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ANALYSE

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Enseignements du témoignage de Videl
pour la recherche nostradamologique

par Jacques Halbronn

    L’existence d’une préface à César ne fait pas de doute pas plus que celle d’une Epître à Henri II. Dans le second cas, il s’agit bien entendu du texte figurant en tête des Présages Merveilleux pour l’an 15571 Dans le premier cas, nous avons des allusions chez certains adversaires de Michel de Nostredame, lesquels au demeurant ne font pas référence aux Centuries mais tout au plus aux quatrains des almanachs, aux “carmes obscurs” dira un Antoine Couillard dans ses Prophéties de 1556.

   Laurens Videl traite, dans sa Déclaration des abus, ignorances et séditions etc, Avignon, Pierre Roux, 1558, de plusieurs textes annuels de notre auteur, et l’on peut confronter ses propos avec les dits textes, édités par B. Chevignard.2

   Au folio C 2 verso, on lit ainsi : “Tu dis en l’an 1555 au moys de Mars que tu te doutes que ne soit la rénovation de ce siècle & au moys d’Avril tu dis qu’il est dangereux que ne soit unus pastor & unus ovile, combien que (bien que) il faloit dire unum ovile pour faire bonne farine etc”, relevant ici une faute d’accord, avec l’usage du nominatif au lieu de l’accusatif latin.

   Chevignard ne propose aucune note explicative en rapport avec la Préface à César pour un passage du manuscrit du Recueil des Présages Prosaïques dont il se sert, pourtant fort important, nous semble-t-il.

   Nous voulons parler des n°s 284 - 285 (p. 223 de son édition) :

   “Bref, cest esté les cieux & ses images font remonstrance qu’un siècle nouveau de fer & de Saturne est de présent. Icy sera faite une bien estrange mutation de regne nouveau etc.”

   Or, n’est-ce pas à un tel passage que Videl s’en prend dans sa Déclaration ?

   Ce qui manque dans le Recueil, ce sont nombre de préfaces dédiées par Michel de Nostredame à divers personnages. On n’y trouve pas celle à Henri II et pas davantage celle à César de Nostredame qui fut très vraisemblablement à l’origine de la préface à César en tête des “premières” Centuries et qui dut figurer en tête de l’Almanach pour 1555, avec ses quatrains commentés, et non en tête de la Prognostication pour 1555, dédiée à Joseph des Panisses (selon l’exemplaire de la collection Ruzo), s’agissant d’un texte écrit nécessairement peu de temps après la naissance de celui-ci, à la fin de 1553.

   Comment, en effet, ne pas voir un écho dans les n°s 284 - 285, issus de la Prognostication pour l’an 1555, de ce que reproche Videl à Michel de Nostredame regardant la rénovation de siècle ? On peut en effet situer ces passages au sein d’une Prognostication puisque le texte concerné est divisé en saisons et non en mois, ce qui est caractéristique du genre, l’almanach, lui, étant divisé en mois, comme il est logique.

   Le Recueil des Présages Prosaïques comporte dans nombre de cas les Prognostications suivies des Almanachs avec les quatrains commentés, ce que selon nous Chevignard ne met pas suffisamment en évidence passant de la prognostication à l’almanach sans transition, suivant en cela un peu trop fidèlement la présentation du manuscrit conservé à la Bibliothèque de Lyon La Part Dieu. C’est avec l’almanach pour 1555 que les quatrains font leur apparition dans les publications de Michel de Nostredame et c’est précisément autour d’une préface datée de 1555 que des centuries de quatrains sont présentées par les faussaires comme si l’on avait voulu remplacer les uns par les autres, l’usage du terme “prophéties” étant valable dans les deux cas.

   Les thèmes abordés se retrouvent évidemment entre l’almanach et la prognostication pour la même année, à savoir, en l'occurrence, la rénovation de siècle. Et, on le conçoit, cela est vrai également pour la ou les Préfaces correspondante. On trouvera les trois préfaces en fac-similé, pour l’an 1557 dans nos Documents Inédits (op. cit.)

