétrospectif et conflictuel) laissant dans le flou la date réelle de publication. Calcul au demeurant couronné de succès puisque l’on a ainsi des fourchettes de plusieurs années, notamment chez un Benoist Rigaud dont la période d’activité a été extrêmement longue, s’étalant des années 1560 aux années 1590, ce qui permet de remonter aux débuts de son activité de libraire pour dater une édition en réalité bien plus tardive. On voit ainsi les bibliographes dans l’embarras et ne sachant pas si telle édition est antérieure ou postérieure à tel événement, ce qui est le propre de la stratégie prophétique. Cette pratique lancée par les Rigaud (Benoist Rigaud, puis Héritiers Pierre Rigaud, puis Pierre Rigaud) semble avoir été imitée par d’autres libraires lyonnais, conscients ou non des véritables enjeux. Au bout d’un certain temps, au cours des années 1640, cette pratique tomberait en désuétude, ce qui ne mettrait d’ailleurs pas fin aux interpolations sous la Fronde, avec notamment de nouveaux quatrains se référant à Mazarin.

   Il convient également de considérer des cas intermédiaires où un volet est daté et pas l’autre : souvent, le premier volet de centuries porte une date, probablement une antidate, alors que le second volet, comportant à nouveau la mention du libraire et un titre spécifique, n’en offre aucune, sans qu’il y ait nécessairement homogénéité de présentation entre l’un et l’autre et sans que la pagination ne soit continue. C’est le cas des diverses éditions datées de 1568.2 Le critère de la pagination simple ou double, pour les deux volets centuriques, n’est certes pas à négliger.

   Le moins que l’on puisse faire est de rapprocher certaines éditions, quand bien même se présenteraient-elles sous des apparences différentes et inversement de distinguer des éditions qui ont l’air semblables et qui ne le sont pas tant que ça.

   C’est ainsi que R. Benazra a raison de signaler (p. 156) :

   “1605: Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Revues & corrigées sur la copie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud, 1568. Nous ne trouvons pas de nom d’imprimeur dans ce volume. Sa typographie semble quasi-identique à celle de l’édition non datée de Pierre du Ruau, à Troyes etc.”

   Nul doute en effet que l’on puisse ainsi tenter d’établir des filiations / filières entre certaines éditions et faire éventuellement apparaître des anachronismes, c’est-à-dire des successions fort improbables d’éditions.

   C’est ainsi que la comparaison des deux éditions troyennes, celle de Pierre Chevillot et celle de Pierre Du Ruau est significative : Benazra situe l’une vers 1611 (p. 169) et l’autre vers 1630. (p. 191). Une telle présentation est assez étonnante surtout quand on a lu que l’édition de 1605, selon Benazra, s’apparente à l’édition Du Ruau, encore que l’on puisse supposer que l’édition du Ruau aurait repris l’édition, sans mention de libraire, de 1605.

   Or, la comparaison des deux volumes, tous deux d’ailleurs associés à un autre ouvrage, le Recueil des Prophéties et Révélations tant anciennes que modernes, est assez parlante : dans les deux cas, il est question d’un quatrain 101 à la Centurie X et qui comporte un chronogramme renvoyant probablement à 1660 mais chez Du Ruau, il est indiqué “ajouté depuis l’impression de 1568” et chez Chevillot il n’est rien précisé, comme si de rien n’était.

   Cela ne signifie cependant pas que l’édition Du Ruau soit antérieure mais qu’elle s’appuie sur un état antérieur à celui de l’édition Chevillot. Le fait que l’avertissement en latin (Legis Cautio au lieu de Legis Cantio) de l’édition Du Ruau soit plus correct que celui de l’édition Chevillot en témoigne également, si l’on admet qu’un état corrompu est postérieur à un état qui ne l’est pas tout comme la mention d’une addition dans une édition est antérieure à l’absence de cette mention dans une autre édition ou encore qu’une édition comportant une centurie à 100 quatrains est antérieure à une édition ne disposant plus, pour cette même Centurie que de 99. Or, comme par hasard, lorsque la Centurie VI n’a que 99 quatrains, on a un avertissement latin corrompu et vice versa. Mais il est vrai que les différents critères utilisés sont parfois susceptibles de conclusions contradictoires et, comme nous l’avons annoncé, la présente étude ne vise pas à tirer des conclusions, ce qui nous intéresse ici étant avant tout de procéder à une certaine sensibilisation.

