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ANALYSE

154

Décryptage de la pseudo genèse du processus centurique

par Jacques Halbronn

    Puisque l’on veut qu’il existe des “hypothèses Halbronn”, selon la formule de Peter Lemesurier1, nous allons - on va être servi - développer une thèse que l’on peut considérer comme assez révolutionnaire et que nous exposerons brièvement avant de l’argumenter.

   Selon cette thèse, nous proposons d’expliciter la façon dont les fausses éditions des Centuries ont été fabriquées, la logique qui a présidé à une telle production. Nous appellerons le procédé qui aurait, selon nous, été suivi, de déconstruction des éditions, ce qui d’ailleurs conduit à se demander si plutôt que de parler de volonté de tromper le lecteur, il ne s’est plutôt agi d’erreurs de conception.

   En effet, si on demande à quelqu’un de reconstituer la genèse d’un processus, d’en retrouver les états successifs, alors qu’on ne dispose plus que du résultat final, gageons qu’il cherchera à décomposer diachroniquement l’ensemble obtenu, en s’attardant sur un certain nombre de marques d’addition, pour parvenir, par élimination, à un tout premier stade. Encore récemment, à l’occasion du 500e anniversaire de la naissance de Michel de Nostredame, Jean Maguellone2 a montré qu’il ignorait complètement les recherches concernant la redatation des éditions et qu’il s’en tenait à des études qui ont fait l’objet de débats dont il ne semble pas averti : on se demande à quoi sert Internet si un auteur ne prend pas la peine de prendre connaissance et de se faire l’écho des dernières avancées sur le sujet. Curieusement, Maguellone, pourtant lecteur attentif du RCN, parle de “manuscrits” à propos des édition de 1555.(p. 97) “dont le titre exact est Vrayes centuries et prophéties de M. Michel Nostradamus” (p. 54), titre qui à notre connaissance n’est pas attesté au XVIe siècle; il déclare qu’il y a trois éditions de 1557, alors qu’il n’a étudié que deux exemplaires (p. 98) sans savoir si l’exemplaire disparu était semblable ou non à ceux qu’on a conservé et l’on a droit à une jolie formule : “La sortie en 1555 des Prophéties a été un franc succès. Les éditions se sont succédé de façon exponentielle” (p. 111). Aucun chapitre, bien entendu, sur l’Histoire de la recherche nostradamologique et sur les problèmes qui se posent à elle si ce n’est en ce qui concerne l’édition de 1558 (p. 98) : “Il n’existe aucun exemplaire de l’édition de 1558, ce qui risque de mettre en doute l’authenticité de son existence. Et pourtant il en est fait mention dans plusieurs éditions postérieures à l’oeuvre, toutes du XVIIe siècle (...) preuve tout de même que ces éditions se sont fondées sur une édition portant la date de 1558 mais ne prouvant pas forcément qu’elle est authentique”. Si la mention de 1558 tient probablement à l’existence d’une Epître datée de juin 1558, on se demandera pourquoi J. Maguellone ne mentionne pas l’existence d’une édition mentionnée, non pas au XVIIe siècle mais au XVIe siècle, dès 1588, et intitulée : “Prophéties de M. Michel Nostradamus (...) revues & additionnées par l’autheur, pour l’an mil cinq cens soixante & un de trente neuf articles à la dernière centurie” (cf. infra), ce qui pose le problème des éditions manquantes mais signalées et qui, si elles ne sont pas nécessairement authentiques, ni plus ni moins d’ailleurs que celles qui sont conservées, ne sauraient être négligées pour reconstituer le puzzle centurique, tant celui des éditions authentiques que celui des éditions contrefaites, ces deux catégories méritant toute notre attention et l’établissement de chronologies parallèles.

Sommaire :

1 - L’édition fantôme commentée par le Janus Gallicus
2 - Les critères de différenciation
3 - La soustraction des additions
4 - La thèse des deux mouvances centuriques


1

L’édition fantôme commentée par le Janus Gallicus

    Quelles sont les sources du Janus Gallicus? Au premier abord, une telle question semble ne guère poser problème : les quatrains des almanachs et ceux des Centuries. Mais immédiatement, il faut préciser: certains quatrains des almanachs et certains quatrains des Centuries. Car nous n’avons pas là affaire à un commentaire systématique des quatrains nostradamiques; il est vrai que d’autres quatrains sont supposés servir pour une éventuelle Seconde Face, comme d’ailleurs le titre même de Janus semble l’impliquer.

   On est frappé tout de même par un titre qui ne comporte aucun élément prophétique flagrant : on n’y trouve pas le mot Prophétie, mais ceux de “centuries” et de “commentaires”, Nostradamus lui-même n’étant désigné qu’en sa qualité de “conseiller & médecin des Rois etc”, sans qu’aucunement on le présente comme astrophile ; on s’y situe, au demeurant, dans une approche purement historienne : “contenant sommairement les troubles, guerres civiles & autres choses mémorables advenues en la France & ailleurs dès l’an de salut MDXXXIIII iusques à l’an MDLXXXIX fin de la maison valésienne. Quant à l’addition constituée par l’Advènement à la Couronne de France du Roy Tres Chrestien (on ne donne pas son nom) à présent régnant : ensemble de sa grandeur & prospérité à venir”, cela ne “mange pas de pain”, apparaissant comme un de ces discours de circonstance. On n’a pas assez souligné ce caractère tout à fait édulcoré du propos prophétique mais qui peut s’expliquer par la Censure dont il est question au début de l’ouvrage.

   Mais un autre aspect semble avoir encore été moins souligné, à savoir qu’il s’agit d’une édition en quelque sorte expurgée des quatrains nostradamiques. Le lecteur a-t-il le moyen d’aller consulter un corpus plus complet ? On peut en douter.

   En ce qui concerne les quatrains des almanachs, comment s’y prendrait-on ? On n’imagine pas le lecteur aller compulser des publications annuelles vieilles pour certaines de près de 40 ans. Chavigny dispose, certes, pour sa part, d’un recueil complet mais celui-ci est resté à l’état de manuscrit, c’est le Recueil des Présages Prosaïques, ouvrage qui, à peu de choses près, comporte, en son titre, le même intitulé que le JG, sauf que le mot Centuries n’y figure même pas. Le fait que l’intitulé en soit le même nous conduit à penser que le JG s’est ainsi substitué au RPP, car il est bien rare que deux ouvrages du même auteur portent des titres aussi proches : “oeuvre (...) où se verra à l’oeil toute l’Histoire de nos troubles et guerres civiles de la France dès le temps qu’elles ont commencé iusques à leur entière fin et période”. Il semble que le “ailleurs” du JG résume un développement plus important du manuscrit “en l’estat des plus puissants empires, royaumes et principautez qui aujourd’hui lévent le chef sur la terre”.