   Tout se passe donc comme si Videl ou Couillard n’avaient fait que se référer à la Préface que Michel de Nostredame avait consacrée à son fils, en tête de l’une de ses “prophéties” annuelles, préface qui elle-même se faisait l’écho du contenu de l’almanach et de la prognostication pour l’an 1555. On pourrait éventuellement admettre que la date du 1er mars 1555, qui figure à la fin de la préface à César, dans le volume centurique, ait été celle de la Préface puisque la préface à Antoine de Bourbon, le père du futur Henri IV, datait du “21 mars 1556 pour l’année 1557”, en tête de la Grand Pronostication nouvelle avec portenteuse prédiction pour l’an 1557, l’année changeant alors de millésime à Pâques et non au mois de janvier ? Mais on peut aussi admettre qu’initialement il ait été écrit 1er mars 1554, signifiant 1er mars 1555. Les faussaires de la fin du XVIe siècle, chargés de refondre la Préface, dans un cadre centurique, n’étaient plus guère familiers, on s’en doute, de telles pratiques assez byzantines et ont fort bien pu, croyant bien faire, corriger 1554 en 1555.

   En montrant que la Préface à César recoupe des passages des publications annuelles pour 1555, il nous semble que nous confirmons notre thèse, à savoir que si une telle préface a existé, ce n’était pas en tête de Centuries, parues en 1555, chez Macé Bonhomme. En tout état de cause, il ne peut y avoir eu qu’une seule Préface à César. Le fait de retrouver dans certains quatrains centuriques des échos à la dite Préface est, par ailleurs, de bonne guerre, comme la “exiguë flamme” de la Préface qui devient la “flamme exiguë” du premier quatrain de la première Centurie.

   Videl s'étonne (cf. Déclaration, fol E recto) de ce que Michel de Nostredame parle de “Mars parachevant son siècle”, passage qui figure effectivement dans la Préface “centurique” à César3, étant donné que selon le système trithémien, l’âge de la Lune a commencé depuis “32 ans”, soit 1525. On trouvera un exposé fort substantiel de cette question des 7 âges planétaires dans l’ouvrage de P. Brind’amour, Nostradamus, astrophile, Ottawa, 1993 (p. 188). Mais ce système d’astronomie fictive figure déjà dans un traité faussement attribué à Abraham Ibn Ezra.4 Il semblerait donc que Michel de Nostredame se serait trompé et qu’il ait vraiment cru que 1555 était une année clef du système, ce que vient confirmer le fait qu’il parle d’une échéance de 177 ans, soit la moitié de la durée d’un âge, ce qui ne peut faire sens qu’à partir d’un point zéro où l’on se serait trouvé alors, en 1555 car il ne ferait pas sens de mettre en avant 177 ans à partir d’un autre point chronologique.5 Il semble bien que Michel de Nostredame ait commis ici une erreur quant à la chronologie du système et celle-ci ne sera pas corrigée par les faussaires. En tout cas, selon lui, à la moitié d’un cycle, des événements importants étaient selon lui à attendre, ce qui fixait une échéance pour 1732. A l’approche de 1879, Eliphas Lévi, qui mourra avant, en 1875, célébrait un nouveau changement d’âge planétaire (1525 + 354).6

   Les faussaires n’ont en effet point corrigé une telle bévue qui ne leur incombe donc pas, puisque Videl la dénonce déjà, et il est même probable qu’ils se soient appuyés sur un tel point de départ décalé pour le règne de la Lune, d’où le premier verset du quatrain 45 de la Centurie I :

   “Vingt ans du règne de la lune passés”

   Si l’on additionne, en effet, 1555 et 20, on trouve l’an 1575, ce qui était une échéance raisonnable pour un texte présenté comme posthume, paraissant vers 1570, selon notre thèse.7 Nous avons d’ailleurs montré que les années 1570 étaient importantes pour Michel de Nostredame.8