   Restons avec les deux éditions troyennes : l’édition de Du Ruau comporte les Présages, c’est-à-dire les quatrains des almanachs tandis que l'édition Chevillot ne les conserve pas. Si toutes les deux ont les sixains, l’édition Chevillot les présente sous le titre de Centurie XI alors que l’édition Du Ruau mentionne quelques quatrains pour des centuries XI et XII que l’édition Chevillot ne mentionne pas. Des choix différents ont été opérés.

   Il ne semble pas, par ailleurs, que l’on ait souligné la façon dont les citations latines sont amenées dans les textes centuriques en prose. Le plus souvent, on recourt à des polices différentes : quand le texte français est en italique, on renonce aux italiques pour les passages en latin ou au contraire on réserve les italiques pour les citations latines. Parfois, cependant, on ne prend pas la peine de distinguer les deux langues, comme c’est le cas de l’édition 1568 reproduite par M. Chomarat, en ce qui concerne l’Epître à Henri II (pp. 153 - 173), alors que pour la Préface à César, dans cette même édition, la distinction typographique s'opère. Une telle observation nous conduit à la réflexion suivante : est-ce que les deux volets des Centuries, dans telle édition, constituent ou non un ensemble homogène ou bien sont des pièces rapportées, issues de pratiques éditoriales différentes ? Or, une telle hypothèse n’est-elle pas plus envisageable dans le cas de contrefaçons antidatées ou non datées issues de corpus séparés que lors d’une toute première édition ? On notera que les éditions parisiennes parues sous la Ligue, dans les années 1588 - 1589, ne comportent aucune distinction typographique pour le latin alors que l’édition anversoise de 1590 en comporte. Entre les deux éditions de P. Ménier, celle datée de 1589 et celle datant vraisemblablement d’environ 1598, un changement dans les conventions typographiques serait ainsi apparu.

Edition Pierre Menier (1589)    Edition Pierre Menier (n.d.)

Préface à César    Préface à César

Frontispices des éditions Pierre Menier, l’une datée de 1589 (BNF) et l’autre non datée (Mazarine).
On comparera les typographies sur la dernière page reproduite de la Lettre à César (datée de 1557) :
l’édition non datée utilise des caractères droits pour les passages en latin.

   S’il nous fallait, par exemple décrire l'édition de Cahors datée de 15903, nous signalerions notamment qu’elle comporte une préface à César datée de 1555 et 99 quatrains à la VI, comme l’édition d’Anvers, mais à la différence de cette dernière un avertissement en latin (Legis Cantio et non Cautio), et 42 quatrains à la VII et qui serait l’ancêtre des éditions à deux volets de type Rigaud, ou ce qui est peut être plus intéressant comme on va le voir plus loin l’édition Pierre Ménier non datée.4

   Mais comment, dans ce cas, expliquer que les éditions lyonnaises de 1555 - 1557 comportent ces distinctions pour la Préface à César qui auraient été perdues trente ans plus tard et comment expliquer que pour l’édition 1568, on trouve, du moins dans certains cas (celui choisi par Chomarat) une Epître à Henri II, sans distinction typographique et sans recours à l’italique faisant suite à une Préface à César comportant cette distinction ? Le critère de la distinction linguistique nous oriente, pour la datation des éditions 1555 - 1557 vers la fin des années 1590.