   Mais même en ce qui concerne les quatrains des Prophéties, de quoi dispose notre lecteur de 1594 ? Qu’en est-il notamment des Centuries VIII, IX et X dont seuls quelques quatrains sont commentés dans le JG ? On sait que ces Centuries ne furent pas publiés à Paris, à Rouen ou à Anvers dans les années 1588 à 1590; il s’agit là, selon nous, d’une censure politique. Si on ouvre les bibliographies de Chomarat ou de Benazra, on trouve le “second volet” comme étant paru à Cahors en 1590 puis une série réservée à la famille Rigaud à partir de la dite année 1594. Un second volet qui diffère sensiblement, quant à sa présentation, du premier puisque figure au titre ou du moins en sous-titre le mot Centuries - “Les Prophéties de M. Michel Nostradamus. Centuries VIII. IX. X” peut-on ainsi lire - absent du premier volet. Un second volet non daté. Nous avons la faiblesse de penser que ce second volet, ne comportant pas de date à la différence du premier, est une pièce rapportée ce que vient confirmer la différence flagrante au niveau typographique entre les deux volets. Et un tel jugement vaut pour toutes les éditions des Prophéties qui se suivent à partir de 1594. Il convient de recenser toutes les éditions qui comportent ainsi deux volets aussi dissemblables dans leur composition matérielle, nous dirions aujourd’hui dans leur mise en page, dans le choix de leurs polices de caractères en ajoutant que les bibliographies nostradamiques existantes ne fournissent pas de telles précisions.

Edition Cahors 1er volet    Edition Cahors 2ème volet

Edition de Cahors (1590), 1er et 2ème volets,
avec la fin de la VIIe centurie à 42 quatrains.

   Quand le terme Centuries qui figure sur le second volet s’est-il imposé au niveau du premier volet dans une édition comportant une date ? Avant 1620, rien. En 1620, on trouve une fois de plus une sélection de quatrains - mais pas des Présages : Petit Discours ou Commentaire sur les Centuries de Maistre Michel Nostradamus mais il ne s’agit pas d’une édition “complète” des Prophéties, elle ne comporte d’ailleurs aucun quatrain issue des Centuries VIII-X, ce qui ne plaide guère en faveur de leur diffusion à cette date. Il faut attendre… 1649 et il semble que ce soit sous la Fronde que l’on commence à assimiler Prophéties et Centuries comme pour ces Centuries de la naissance de Iules Mazarin, Paris, Michel Mettayer, 1649. En cette même année 1649, il est vrai, paraissent, à Rouen, les Vraies Centuries de Me Michel Nostradamus et c’est la fin de la formule à deux volets. Le titre qui s’imposera à partir de 1650 sera Les Vrayes Centuries et Prophéties de Maistre Michel Nostradamus, dans une édition hollandaise (Leyde) tandis qu’en France l’ancienne formule à deux volets a encore de beaux jours devant elle. Mais en 1652, un recueil des neuf premiers pamphlets de Mengau est publié sous le même titre qu’à Leyde. Toujours en 1652, dans le cadre de cette littérature de la Fronde paraissent, à Paris, les Prophéties Mazarines fidellement extraictes des Vrayes Centuries de M. Nostradamus.31 Le mot centurie va d’ailleurs devenir synonyme de quatrain, en cette même année 1652, dans la Hécatombe prophétique ou les Cent Centuries, Paris, Laurens Lormeau, qui est une parodie des quatrains nostradamiques.

   On peut lire chez Jean Belot, curé de Milmonts4, en 1654, dans ses Oeuvres, Lyon, Claude La Rivière (libraire qui publie aussi Nostradamus) : “lesquels quatrains nous nommons centuriels (sic) pour lesquels séparer par cette nomination de familiers quatrains faits par les Poètes communément, bien que cette diction Centurie se dérive de cent” (pp. 237-240) En réalité, la période d’activité de Belot est bien antérieure car il publia dès les années 1620 des Centuries prophétiques, Paris, Antoine Champenois, et de Nouvelles Centuries.5 Belot est bel et bien un des grands oubliés des bibliographies nostradamiques, Chomarat ne cite même pas son nom.

   Mais encore en 1656, l’Eclaircissement des véritables quatrains de Maistre Michel Nostradamus ne se réfère pas au titre à des Centuries. Ce titre s’imposera vraiment en fait avec les éditions d’Amsterdam de 1667 et 1668, avec leurs copies parisiennes. Encore en 1672, Garencières n’emploiera pas le mot Centuries dans son édition anglaise mais préférera The True Propheties or Prognostications. Le chevalier de Jant, en revanche, utilise, à partir des années 1670, couramment le mot Centuries avec ses Prédictions tirées des Centuries de Nostradamus. A partir de 1689, les éditions à Centuries, et d’un seul tenant, sont la majorité tandis qu’une minorité à deux volets continue à n’utiliser le mot Centuries qu’au titre du second volet. Tout se passe comme si le terme Centuries n’était de mise que dans le cas où le volume inclurait des quatrains des Centuries VIII- X et serait exclu autrement. Autrement dit, le premier volet, tout seul, ne serait jamais désigné sous le nom de Centuries, même si à l’intérieur, le terme est bel et bien de mise, mais sur un plan purement technique. D’où l’importance de la conjonction et dans des éditions dont le titre est le plus souvent double : Les Vrayes Centuries et Prophéties, encore que le terme Centuries apparaisse en premier alors que les Centuries VIII-X se trouvent à la fin.

   Il semble donc que dans la pratique des éditions des quatrains - en laissant de côté les commentaires partiels - le terme Centuries ait été réservé aux Centuries VIII-X, exclues des éditions 1588-1590. C’est un peu comme “roi de France et de Navarre”. Tout cela masque mal le fait que nos deux volets sont perçus comme des ensembles bien distincts et que l’on peut éventuellement rapprocher mais sans gommer totalement la dualité existante. Il faudrait donc parler des quatrains pour désigner indifféremment tout le corpus et réserver Prophéties aux sept premières centuries et Centuries aux trois dernières, chaque volet étant introduit par une Epître spécifique, respectivement à César (1555) et à Henri II (1558). Inutile d’insister sur le fait qu’une telle séparation met à mal la croyance, encore fermement instaurée chez les nostradamologues, en une seule et même inspiration de l’ensemble des quatrains.

   On se propose de faire l’inventaire des quatrains des “Centuries” (VIII-X) dans le Janus Gallicus, lequel constitue une des premières tentatives de rassembler l’ensemble des quatrains issus des diverses centuries sous un même commentaire mais au prix d’une sévère sélection, étant donné que sur les trois ensembles de quatrains (Présages, Prophéties, Centuries), seul celui des Prophéties était accessible, par ailleurs, de façon intégrale, au lecteur moyen. Viennent, pour conforter ce caractère global, s’ajouter des quatrains des Centuries XI et XII.