   Nous aurions donc eu trois échéances successives : 1575, 1585, 1606. Le premier lot de Centuries, s’articulant sur la date de 1555 et les 20 ans du règne de la Lune aurait visé l’an 1575. Puis, cette échéance ayant été dépassée, paraîtrait, en 1584, dans le cadre d’une nouvelle mouture de l’Epître à Henri II - la troisième selon nos calculs, non conservée - une nouvelle échéance pour 1585. Puis, enfin, au début du XVIIe siècle, dans le cadre d’une quatrième version de l’Epître au Roi, on aurait ajouté l’année 1606 qui figure aux côtés de l’année 1585. Au demeurant l’Epître à Henri II telle qu’elle figure dans les Centuries ne devrait pas être antérieure au début du XVIIe siècle tant elle accorde un développement important aux positions planétaires inutilement détaillées correspondant à 1606, reprises sommairement des éphémérides.9 Les échéances avancées ne comportent en réalité qu’une dimension astrologique factice ; tout se passe comme si l’on préférait désormais une situation événementielle critique sans assise astronomique pertinente à une configuration astronomique significative mais sans prise sur la réalité politique.

   Cependant, les anciennes échéances ne furent pas effacées : celle de 1575 est toujours présente si l’on suit le calcul induit dans le texte de la seconde mouture de la Préface à César et relayé par le quatrain susmentionné, celle de 1585 n’a pas été effacée mais est simplement placée avant celle de 1606.

   Ces trois années correspondent de fait à trois moments forts, en ce qui concerne les années qui les précédèrent, de la production nostradamique laquelle ne se conçoit guère sans enjeu à court terme, contrairement à ce que d’aucuns croient.10

   Si avons montré toutefois dans une précédente étude11 les décalages entre la Préface à César que décrit Videl et celle qui nous est parvenue par le biais des contrefaçons, il n’en reste pas moins que la nouvelle préface à César reste assez proche de la précédente non conservée. Lisons ce que Videl écrit à propos du recours au terme “prophéties” en notant qu’à aucun moment il ne se réfère - on est en 1558 - aux centuries, ce qui montre bien à quel point les deux termes ne sont nullement indissociables et que toute allusion à des prophéties ne signifie point référence à des centuries de quatrains, même lorsqu’il est question de “figure nébuleuse” :

   “Tu dis que prophète veut dire prévoyant (…) Et tu es si effronté de dire que tu as escrit en figure nébuleuse par esprit plus que tout prophétique.”12

   Puis Videl parle de notre auteur à la troisième personne :

   “Et puis toutes ses belles rêveries qu’il dit avoir brulez ou fait un présent à Vulcan & réduits en cendres etc Et davantage dit que toutes choses qui doivent advenir se peuvent prophétiser par les nocturnes & célestes lumières & par l’esprit de prophétie, Luy estant du tout ignorant, ne cognoissant aucune estoille ny corps céleste nous veut inventer une nouvelle astrologie forgée en sa furie bacchanale & non limphatique (comme il dit) sur umbre de prophétie etc.”

   Michel de Nostredame nous apparaît, comme nous le montre, après Videl, B. Chevignard, dans son édition des Présages, tel un astrologue, faiseur d’almanachs et de prognostications annuelles, s’articulant autour des phénomènes célestes et du calendrier et d’ailleurs sa pierre tombale ne dit pas autre chose.13 On pouvait alors parler des prophéties des astrologues sans les qualifier pour autant de prophètes, le terme “prophétie” étant sensiblement galvaudé.

   Même la formule finale de la Préface à César, “espérant toy déclarer une chascune prophétie des quatrains ici mis”, pourrait ne signaler que cette nouveauté des quatrains, mensuels, apparaissant pour la première fois dans ses publications. Mais ces quatrains là, précisément, Michel de Nostredame en offrait le commentaire, séance tenante, ce qui n’était pas le cas des quatrains des Centuries, dépourvus de tout commentaire, point qui dut sembler embarrassant et qui explique peut être pourquoi on laissa entendre, notamment dans les Significations de l’Eclipse pour 1559, reproduites en fac-similé dans l’édition Chevignard, qu’elles devaient bien exister quelque part.