   Un autre cas intéressant est la distinction au niveau alphanumérique : écrit-on les chiffres en toutes lettres ou selon un mode abrégé ? Parfois on peut avoir Centurie seconde, parfois Centurie II, parfois les hauts de page seuls sont abrégés. C’est ainsi que l’édition Macé Bonhomme 1555 ne comporte pas de présentation numérique abrégée et aucune mention en haut de page tandis que l’édition Antoine du Rosne 1557 introduit chaque centurie sans abréviation, mais avec des hauts de page abrégés alors que l’édition Benoist Rigaud 1568 (reprint Chomarat) introduit chaque centurie sur un mode abrégé avec également des hauts de page abrégés. De telles observations, on l’a dit, autorisent des rapprochements sinon des (re)datations.

   C’est ainsi que l’un des reproches que nous exprimons à l’encontre des éditions datées de 1557, et en laissant ici de question les problèmes de fond, de contenu, c’est de présenter une centurie IV d’un seul tenant et sans mention d’addition alors que l’on connaît des éditions censées être plus tardives, sous la Ligue, qui indiquent explicitement l’existence d’une addition au quatrain 53 de la centurie IV. La mention d’un raccord ne nous semble pas envisageable à l’absence de cette mention.

   Cela dit, il semble bien que sous la Ligue, des quatrains aient été censurés comme on peut le voir dans l’édition d’Anvers, de St Jaure, 1590 où cinq quatrains manquent à la centurie VII pour ne pas parler d’une censure de l’Epître à Henri II et des centuries protestantes lui faisant suite, alors qu’une édition à dix centuries avait vraisemblablement préexisté, vers 1584.

   Rappelons aussi l’intérêt à accorder au recours aux majuscules dans les quatrains. Si l’édition de 1557 conservée à Budapest ne comporte pas de majuscules, celle conservée à Utrecht recourt volontiers à un tel procédé tout comme d’ailleurs l’édition Macé Bonhomme 1555. Il est pour le moins étrange que deux éditions datées de la même année 1557 et censées parues chez le même libraire, Antoine du Rosne, mette l’une des majuscules à certains mots des quatrains et pas l’autre. L’exemplaire d’Utrecht ressemble davantage à l’édition Macé Bonhomme que celui de Budapest et notons en passant que le dit exemplaire d’Utrecht est daté du mois de septembre et comporte 42 quatrains à la centurie VII alors que l’exemplaire de Budapest, daté de novembre, et donc a priori plus tardif, ne comporte que 40 quatrains à cette dernière centurie.

   On peut également faire apparaître des origines différentes d’une édition à l’autre. C’est ainsi que l’édition d’Anvers de 1590 n’est pas pour autant la suite des éditions de Paris de 1588 - 1589, comme on pourrait le croire par une numérotation des éditions, telle que celle proposée par R. Benazra. L’édition d’Anvers (1590) date la Préface à César de 1555 alors que les éditions parisiennes la situent en 1557. L’édition d’Anvers, en dehors des cinq quatrains censurés à la VII est sensiblement plus cohérente que les éditions parisiennes qui comportent une huitième centurie, sans aucun lien avec la centurie VIII introduite par l’Epître à Henri II et qui n’a plus droit de cité. Or, une telle cohérence n’est pas simplement due au fait que l’édition François de St Jaure serait plus tardive d’un an.

   Visiblement, les deux volets ont une histoire sensiblement différente, tantôt regroupés, tantôt séparés. Pour l’Epître à Henri II, on s’intéressera notamment à la façon dont est rendu la formule de l’Apocalypse de Jean, “Gog et Magog”, qui apparaît sous une forme anagrammatique, elle-même plus ou moins corrompue (Dog et Dogam, Dog et Dohan, etc).

   Le problème qui se pose est le suivant : la priorité est de dater les éditions ou les parties d’éditions, si l’on admet que chaque volet est susceptible d’avoir sa propre histoire. Il s’agit moins d’ailleurs de dater précisément que de classer chronologiquement les différentes éditions. Il peut en effet arriver qu’une édition comportant un matériau plus ancien paraisse après une édition comportant un matériau plus tardif et la priorité pour l’heure est de classer non pas tant les éditions que les différents “segments” chronologiques ou si l’on préfère chronématiques - les chronèmes - conduisant à des terminus a quo ou ad quem.