   Il faut attendre le 36e commentaire du JG et l’année 1559, pour qu’un premier quatrain “centurique” soit commenté : IX, 70. On signalera ensuite, sur 347 commentaires, seulement les numéros, soit 26 commentaires, sensiblement moins de 10%, sachant que les quatrains centuriques sont au nombre de 300, ce qui fait là encore moins de 10%, dont près de la moitié dans le dernier tiers des commentaires, à partir du n° 232 : 57, 62, 65, 89, 109, 116, 120, 130, 139, 147, 151, 207, 211, 220, 232, 241, 286, 292, 300, 301, 321, 325, 330, 341, 345, 346.

   Un cas remarquable concerne le commentaire 301 à propos de IX, 45 :

Ne sera soul jamais de demander
Grand MENDOSUS obtiendra son empire
Loin de la Cour fera contremander
Piedmont, Picar, Paris, Tyrhen le pire


   Les trois vers derniers, pour le moins les deux, ne sont pas de ce temps ains appartiennent à la Seconde face de nostre Janus” (p. 240).

   En revanche, dans l’Epître à d’Ornano - “De l’advénement à la Couronne de France de Henry de Bourbon Roy de Navarre” - en date du 19 février 1594, figurant toujours dans le JG, mais visiblement en supplément, ce même quatrain - on n’a pas eu à attendre la parution de la Seconde Face, qui n’aura d’ailleurs pas lieu - est commenté notamment au regard de l’anagramme Mendosus (p. 285) ainsi que les quatrains centuriques IX, 50, X, 48 et X, 76.

   D’ailleurs Chavigny s’en explique : “je me suis advise (...) vous en faire participant d’aucunes, non de toutes car je n’auroy iamais fait, les remettant à la Seconde face de nostre Janus François quand il verra la lumière soubz le bon plaisir du Roy : de celles di-ie (sic), qui sont de ce temps & proches de nous” (p. 284)

   Rappelons les commentaires des quatrains centuriques de l’Epître à d’Ornano, laquelle paraîtra séparément sous le titre de Prognostication de l’advenement à la Couronne de France de (...) Henry de Bourbon Roy de Navarre, Paris, Pierre Sevestre.

IX, 45 (cf. supra) :
“Le premier vers appartient audit Roy Henry III, les autres à cestuicy, où il se dit que le grand Vendomois (car en Mendosus est escrit Vendosme par un annagrammatisme) obtiendra le royaume dudit Henry III & luy succédera etc” (p. 285)

IX 50
MENDOSUS tost tiendra à son haut règne
Mettant arrière un peu le NORLARIS
Le Rouge blesme, le masle à l’interrègne
Le ieune crainte & frayeur Barbaris

   Chavigny explique que Norlaris, ce sont les “Princes Lorrains”, et notamment les Guises :

   “Que sadite Magesté déchassera les dits Princes Lorrains, cela est clair non seulement par ce présage, Cent 10, qua. 18
Le rang Lorrain fera place à Vendosme
mais par une infinité d’autres, que je pourrais alleguer de cestuy nostre Auteur, où est dit, qu’elle les poursuivra bien avant. Et seray content de cestuycy pris de la mesme Centurie Qua. 76.
Le grand Sénat decernera la pompe
Avn (Avant) qu’après sera vaincu, chassé
Des adhérants seront à son de trompe
Biens publiez, ennemis deschassez”

   Dans son Epître à d’Ornano du 19 février 1594, Chavigny annonce l’entrée d’Henri IV à Paris, laquelle surviendra peu de temps après le 22 mars :

   “Donques sadite Magesté entrera dans Paris & en jouira & tien (sic) que sera bien tost” (p. 287)

   On comprend pourquoi ces Centuries furent jugées indésirables dans les villes de la Ligue, comme Paris, elles qui annonçaient la victoire des Bourbon-Vendôme sur les Guise-Lorraine. Et c’est d’ailleurs dans un tel contexte qu’il convient de situer le cas du quatrain IV, 46.

   L’éjection de ces Centuries conduisit à devoir en fabriquer de nouvelles, en remplacement. Mais dans ce cas, quand exista-t-il jamais un ensemble de 10 Centuries s’il y avait une telle incompatibilité entre les unes et les autres ? Pourquoi ne posèrent problème que ces trois Centuries et pas les trois premières, si elles avaient la même origine ? On aurait là l’indice d’un triple processus et il conviendrait de souligner les différences entre ces trois corpus dont on nie le plus souvent la diversité.

   La seule preuve que nous ayons d’un ensemble à dix Centuries est la mention d’un ensemble à dix centuries dans la Bibliothèque de Du Verdier, en 1584. Sans cette mention, quel serait notre raisonnement ? Nous dirions, dans ce cas, qu’il n’y eut jamais d’édition à 10 centuries mais seulement des éditions à six ou sept centuries, mais avec des changements quant à leur contenu. Or, ce qui est étonnant, c’est que dans le Janus Gallicus, on nous fournit les coordonnées des quatrains des Centuries VIII-X tels qu’elles seront en vigueur dans le canon nostradamique. Comment cela est-il possible si ce n’est parce que déjà les Centuries VIII-X étaient bien dans la position qu’on leur connaît. Le JG vient donc valider l’existence d’une édition à dix centuries avant 1594 et donc avant 1584, si l’on s’appuie sur Du Verdier et d’ailleurs, il est probable que le JG se serve précisément de l’édition “Du Verdier”, qui serait parue, selon ce qui est indiqué dans la notice de la Bibliothèque, chez Benoist Rigaud.

   Mais si les choses se sont bien passé de la sorte, cela signifierait que les centuries V, VI et VII se trouvaient bel et bien dans cet ensemble à dix Centuries et qu’elles n’ont pas été réalisées pour remplacer les Centuries VIII-X.

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2

Les critères de différenciation

    Il semble qu’il y ait eu trois stades, si l’on s’appuie sur les titres et les sous-titres c’est ainsi que le premier volet des éditions 1557 et 1568 portent les mentions suivantes :

   Les prophéties de M. Michel Nostradamus dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées.

   Etant donné qu’il existe au moins une centurie incomplète et que selon nous il en exista d’autres notamment à la IVe Centurie, les premières centuries devaient être celles qui n’étaient pas complètes et dont on ne nous dit rien et l’addition devait concerner un lot de trois centuries complètes, c’est-à-dire à 100 quatrains.

   Ce qui signifierait que les premières centuries auraient été les Centuries IV, V, VI et VII et les suivantes les Centuries I, II et III, selon une numérotation différente de celle qui s’est imposée par la suite. La Centurie “VII”, la dernière du lot de 4, aurait eu 35 quatrains, comme dans l’édition d’Anvers 1590. La référence à 39 articles - au lieu de 35 - à la “dernière centurie”, que l’on trouve dans les édition parisiennes en 1588-1589, serait une coquille.