   Un passage de la Déclaration (fol E 1, verso) nous semble fort éclairant :

   “Et après en tes prophéties tu dis qu’avant le finiment (sic, c’est-à-dire la fin) universel du monde, qui seront tant de déluges etc.”

   Or, nous voyons bien que Videl ici ne s’en prend pas à un quatrain mais bien un texte en prose d’almanach, et d’ailleurs à aucun moment ce dernier ne donne le sentiment qu’il commente un quatrain.

   Que dire enfin d’un mot qui ne figure jamais dans la Déclaration de Videl à savoir le mot Centurie qui aurait du exciter les sarcasmes de celui-ci ? Que diable, trois cents quatrains d’un seul coup, pardon 353 selon l’édition Macé Bonhomme ! Et pourquoi, diantre, 353, n’aurait-il pas manqué de demander du ton sarcastique qui lui était propre ?

   La Déclaration des abus parue à Avignon, chez Pierre Roux, en 1558, c’est-à-dire dans une ville ne relevant pas du Royaume de France.14 Il est possible que Videl avait plus de liberté d’expression à Avignon, territoire pontifical, qu’à Lyon ou à Paris, pour s’en prendre à un Michel de Nostredame, bien en cour, comme l’attestait alors son récent voyage.

   On peut se demander, en fin de compte, si l’on ne défendit pas d’abord, quelque temps, après la mort de Michel de Nostredame l’idée selon laquelle les quatrains de ses almanachs avaient valeur universelle, ce qui expliquerait l’importance que le Janus Gallicus leur accorde concurremment avec les quatrains des Centuries pour des périodes postérieures à leur publication, à savoir jusqu’en 1589. Au fond, on aurait un syncrétisme entre deux écoles nostradamistes : d’une part, les fidèles à l’oeuvre de Michel de Nostredame et qui n’acceptaient que l’éventualité d’une exégèse accordant aux quatrains des almanachs le bénéfice d’une nouvelle carrière posthume et, de l’autre, les faussaires, disposés à fabriquer de faux quatrains, sous forme de centuries. Ces deux courants auraient fini par fusionner dans le Janus Gallicus.

Jacques Halbronn
Paris, le 31 mai 2003

Notes

1 Fac-similé in Documents inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

2 Cf. Présages de Nostradamus, Paris, Seuil, 1999. Retour

3 Cf. fol B III recto, Macé Bonhomme, 1555, exemplaire d’Albi. Retour

4 Cf. “Le diptyque astrologique d’Abraham Ibn Ezra”, Revue des Etudes Juives, CLV, 1997. Retour

5 Cf. notre étude consacrée à l’Antéchrist sur le Site Ramkat.free.fr, rubrique Prophetica et Le texte prophétique en France, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du septentrion, 2002. Retour

6 Cf. sur les dates avancées au XIXe siècle, notre étude sur “Newton et l’école précessionnelle française”, sur le Site Cura.free.fr. Retour

7 Cf. Documents inédits, op.cit. Retour

8 Cf. notre étude sur l’enseignement des traductions des publications de Michel de Nostredame, sur le Site Nostredame.chez.tiscali.fr. Retour

9 Cf. Prophéties 1568, vol 2, Reprint Chomarat, 2000, p. 167. Retour

10 Cf. notre étude sur Divination et ethno-savoir, sur le Site Ramkat.free.fr, rubrique Prophetica. Retour

11 La question du non possum et l’humilité de Nostradamus, Site Nostredame.chez.tiscali.fr. Retour

12 Cf. Déclaration, fol. D3 verso et D4 recto. Retour

13 Cf. notre étude sur la biographie de Michel de Nostredame, Site Nostredame.chez.tiscali.fr. Retour

14 Cf. à ce sujet notre étude sur Crespin, in Documents inexploités, op. cit. et sur le Site du Cura.free.fr “les nostradamologues face à la critique”. Retour



 

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