   Outre les critères ici énoncés, on rappellera que certains quatrains sont marqués par un certain contexte et que ce contexte peut être parfois daté. Ce sont souvent les suppressions qui soulignent la signification de tel quatrain et cela vaut alors la peine d’en comprendre le sens. Un cas intéressant est celui des éditions parues sous la Ligue. Pourquoi la centurie VI est-elle coupée en deux et a-t-on introduit une coupure après le quatrain 71 ? Il ne s’agit pas là nécessairement d’ajouts mais d’un codage permettant d’attirer l’attention du lecteur sur le quatrain ainsi placé artificiellement en position finale.

VI, 71
Quand viendra le grand roy parenter
Avant qu’il ait du tout l’ame rendue
Celuy qui moins viendra lamenter
Par lyons, d’aigles, croix, couronne vendue

   Il s’agit là en fait d’une attaque contre Henri de Navarre, auquel il est reproché de s’appuyer sur l’étranger, symbolisé par le lion, l’aigle, la croix, et de leur vendre la couronne. Il ne s’agit donc nullement d’un état de gestation d’une centurie mais d’une déconstruction ayant valeur exégétique. En ce sens, les Centuries nous apparaissent comme une sorte de Liber Mutus, où l’on se passe de commentaire en bonne et due forme au profit de messages à décoder.

   Or, c’est dans les mêmes éditions des années 1588 - 905 que l’on trouve une Centurie IV coupée en deux, exactement sur le même modèle que la Centurie VI. Il nous apparaît donc qu’initialement toutes les Centuries étaient, comme leur nom l’indique, à cent quatrains - y compris la Centurie VII - et qu’elles ont été par la suite censurées. L’édition Macé Bonhomme à 353 quatrains date vraisemblablement de la période de la Ligue qui aurait constitué une parenthèse dans l’histoire des Centuries, si certains n’avaient pas été obnubilés par la découverte de deux exemplaires de la dite édition. Quant aux deux exemplaires de l’édition Antoine du Rosne, ils comportent une Centurie VII incomplète qui les disqualifie également pour représenter les années 1550. Ces éditions à sept centuries sont probablement postérieures à l’édition d’Anvers de 1590. Nous en resterons donc à la présentation de l’Epître à Henri II annonçant une miliade de quatrains6 et nous pensons qu’il faut prendre cette mention à la lettre car à quoi bon retoucher, comme selon nous ce fut le cas, une Epître pour lui faire annoncer ce qui n’est pas ? Autrement dit, l’épître à Henri II ne correspond pas, stricto sensu, au contenu des quatrains à laquelle désormais on l’appose.

   Il peut aussi se révéler précieux de recourir à des témoignages de contemporains, surtout lorsque ceux-ci reproduisent des passages d’une Epître centurique, notamment la Préface à César, voire des quatrains, certains recoupements faisant ressortir des variantes utiles à la chronologisation voire mettant en évidence des contrefaçons à partir de documents réels. Faut-il rappeler que Michel de Nostredame fut l’auteur de divers textes, dont certains attestés seulement indirectement, comme les Vaticinations Perpétuelles, mentionnées dans la Préface à César, et que tout ce qui fait allusion à son oeuvre ne renvoie pas ipso facto aux Centuries ?

   Quant à la possibilité de dater les documents selon l’étude du papier ou tout autre critère matériel (éléments typographiques), il semble qu’il s’agisse là d’une mystification. Il suffirait pour ce faire de tester ceux qui prétendent que cela est possible en leur fournissant des pages issues par exemple d’éditions toutes datées de 1568 ou s’y référant et d’apprécier la capacité de certains à recouper par la seule étude matérielle les enseignements liés au contenu. Une autre question est celle du critère orthographique : il resterait à essayer de dater certains changements notamment en ce qui concerne les construction au passé, selon que l’on recourt à l’accent ou au ez mais il est possible que dans ce domaine, plusieurs formes aient coexisté et ce critère ne semble pas, pour l’heure, tout à fait concluant.