   Les Centuries I à III auraient été “ajoutées” aux centuries IV à VII. A l’appui de cette thèse, le fait que le premier quatrain de la première Centurie est récurrent dans la littérature néonostradamique et d’ailleurs parfois associé à la vignette représentant un disciple de Nostradamus (sur les occurrences de ce quatrain, voire sur Espace Nostradamus). Rappelons que le dit quatrain n’a rien d’original et est une versification d’un texte de Petrus Crinitus. Ajoutons que les emprunts assez maladroits à Roussat sont également localisés dans la première centurie : I, 16 et I, 54.6 Le quatrain I, 56 est à rapprocher du quatrain 16 :

I , 56
Que si la Lune conduite par son ange

I, 16
En son hault Auge de l’exaltation

   Or, la bonne leçon de I, 16 n’est pas comme le propos.

   P. Brind’amour ne rapproche pas ces deux versets7 pas plus que ne le fera Y. Lenoble.

   Le commentaire du chercheur québécois sur I, 56 est le suivant : “Chronocratie de la Lune, sous la conduite de l’archange Gabriel etc” (p. 128).

   Alors que pour I, 26, on trouve : “La présence de Saturne à son apogée”, Brind’amour indiquant (p. 70) l’emprunt à Roussat.

Edition Pierre Ménier    Edition Pierre Ménier

“Ange” est attesté à I, 16 dans l’édition Pierre Ménier 1589.

   Brind’amour signale cependant (p. 69) qu’il existe aussi “ange” dans une édition : les éditions parisiennes 1588-1589 comportent en effet “ange” et nous pensons qu’elles correspondent au premier état du quatrain vu que les autres éditions qui leur seraient antérieures sont antidatées. Or; il faut lire en effet “Ange” et non “Auge” comme cela ressort du Période du Monde (1531) que curieusement ni Brind’amour ni Lenoble n’utilisent, se contentant du seul Roussat dont on sait pourtant qu’il est très proche de Turrel.8 En se référant à Turrel, ne pouvait-on effet espérer éclairer Roussat, sur tel ou tel point et par voie de conséquence tel quatrain ?

Turrel, Fol XXIII (recto) !
“Lors le père de corruption Saturne au signe de feu sera en son ange hausé & exalté etc”

Roussat (p. 131)
“Saturne, au Signe de feu, sera en son auge surhaulsé & exalté etc”

Ange et auge

Ange et auge chez Turrel et Roussat.

   Soit le quatrain centurisé est inspiré de Turrel et a été corrompu dès parution, ou par la suite, soit il vient de Roussat et n’a pas été corrigé sur la base du savoir sous jacent. Le même raisonnement vaut pour les “deux revolts de Saturne” qu’il faut lire “dix”. On notera que la formule “en son auge surhaulsé & exalté” est bien redondante, dès lors qu’on ne lit pas “ange”. On peut regretter qu’Y. Lenoble qui, dans son article9 recoupe largement les observations de Pierre Brind’amour10 n’ait pu au moins contribuer à une telle clarification du verset en question.

   La bonne leçon semble bien “ange”, c’est celle que l’on trouve dans les éditions parisiennes de la Ligue (1588-1589) - qui sont les plus anciennes éditions authentiques qui nous aient été conservées - mais déjà l’édition Anvers St Jaure 1590 comporte “auge” sans parler du Janus Gallicus (1594). Il semble que la leçon “ange” soit très peu attestée au XVIIe siècle. Cependant signalons la variante de ce quatrain chez Jean Belot dans ses Centuries prophétiques revelées par sacrée théurgie (Paris, A. Champenois, 1621, Centurie XXXIX sic) :

La faux à l’Estange devers le Sagittaire
En l’Ange le plus hault par exaltation
Du siècle dévoué qui faute d’union
On verra moissonnerf une main militaire.

Deux et dix

Chez Turrel, on trouve la coquille “deux” à la place de “dix”, qui n'est pas chez Roussat.
Or, le quatrain I, 54 comporte cette coquille.

   Comment ignorer le lien planètes-anges chez Turrel et donc, ipso facto, qu’ils en soient ou non conscients, au cas où ils recopieraient sans comprendre, à ceux qui s’en sont inspiré ?

   Turrel s’en explique au tout début de la seconde partie de son Période, fol XIV, recto :

   “Abraham Avenaza (Ibn Ezra) (...) enseigne que sont les sept planètes & aultant Danges (sic) accompaignées que par fois gouvernent le monde lung apres laultre lespace de trois cens cinquante & quatre ans & quatre mois dont les noms sont Saturne avec Caphiel (...) Jupiter avec Satbiel (...) Mars avec Samuel (...) Le soleil avec Michaël, etc” (on trouve, au même endroit “et autant d’Anges” chez Roussat, p. 88)

   Insistons sur le fait que Roussat ne prétend aucunement avoir accompli autre chose qu’une sorte de paraphrase : “ce petit opuscule de l’Estat & Mutation de l’universel & corruptible Monde traictant d’Astronomie (...) estant donc iceluy tombé en mes mains, imparfaict, sans goust & fort mal en ordre (néantmoins copieux en substance & en occultes vertus) & l’ayant depuis, non sans labeur, instauré & orné (...) vous le présente & dédie” (Epître à Joachin de la Baulme)

   Même la “Préface de l’Auteur” du Livre de l’Estat et Mutation est de Turrel, et ce en dépit d’un distique de Roussat qui la chapeaute. Elle se retrouve à l’identique dans le Période, à part quelques ornements dont Roussat est coutumier. On aurait donc ainsi deux remaniements successifs, de Turrel à Roussat, de Roussat à la première Centurie nostramique, avec notamment la reprise des mêmes mots, agencés diversement, J. P. Brach, quant à lui, ne signalant pas de lien avec le corpus nostradamique.

Préfaces de Turrel et Roussat

Préface de Turrel et reprise de Roussat.

Turrel et Roussat

Roussat reconnaît dans son épître qu’il remanie un texte qui lui est tombé dans les mains.
L'épître de Turrel (à droite) est dans le style qui sera celui des épîtres nostradamiques à Henri II.

   Le remaniement de Roussat est plus substantiel à la fin de l’ouvrage, puisqu’il tronque la cinquième partie du Période pour adjoindre ce qu’il en reste à la quatrième partie. Il est vrai que cette partie comporte essentiellement une série de pronostics pour les années 1530-1540 qui ne sont plus tout à fait d’actualité, Roussat, publiant en 1550, n’ayant apparemment pas vocation à en proposer d’autres pour les années à venir. On trouve d’ailleurs dans les pronostics de Turrel un style qui n’est pas si différent de celui des quatrains-présages des almanachs de Nostradamus, ce qui nous amène à nous demander si Nostradamus a lu Turrel ou si cela est le fait de néonostradamistes. Il n’est pas impossible que Turrel soit une source commune à Nostradamus et à ses imitateurs, puisque, comme on l’a dit, la vignette du Période - sa frise zodiacale notamment - se retrouve en partie dans celle des Pronostications de Nostradamus pour 1557-1558 ainsi que le motif central dans l’almanach pour 1565.