   On nous accordera que la recherche nostradamologique passe désormais par l’élaboration d’hypothèses soutenues par un certain nombre d’arguments articulés sur un corpus certes lacunaire mais dont il importe de recueillir le moindre élément disponible. Il reste que cette recherche est susceptible à terme de déterminer l’existence de chaînons manquants. Rien ne serait plus fâcheux de vouloir réduire le corpus nostradamique aux seules éditions conservées ou du moins localisées - et la recherche des documents n’est certes pas close - et de se contenter d’avaliser les dates, souvent délibérément approximatives, qui sont fournies complaisamment par des libraires indélicats, plus ou moins en cheville avec des faussaires. Quant à se fier aux dates entérinées par les bibliographies nostradamiques, c’est là une solution de facilité qui n’est plus désormais de mise. Un récent séjour à Londres nous a ainsi permis de dénoncer une erreur grossière concernant la collection Harry Price (HPL), sise au sein de la Bibliothèque de l’Université : on nous signalait une édition Benoist Rigaud datée pour le premier volet de 1594 et pour le second de 1596 et qui viendrait de la bibliothèque de Klinckowstroem. Or, cette édition Benoist Rigaud ne s’y trouve pas, alors qu’on n’en connaît pas d’autre exemplaire. En revanche, l’édition Héritiers de Benoist Rigaud s’y trouve intégralement et elle, est belle et bien issue de la dite bibliothèque Klinckowstroem. Or, on n’en connaissait que le premier volet au sein du fonds Chomarat de la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu. C’est ainsi qu’on nous avons eu l’heur de consulter le second volet de cette édition non datée, ce qui nous a permis de le comparer avec le second volet des autres éditions. Etant donné qu’on ne dispose présentement d’aucune édition Benoist Rigaud datée de la fin du XVIe siècle mais uniquement des éditions datées de 1568, et encore cette datation ne vaut-elle que pour le seul premier volet, on comprendra qu’une telle localisation puisse se révéler précieuse. Cela dit, il nous apparaît que, par commodité, le second volet des éditions Benoist Rigaud ne soit jamais daté, ce qui permet de l’associer indifféremment à un exemplaire antidaté ou non daté, si bien que l’on dispose de fait du second volet tel qu’il paraissait dans les éditions non datées.

   C’est dire que la recherche doit être menée sur plusieurs fronts, y compris une meilleure connaissance du corpus prophétique extra-nostradamique, permettant de faire des recoupements utiles et de recourir ainsi à un corpus commun à l’ensemble de la littérature prophétique, ce qui, à l’occasion, permet de reconstituer certains “trous” et de décoder certaines références. C’est ainsi que récemment, nous avons pu montrer que les Prophéties de Couillard (1556) comportaient des passages non identifiés par les nostradamologues et qui relevaient d’une terminologie particulière aux Prophéties Perpétuelles, ce qui nous a conduit à supposer que la mort d’Henri II, en 1559, avait pu être annoncée par Michel de Nostredame non point au moyen de quatrains centuriques (comme I, 35) ni même de quatrains d’almanachs mais de textes oraculaires, parus au sein de Prophéties, fournissant, de façon cyclique, pour chaque année quelques formules, dans le style : pour telle année, “mort d’un Prince”.7

   Voilà qui pose la question de la biographie de Michel de Nostredame : quelle fut sa réputation, que publia-t-il de son vivant ? Il faut attendre B. Guynaud9 pour ce faire : “Les désirs néanmoins que Nostradamus avoit de rendre service à la postérité (…) le déterminèrent enfin de faire imprimer ses Prophéties le I. de Mars 1555”. (p. 13) La date n’est autre que celle figurant au bas de la Préface à César.

   Victor Advielle fournit un rapport de police10, daté de 1694, comportant la lettre d’un chanoine Penez de Bruxelles, en date du 26 février 1694 : Nostradamus “a fait imprimer les sept premières centuries en l’an 1555 et il a fait imprimer les trois autres centuries avec les sept précédentes en l’an 1558 (sic).” Cette date de 1558 est certainement liée à la date de rédaction de l’Epître à Henri II, telle qu’elle figure dans les éditions des Centuries. Il est à noter que le chanoine recherchait désespérément une édition comportant cent quatrains à la centurie VII !

   Il semble donc que cette tendance à dater les Centuries du vivant de Michel de Nostredame a commencé par s’articuler autour des dates de rédaction figurant dans les deux Epîtres introductives, correspondant aux deux volets et cela sans mention de libraire. Il s’agit là de références figurant au sein d’une vie de Nostradamus et non de simples données bibliographiques telles qu’on en trouve dès les années 1580. Apparemment, les auteurs du XVIIe siècle que nous avons cités n’ont pas tenu compte de ce qui figure dans les Bibliothèques de La Croix du Maine et de Du Verdier. On notera que l’on a longtemps cru que le premier volet comportait dès 1555 sept centuries. Cela fut donc un choc, par la suite, de découvrir qu’il n’en était rien et que l’on était passé par un stade ne comportant que trois centuries pleines et 53 quatrains à la Centurie IV, mais il est vrai que rien ne permettait de supposer, du moins dans les éditions à partir du XVIIe siècle, que les sept centuries n’étaient pas parues en même temps que la Préface à César. Voilà qui devrait rendre prudents ceux qui pensent que la toute première édition des Centuries était à 353 quatrains. Il semble en effet que le projet pseudo-nostradamique initial ait bien été de publier des centuries complètes.11

   Il semble qu’un certain consensus converge désormais vers l’idée que les premières éditions des Centuries sont posthumes - quel qu’en soit l’auteur - et datent de 1568 mais non point sous la forme des éditions que l’on connaît.

   On proposera un double rapprochement iconographique :

   I - Les vignettes des éditions 1555 - 1557 sont à rapprocher de l’édition de 1588 de la Veuve de Nicolas Rosset (British Library avec leur personnage à sa table de travail), édition qui est d’ailleurs, comme il est indiqué sur la page de titre, issue d’une autre édition. A noter que l’édition question se réfère à une édition précédente qui n’est certainement pas, comme l’indiquent plusieurs bibliographes12, se recopiant probablement les uns sur les autres, une édition de 1561. En effet, il s’agit en fait, le plus souvent, de coéditions ou d’accords entre libraires qui publient plus ou moins conjointement et non à 25 ans d’intervalle ! L’exemplaire conservé à Londres ne permet pas de déchiffrer l’année de l’édition à laquelle il est fait référence, ce qui est dommage : on peut raisonnablement supposer qu’il s’agissait d’une édition parue l’année précédente, 1587. On ajoutera qu’il faut lire Rosset et non Roffet, il s’agit là d’un s dont la graphie ressemble à un f. Or, tant Chomarat que Benazra écrivent Roffet. Il suffit pourtant d’examiner la page de titre ou du moins ce qu’il en reste, pour faire le distinguo, le s de rose dans “Sainct Michel, à la rose blanche” - adresse du libraire, étant identique à celui de Rosset, tout comme d’ailleurs le s de “Veusve (sic) Nicolas Rosset”.13

Edition Veuve Nicolas Roffet

Edition Veuve Nicolas Roffet (1588)

Edition Macé Bonhomme    Edition Antoine du Rosne

Rappel des éditions Macé Bonhomme (1555) et Antoine du Rosne (1557)

   N. B. Aucune de ces éditions ne comporte le volet des Centuries VIII - X.

   II - Les vignettes des éditions 1568 sont à rapprocher des éditions des Rigaud, à savoir les Héritiers de Benoist Rigaud et Pierre Rigaud, étant donné que nous n’avons pas avec certitude d’édition due à Benoist Rigaud, pour cette même période correspondant au tournant du XVIIe siècle. Il s’agit d’un couple de vignettes identique à celui du reprint Chomarat, 2000 d’une édition Benoist Rigaud, 1568, à savoir des mains brandissant des instruments astronomiques et un homme ou un géant tenant une sphère à bout de bras.