Turrel et Roussat

L’ouvrage de Roussat intègre la 5e particule de Turrel dans sa 4e.

   Si des séries de mots, comme le note Yves Lenoble, se retrouvent d’un ouvrage à l’autre, est-ce qu’au delà de la lettre, l’esprit du texte emprunté est respecté dans les quatrains ou dans les épîtres centuriques ? Autrement dit, est-on en face d’une parodie ou de la transmission véritable d’un savoir ? Nous avons tendance pour notre part à penser que la dimension pédagogique du corpus nostradamique ne doit pas être exagérée, que des éléments importants du discours emprunté sont manquants, tant et si bien que le lecteur ne saurait sérieusement pouvoir tirer parti de ce qui lui est transmis et qui est souvent lacunaire.

Les premières éditions des Prophéties

   Si nous assistons à une tentative assez maladroite de restitution des étapes du corpus nostradamique par des “éditeurs” de la fin du XVIe siècle et au delà - puisque l’on a des éditions antidatées (Pierre Rigaud 1566) fabriquées au XVIIIe siècle - sommes-nous capables, de notre côté, de proposer un autre modèle que celui que l’on voudrait nous imposer ? Pour l’historien du XXIe siècle, il y a là une sorte de controverse, par dessus les siècles, avec les historiens d’une autre époque.

   Avec ce qui nous a été laissé, il nous semble que l’on peut reconstituer assez bien l’état général - pas en détail certes - des premières éditions en nous appuyant notamment sur le témoignage de Crespin. Le présent travail annule les tentatives précédentes que nous aurions pu formuler jusqu’à ce jour.

   Notre raisonnement est le suivant : à deux reprises, on nous parle d’une addition de 300 quatrains, en admettant que la formule “VIII-IX-X” renvoie à une telle quantité de quatrains. Or, si l’on admet qu’un certain nombre de Centuries sont incomplètes à l’origine - et cela vaut pour le groupe V-VI-VII avec 71 quatrains à la VI et 35 quatrains à la VII (ou quelques quatrains de plus), les 300 quatrains ajoutés ne peuvent correspondre qu’aux premières centuries (I-III), ce qui implique de ne pas suivre la présentation canonique des Centuries. Les premières centuries seraient les centuries V à VII (selon la numérotation canonique). Les Centuries incomplètes ne sauraient donc être assimilées aux 300 prophéties ajoutées, selon la formule figurant au premier volet (y compris dans les éditions Antoine du Rosne 1557). Or, nous savons que Crespin ne reprend jamais de versets de quatrains se retrouvant dans les Centuries V-VII et ce parce que ces quatrains étaient déjà parus. Nous avons montré que Crespin n’avait nullement envie de mentionner les quatrains de ce groupe dans ses publications. En revanche, il est tout à fait concerné par les quatrains qui constituent les deux additions successives de 300 quatrains, chacune - additions qui pourraient lui être dues, tout comme par la suite les sixains - qui ne sont même pas des quatrains - seront intégrés dans le canon centurique. Nous avons sur ce point modifié notre analyse : dès lors que l’on cesse de présenter Crespin comme un compilateur des Centuries mais comme un contributeur, avec ou sans son consentement, à celles-ci, l’on peut expliquer l’absence de versets issus de certaines Centuries au fait, précisément, que ces Centuries existaient en 1572 et que Crespin n’avait pas l’intention de les reproduire. Mais cela signifie qu’il n’existait que trois centuries, puisque Crespin fournit également des quatrains de la IVe. Mais on peut aussi bien considérer que certains quatrains en ont par la suite remplacé d’autres. Nous dirons donc qu’un premier lot de 3 ou de 4 centuries, que l’on qualifiera d’incomplètes (cf. supra) ont pu paraître, vers 1570, introduites par l’Epître à Henri II, datée de juin 1558 et que Crespin, d’ailleurs, signale. Cette épître, relativement brève, pourrait être celle que reproduit Antoine Besson, à la fin du XVIIe siècle, dans son édition, non datée, des Vraies Centuries et Prophéties, laquelle diffère par ses épîtres des éditions parues sous le même titre, et qui parle non pas du “reste” des centuries mais des “premières centuries”. On notera, a contrario, que Crespin ne signale aucune Préface à César. L’Epître à Henri II connaîtra, on l’a vu, bien des vicissitudes et finira, sous une forme nouvelle, par figurer en tête des Centuries VIII-X. La place du quatrain latin à la fin de la VIe Centurie pourrait confirmer l’existence d’un premier lot de trois centuries, la VIe étant alors en dernière position.

Le troisième état des Prophéties

   La IVe Centurie nous semble devoir correspondre à l’addition de “39 articles” effectuée pour 1561, telle qu’elle est signalée au titre des éditions parisiennes 1588-1589. Autrement dit, avant cette addition, on avait 6 centuries : il y aurait eu d’abord 3 premières centuries (V-VII) puis 6 centuries (I-III et V-VII). A ces 6 centuries on aurait adjoint des quatrains à la fin de la dernière centurie ajoutée, soit la troisième dans le canon centurique, ce qui allait donner la Centurie IV. La centurie VII, qui appartient au premier lot de Centuries, n’aurait pas été complétée parce qu’elle n’est pas parue à la même époque et qu’elle n’est probablement pas du même auteur.11

   On ne saurait exagérer l’importance du corpus Crespin. Il nous apparaît désormais que ce qui est chez Crespin ne peut avoir servi à constituer la première édition, que les éléments crespiniens concernent les additions. Dès lors, l’édition Macé Bonhomme qui est tout entière recoupée par le dit corpus Crespin ne saurait être considérée comme le point de départ du processus centurique puisqu’elle ne comporte même pas les vraies premières centuries, à savoir V, VI et VII. Par delà le fait que cette édition est un faux, elle est avant tout une aberration. Il y a des faux qui restituent un état ayant existé mais que l’on ne peut que reconstituer faute d’en avoir conservé suffisamment de traces matérielles et il y a des faux qui non seulement sont des fabrications tardives mais en plus ne correspondent même pas à un état ayant existé. L’édition Macé Bonhomme plus que toute autre édition, est marquée par cette double tare, ce dont Pierre Brind’amour - pourtant averti de l’existence du témoignage Crespin dont il fait état - ce qui n’était pas encore le cas dans son Nostradamus, astrophile de 1993, il aurait donc fait cette découverte in extremis> juste avant sa mort survenue en 1995 - qui en entreprit l’édition critique (Droz, 1996) n’a visiblement pas pris conscience, ce qui ajoute une tare supplémentaire à la dite édition Macé Bonhomme, celle des historiens modernes du nostradamisme.