   N. B. Toutes ces éditions comportent les Centuries I à X.

1ère partie : Edition Benoît Rigaud (1568)    2ème partie : Edition Benoît Rigaud (n. d.)

Edition Benoît Rigaud
(1er volet daté de 1568 et 2ème volet non daté)

1ère partie : Edition Pierre Rigaud    2ème partie : Edition Pierre Rigaud

Edition non datée de Pierre Rigaud
(1ère et 2ème partie)

1ère partie : Edition des héritiers de Benoît Rigaud (1568)    2ème partie : Edition des héritiers de Benoît Rigaud (n. d.)

Edition non datée des héritiers de Benoît Rigaud
(Harry Price Library)

   On pourrait ainsi déterminer deux générations de contrefaçons, d’ailleurs se faisant suite, avec dans chaque cas des éditions d’époque, correspondant à des libraires ayant probablement publié des éditions des Prophéties (Pierre Ménier, Charles Gérard, Veuve Nicolas Rosset, Héritiers de Benoist Rigaud, Pierre Rigaud) et des pseudo-éditions antidatées, mais ayant un air de famille avec leurs matrices respectives (censées avoir été publiées par Macé Bonhomme, Antoine du Rosne ou Benoist Rigaud, entre 1555 et 1568).

   On ne saurait au demeurant parler de faussaires à l’encontre de ceux qui prétendirent que certaines éditions parurent du vivant de Nostradamus vu que les dates de 1555 et 1558 figurent dans les épîtres introductives ; ceux là ne comprirent pas que ces textes étaient présentés comme étant de Michel de Nostradame et restés inédits jusqu’à sa mort, et il fallait donc bien qu’il les eut composés de son vivant pour qu’une telle attribution fît sens. Mais à force de supposer que de telles éditions existèrent bien, l’idée d’en composer, dans ce sens, fit son chemin tant et si bien que l’édition Macé Bonhomme est assez redondante : on n’y trouve pas moins de quatre mentions de l’année 1555, non seulement donc à la fin de la Préface (Ier mars 1555) mais au Privilège (fin avril 1555), à l’achevé d’imprimer (4 mai 1555), et sur la couverture de l’ouvrage. On notera d’ailleurs que cette édition est une des rares qui comporte un Privilège, ce qui est d’ailleurs annoncé sur la page de titre elle-même. A la limite, cette édition présente un caractère exceptionnel qui ne fera pas école. Pourquoi Macé Bonhomme alors qu’en 1590, St Jaure, le libraire d’Anvers, mentionne, à la fin de son édition, une édition avignonnaise de 1555 chez Pierre Roux, ce qui impliquerait une édition récente, antidatée probablement issue des Grandes et Merveilleuses Prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quatre Centuries, Rouen, R. Du Petit Val, 1588. (Bibl Ruzo). Cette première contrefaçon datée de 1555 est perdue et on ne la connaît que par l’édition Macé Bonhomme, Lyon, 1555, laquelle ne signale d’ailleurs pas en son titre qu’elle ne comporte que quatre Centuries. En fait, on ne connaît, en dehors des éditions elles-mêmes, que très peu de témoignages concernant des libraires ayant publié des Centuries : Pierre Roux (1555), Benoist Rigaud (1568), Sixte Denyse (1556), dans les Bibliothèques La Croix du Maine et Du Verdier (1584 - 1585). Pas de traces, en revanche, de mention de Centuries parues chez Antoine du Rosne (1557) ou chez Macé Bonhomme (1555), en dehors évidemment des éditions elles-mêmes portant cette mention. L’intérêt de cette mise en relation de groupes de Centuries tient, en outre au fait, que l’on devrait ainsi pouvoir prouver que les éditions antidatées ont le même papier, offrent les mêmes critères d’ancienneté, que les éditions, prétendument plus tardives / récentes dont elles sont issues.