   Cette édition Macé Bonhomme est en effet un artefact relevant d’un travail de déconstruction du canon nostradamique : sachant qu’il y avait du y avoir un premier lot de quatre centuries - ce dont témoigne l’édition du libraire de Rouen, Raphaël du Petit Val, en 1588 - on aura décidé - logiquement - qu’il avait du exister une édition comportant les quatre premières centuries et ce d’autant que l’on connaissait des éditions indiquant une addition après le 53e quatrain de la IVe Centurie.12 Donc on fabriqua une édition à 353 quatrains qui, en réalité, n’avait jamais existé. Comme on l’a montré plus haut, le tout premier état des Centuries concernait le corpus non crespinien et donc les centuries V, VI et, en addition plus tardive, VII, qui seraient, selon nous, les plus anciennes et dont une édition a du exister avant que l’on n’y greffe, à deux reprises, trois centuries. Le cas de la IVe Centurie est le plus délicat en ce que certains quatrains qui s’y trouvent dans le canon sont également chez Crespin, ce qui nous incline à penser que cette centurie a été remaniée et interpolée, les éléments crespiniens qui s’y trouvent et qui datent au plus tôt du début des années 1570, montrent en tout cas que l’édition Macé Bonhomme ne date pas... de 1555.

   Ce qui a égaré les auteurs de la dite édition Macé Bonhomme tient au fait que les centuries incomplètes - puisque selon nous les premières centuries n’étaient pas à cent quatrains - ont été complétées. pour arriver à 100 quatrains pour toutes les Centuries, y compris en ce qui concerne la VIIe Centurie, si l’on prend en compte les 58 sixains venant s’ajouter aux 42 quatrains. Ces faussaires ont cru qu’un premier clivage avait existé au milieu de la Centurie IV et qu’il y avait donc eu un premier état à 353 quatrains alors que cette addition n’impliquait que la centurie IV et n’avait pas de valeur structurelle au niveau de l’ensemble des Centuries.

L’influence de Turrel sur les deux Epîtres centuriques

   Il semble bien que la rédaction des Epîtres à César et à Henri II telles que nous les connaissons dans le canon centurique doive de nombreuses références au Période. L’on connaît bien sûr le passage de l’Epître à Henri II sur 1792 (mil sept cens nonante deux) qui fait certainement écho à l’année 1789 figurant tant chez Turrel que chez Roussat et qui reprend ce que Pierre d’Ailly ou Alliacus (dont le nom est cité par Turrel) écrivait déjà en 1414. Mais d’autres rapprochements s’imposent comme ce qui touche à Gog et Magog (IVe Partie) :

Turrel : Gotz & Magotz (fol XXVI verso)

Roussat : “les gens de Gots & Magots” (p. 167)

Epître à Henri II (Benoist Rigaud, 1568, reprint Chomarat, 2000, p. 163) : “pour faire naistre le grand Dog et Dogam” (sous forme d’anagramme, avec des variantes selon les éditions.13

   Plus généralement, la dite Epître à Henri II est marquée par la question de l’Antéchrist - terme qui y apparaît en toutes lettres14 - thème récurrent dans le Période.15

   Ajoutons que l’Epître à Henri II adopte un mode dédicatoire assez proche de celui de Turrel dans son Epître à Girard de Vienne sur le fait que même un modeste présent a sa valeur.

   On notera aussi que Crespin pourrait fort bien être considéré comme un lecteur de Turrel quant à ce qu’il écrit, notamment dans les Prophéties dédiées à la Puissance Divine (1572) sur les “faux” Juifs, ce qui pourrait aller dans le sens d’un Crespin ayant retouché dans un sens turrélien l’Epître à Henri II.16

Crespin :
“Aux faux Juifs exécrables”

Turrel
“Or regardez Juif Infidéles” (fol VIII recto)
“Or donques maintenant Juif aveuglez” (fol XII verso)

   Le terme même de “puissance divine”, chez Crespin, pourrait faire écho à “la puissance de dieu” chez Turrel (fol, IV verso).

   En ce qui concerne la Préface à César, on y trouve exposé de façon assez substantielle des éléments relatifs aux cycles planétaires, thèse largement exposée chez Turrel :

Préface à César :
“Car encores que la planète de Mars parachève son siecle (lire son cycle) & à la fin de son dernier période etc.”

   On ajoutera les multiples références aux cycles planétaires et notamment à la Lune, qui figurent dans nombre de quatrains de la première centurie laquelle fait immédiatement suite à la dite Préface.

La numérotation des quatrains

   Nous nous sommes extasié, plus haut, sur le fait que la numérotation des quatrains pratiquée dans le Janus Gallicus correspondait exactement à celle qui s’est imposée. Quelle était donc cette édition à 10 centuries dont se serait servi le JG pour son commentaire et qui est déjà canonique en 1594 pour ne plus bouger par la suite ? De quand date cette édition ? Comporte-t-elle, notamment, les additions à la VIIe Centurie, au delà du 35e quatrain, sachant que le commentaire central - on ne parle pas ici de l’Epître à d’Ornano - date au plus tôt de 1589, année des derniers événements étudies au prisme des quatrains.

   Quatrains des centuries IV, V, VI et VII commentés dans le JG :
VI, 70, VI, 75, IV, 5, VI, 71, VII, 17, VI 9, VI, 63, IV, 53, IV, 32, IV, 63, V, 97, VI, 29, IV, 43, IV, 5, VI, 75, IV, 62, IV 46, VI, 100, VI, 35, V 86, IV 94, VI, 61, IV 32, VI, 9, VI, 64, IV, 22, VI, 69, IV, 46, IV 33, VI, 61, VI, 11, IV, 44, VI, 83, VII, 35, VI, 93, IV, 7, V, 38, V, 72, IV, 28, IV, 44, VI, 2, IV, 7, VI, 23, V, 96, VI, 31, V, 96.