   Il semble bien, en conclusion, que ce qui vient hypothéquer les études, même universitaires, consacrées au nostradamisme mais aussi à l’astrologie tient probablement à la forte réticence des chercheurs à faire ressortir certains procédés visant à se donner les coudées franches : recours mimétique à une astronomie fictive, évitant de dépendre trop directement d’une astronomie peu maniable, interpolation d’éléments permettant de mieux s’adapter aux événements etc., réticence également à dénoncer des processus syncrétiques conduisant à mêler au sein d’un seul et même corpus tout ce qui vise au même but ou se sert des mêmes références.

Jacques Halbronn
Paris, le 19 juin 2003

Notes

1 Cf. notre bibliographie in fine. Retour

2 Cf. le reprint Chomarat, 2000. Retour

3 Cf. Bib. de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron, Rodez. Retour

4 Cf. Bib. Mazarine. Retour

5 Cf. notre étude “Des prophéties perpétuelles aux Centuries tronquées”, Site Nostredame.chez.tiscali.free.fr. Retour

6 Cf. nos Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002, pp. 168 et seq. Retour

7 Concernant cette littérature, voir notre étude sur le Site du CURA : “Les vaticinations perpétuelles. De l’agricole au politique. (Th. Moult) ”. Retour

8 Cf. l’introduction de R. Benazra à l’Abrégé de la vie et de l’Histoire de Michel Nostradamus par Palamède Tronc de Coudoulet, Feyzin, Ramkat, 2001. Retour

9 Cf. La Concordance des Prophéties de Nostradamus avec l’Histoire, Paris, Jacques Morel, 1693, selon une formulation alliacienne. Retour

10 Cf. Documents inédits sur les prophéties de Nostradamus etc, Paris, Librairie Aubry, 1878, pp. 5 et seq. Retour

11 Cf. notre étude sur les prophéties perpétuelles et les centuries tronquées, Site Nostredame.chez.tiscali.free.fr. Retour

12 Cf. M. Chomarat et J. P. Laroche, Bibliographie Nostradamus, Baden-Baden, V. Koerner, 1989, p. 78. Retour

13 C’est-à-dire Veuve de Nicolas Rosset, comme on disait autrefois, Madame Roger Dupont.
NDE : Jacques Halbronn, comme d’ailleurs Pierre Brind’Amour dans son édition critique des premières centuries (1996, p. 545) pense que le nom du libraire parisien des Prophéties s’écrit “Rosset” et non “Roffet”. Il y a effectivement une différence entre le “s” ancien et le “f”, et nous continuons à penser que le graphème “s” de “Rose”, comme celui de “esté”, avec un arrondi très caractéristique de la hampe, est bien distinct des phonèmes de “Roffet”. Et à l’époque, on écrivait “veufue” avec un “f” et non “veusue” avec un “s”. Voir ci-dessous un agrandissement des mots concernés. Retour

Gros plan sur Roffet

Bibliographie

       - On se réfèrera utilement à nos études parues en ligne sur le Site Nostredame.chez.tiscali.fr et bien entendu sur le Site du CURA, ainsi qu’à notre ouvrage Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002.

       - J. M. Quérard, Supercheries littéraires dévoilées :galerie des écrivains (...) De toute l’Europe qui se sont déguisés sous des anagrammes, des astéronymes, des cryptoymes, des initialismes, des noms littéraires, des pseudonymes facétieux et bizarres, Paris, Maisonneuve & Larose, 1964 (2e Ed. 1869).

       - G. Brunet, Supplément aux Supercheries littéraires dévoilées et au Dictionnaire des ouvrages anonymes de J. M. Quérard et A. E. Barbier, Paris, Maisonneuve & Larose, 1964.

       - R. Reboul, Anonymes, pseudonymes et supercheries littéraires, Marseille, Laffitte, Reprints, 1973.

       - J. F. Jeandillou, Esthétique de la mystification. Tactiques et stratégies littéraires, Paris, Ed. De Minuit, 1994.

       - J. F. Jeandillou, Supercheries littéraires. La vie et l’oeuvre des auteurs supposés, Usher, 1989.

       - O. Delepierre, Supercheries littéraires, pastiches, suppositions d’auteur dans les lettres et les arts, Londres, 1872.



 

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