   Ce qui frappe, c’est la quantité de quatrains de ce groupe commentés dans le JG en comparaison des quatrains des centuries VIII-X (cf. supra). On notera qu’en ce qui concerne la centurie VII, on ne dépasse pas le quatrain 35. Peut-être est-ce le fait du hasard, puisque tous les quatrains ne sont pas commentés mais en tout cas la présence de quatrains de la VII au delà du 35e, qui pour nous est le dernier de la Centurie, avant les additions qui surviendront et conduiront à une centurie à 40 quatrains puis à 42. On notera aussi la présence du quatrain 100 de la VIe centurie (cf. infra), quatrain absent des éditions 1557 et 1568. Le JG se fonde sur une édition comportant 100 quatrains à chaque centurie sauf à la VIIe, à 35 quatrains, comme l’atteste l’édition d’Anvers de 1590. Cette édition se situe à un premier sommet du processus centurique, à dix centuries, qui a été préparé par un certain nombre d’étapes, à partir d’un premier train de trois centuries posthumes, complété avant 1584 par deux nouveaux trains de 300 centuries, fortement dépendant de l’œuvre. Mais très vite, ce bel ensemble va se démembrer et ne plus comporter que 6 centuries en 1588 pour ne retrouver un nouveau sommet à 10 centuries que dans les années 1620. Quant aux épîtres, le Janus Gallicus ne nous fournit guère d’éléments sur leur emplacement au sein de la dite édition. Selon nous, l’Epître à Henri II sera remaniée pour constituer un second volet avec les Centuries censurées en laissant croire que dès l’origine, la dite épître introduisit les dernières Centuries alors qu’en réalité elle introduisait les toutes premières. Quant l’entrée de la Préface centurique à César au sein de l’ensemble centurique, il n’est pas certain que celle-ci se soit faite avant 1588, lorsque précisément l’Epître à Henri II fut laissée de côté, du fait, selon nous, de son empreinte protestante que nous avons déjà signalée, notamment à propos de l’anagramme pour Gog et Magog (cf. supra).

Le verset “Chassés feront faire long combat”

   Quand on examine un certain nombre d’éditions des Centuries, l’attention est attirée par le premier verset de I, 5. En effet, la suite du quatrain figure sur la page suivante, ce qui n’est pas vraiment la marque d’une très bonne mise en page. Une telle anomalie est pourtant récurrente puisqu’on la trouve dans les diverses éditions Pierre du Ruau, celles qui sont datées de 1605, de 1568 et celles qui ne sont pas datées et qui étrangement portent pour vignette non pas la vignette Galien mais la vignette néonostradamique (Mi. de Nostradamus etc) telle qu’elle apparut à la fin des années 1560 ! On trouve aussi ce verset isolé chez Pierre Chevillot. On la trouve enfin dans les éditions rigaldiennes de la fin du XVIe siècle y compris celles datées de 1568, soit sous la forme “chassez” (Chevillot, Du Ruau), soit sous la forme “chassés” (Benoist Rigaud, 1568) Plus généralement, toutes ces éditions comportent un premier volet obéissant à la même disposition typographique, page après page. Toutefois, on le verra, l’édition Du Ruau dans le cours de la centurie VII va diverger au niveau de la mise en page (cf. infra).

Edition Pierre Du Ruau    Edition Benoist Rigaud

Le verset “Chassés...“ dans les éditions Pierre Du Ruau (1605) et Benoist Rigaud.

Edition Pierre Chevillot

Le verset “Chassez...“ dans l’édition Pierre Chevillot.

   La question qui se pose est évidemment la suivante : est-ce que toutes ces éditions sont calquées sur l’édition Benoist Rigaud 1568 ou bien est-ce cette édition qui est calquée sur les éditions troyennes, par exemple ou en tout cas sur les édition rigaldienne des années 1590 (Benoist Rigaud, Héritiers Benoist Rigaud, Pierre Rigaud) ?

   Il nous semble toujours très utile de comparer des documents très proches dans leur présentation car certaines différences en ressortent d’autant mieux. Si l’on compare ainsi les premières pages de la première Centurie d’éditions s’arrêtant toutes en bas de page au premier verset du cinquième quatrain, lequel verset reprend à la page suivante, qu’observons-nous notamment pour l’édition Benoist Rigaud 1568 (reprint Chomarat 2000) ?

   On relèvera le cas du dernier verset du quatrain 6 de la Ière centurie :

Turin, Derseil (sic) que Gaulois fouleront

   On a Derseil au lieu de Versel ou Verseil.

   Comment l’édition Benoist Rigaud 1568 aurait-elle pu servir de modèle, dans ce cas, aux éditions troyennes voire rigaldiennes plus tardives, qui comportent la même présentation, au Ve quatrain et pour le reste des Centuries d’ailleurs, ce qui implique qu’elles aient été réalisées à partir d’une même matrice. Visiblement, la matrice n’est pas l’édition Benoist Rigaud 1568. Il nous semble que Derseil est une coquille commise à partir d’une autre édition, sinon la coquille se serait maintenue par la suite, ce qui n’est pas le cas, la dite coquille n’apparaissant que dans cette édition Benoist Rigaud 1568. Ce point s’ajoute à nos observations sur le recours atypique de cette édition aux majuscules en I, 2 (cf. infra).

Le critère des mots mis en majuscules

   De temps à autre, dans un quatrain, un mot est mis complètement en majuscules. Mais la situation n’est pas la même dans toutes les éditions : il en est qui n’acceptent pas les majuscules comme l’exemplaire de Budapest de l’édition Antoine du Rosne 1557 ou comme les éditions parisiennes ou d’Anvers de 1588-1590. Et au contraire, il y a des éditions qui en ont plus de mots mise en majuscules que d’autres, comme l’édition Macé Bonhomme 1555 ou l’exemplaire d’Utrecht Antoine du Rosne 1557.

   Le cas du premier verset du deuxième quatrain de la première centurie retiendra notre attention :

La verge en mains mise au milieu de branches etc

   C’est le mot branches (à rapprocher de Branchus) qui est diversement traité, tantôt en majuscules, tantôt non distingué. L’édition Benoist Rigaud 1568 (reprint Chomarat) comporte BRANCHES à l’instar des éditions susmentionnées. En revanche, d’autres éditions, tout en acceptant des mots en majuscules, écrivent branches en minuscules, c’est le cas de plusieurs éditions de la fin du XVIe siècle et du début du XVIIe siècle ; elles commencent seulement au quatrain 16 de la Centurie première, avec AUGE. Ainsi, il nous apparaît que les éditions 1555 Albi, 1557 Utrecht et 1568 seraient atypiques si on les compare avec la totalité des éditions parues depuis 1588. Il semble que les premières éditions aient été sans mots en majuscules, puis que des majuscules aient été introduites pour faire ressortir certains mots - un procédé caractéristique du Janus Gallicus - et que lorsque l’on a réalisé des éditions antidatées on ait voulu qu’il y ait dès le début de la première centurie un mot mis en majuscules. La démarche inverse nous semble moins probable, à savoir que l’on ait eu au départ un mot en majuscules au deuxième quatrain de la Centurie I, puis que l’on ait éliminé les mots en majuscules, puis que l’on ait réintroduit des majuscules mais en oubliant celle du deuxième quatrain. Nous croyons davantage à une addition tardive. Reste le cas de l’exemplaire de Budapest, sans majuscules, ce qui indiquerait que sa réalisation s’est faite plus tôt que les autres éditions antidatées, à l’époque où on ne pratiquait pas encore les dites majuscules, c’est-à-dire à la fin des années 1580 et au début de la décennie suivante. En ce qui concerne les mots en majuscules, précisons qu’ on en trouve chez Du Ruau, notamment en VI 70 où dans le même quatrain on trouve en majuscules PLUS OUTRE et CHIREN, Chiren, anagramme d’Henri.

   En tout cas, un des problèmes de l’édition Macé Bonhomme 1555 est bien de comporter, en seulement quatre centuries, de nombreux mots en majuscule, alors que l’exemplaire de Budapest de l’édition Antoine du Rosne 1557 n’en comporte aucun, sur sept centuries, à la différence de l’exemplaire d’Utrecht également daté de 1557, chez le même libraire.

   Il faudrait ajouter le cas des mots dont on ne nous donne que les initiales, habitude très chavignienne et que l’on retrouve dans les Significations de l’Eclipse de 1559 (fol A4 verso) et dans la Pronostication pour 1555 (quatrains de janvier et de mars), ce qui achève de nous rendre suspects ces deux ouvrages.

L’épitaphe de l’édition 1566 Pierre Rigaud

   On sait que l’édition Pierre Rigaud 1566 est un faux du XVIIIe siècle mais abordons le problème par un autre angle, à savoir celui d’une contrefaçon, cherchant à correspondre autant que faire se peut à ce qu’aurait pu être une édition paraissant en cette année 1566, qui est précisément celle de la mort de Michel de Nostredame.

   Si l’on met de côté la bévue consistant à attribuer à Pierre Rigaud la responsabilité d’une telle édition au lieu de le faire à Benoist Rigaud, force est de reconnaître que cette édition est assez bien pensée surtout si on la compare à la prétendue “bonne” édition de 1568. Ce qui nous plaît dans cette édition “1566”, c’est qu’elle est la seule de toutes les éditions connues à comporter l’Epitaphe figurant sur la tombe de Nostradamus, à Salon de Provence, en latin et en français, texte que l’on retrouve tronqué - le nom de sa femme n’y figure pas - dans le “Brief Discours de la vie de M. Nostradamus” et dans un grand nombre d’éditions du XVIIe siècle qui le reprennent -, en tête du Janus Gallicus. Le lecteur y apprend que Nostradamus est mort le 2 juillet 1566 alors que dans l’édition Benoist Rigaud 1568, il n’est même pas fait mention de la mort du dit Nostradamus. Voilà bien une des raisons qui nous conduisent à disqualifier l’édition Rigaud 1568, quand bien même nous faut-il nous appuyer sur un faux. Nous avons la faiblesse de croire que dès lors qu’une édition des Centuries paraissait après la mort de MDN, elle devait absolument le signaler et d’ailleurs nous avons de multiples exemples de l’époque qui montrent que la mort de Nostradamus fut bel et bien annoncée, en son temps, sur des publications se référant à son oeuvre, notamment de la part de ses disciples ou prétendus tels.

   Une des rares éditions à comporter l’Epitaphium complet, oeuvre de César de Nostredame, mais seulement en latin, date de Lyon, 1698 (sans mention de libraire) : “Epitaphe gravée sur le tombeau de Mr Nostradamus à Salon de Provence”.

De l’usage des lettrines

   Il est assez habituel aux XVIe et XVIIe siècles d’utiliser de grandes majuscules en début de chapitre, on les appelle des lettrines, elles sont souvent ornées et il en existe un nombre considérable de motifs. Certes, pour un seul et même livre, on s’attendrait à trouver des lettrines comportant le même motif mais parfois l’imprimeur recourt à des éléments dépareillés ou en tout cas se sert de plusieurs séries de lettrines, pour des éditions peu soignées. Dans le cas de certaines éditions des Centuries, on trouve, au sein d’un même exemplaire, des lettrines appartenant à plusieurs séries, ce qui pourrait être un signe qu’il s’agit de lettrines anciennes éparses qui ont été conservées. Les lettrines sont en tout cas des objets typographiques que l’on récupère, que l’on conserve. Il est plus difficile de ne recourir qu’à une seule police, surtout quand les premières lettres sont fixées par avance, en cas de réédition, comme c’est le cas pour les Centuries. Sinon, on pourrait imaginer que l’on déterminât la première lettre d’un chapitre d’après les lettrines disponibles.

Benoist Rigaud 1568

Les lettrines dans l’édition Benoist Rigaud 1568 (1ère partie).

Benoist Rigaud 1568

Les lettrines dans l’édition Benoist Rigaud 1568 (2ème partie).

   Il nous semble, en tout cas, que par le biais des lettrines, certains rapprochements pourront être faits entre éditions, c’est le cas pour les deux éditions Antoine du Rosne qui ont un type de lettrine en commun, type que l’on retrouve également dans la Paraphrase de Galien, dédiée “aux bonnes arts et mesmement (surtout) Medicine”, publiée par le même Du Rosne, en 1557, ceci expliquant cela. Notons toutefois que l’exemplaire de Budapest ne comporte qu’une seule lettrine, à la préface à César alors que celui d’Utrecht en comporte, dépareillées, treize mais “la” lettrine de l’exemplaire Budapest est d’une série qui se retrouve, parmi les diverses séries de lettrines de l’exemplaire Utrecht et dans la Paraphrase. Certains verront dans ces convergences la preuve de l’authenticité des deux éditions centuriques Antoine du Rosne. Pour notre part, nous y verrons plutôt l’indication que les faussaires se sont bel et bien servi de la Paraphrase, qu’ils ont eu l’ouvrage en main - ce qui leur a permis d’utiliser les mêmes lettrines - et pas seulement la page de titre ou la seule vignette Galien. On se demandera si les dits faussaires ont reproduit les lettrines ou s’ils disposaient d’un ancien jeu de lettrines.

Paraphrase Galien    Lettrine Paraphrase Galien

La lettrine de la Paraphrase Galien est de même type que celles des Prophéties 1557,
supposées parues chez le même éditeur.

Edition Utrecht

Les lettrines dans l’exemplaire d’Utrecht.

Edition Budapest

Une seule lettrine dans l’exemplaire de Budapest.

   Il est donc intéressant de tenir compte de la façon dont certaines des Prophéties ont été réalisées, au regard des lettrines et de relever les similitudes et les différences entre les diverses éditions de ce point de vue là.

   Nous ferons état d’une correspondance d’une conservatrice du département de la Réserve de la Bibliothèque Mazarine, Françoise Avel, à qui nous avions soumis l’exemplaire d’Utrecht :

   “Je trouve que les bois utilisés pour les vignettes des pages de titres de vos éditions sont différents des bois utilisés dans les éditions de référence de Chomarat,

Soit que :

   Le bois de la p. de titre des “Prophéties...” de l’exemplaire d’Utrecht est différent du bois (Chomarat, n° 13) utilisé par Antoine du Rosne pour la paraphrase de C. Galen” (Maz Res 29247-3) (trou blanc sur la partie frontale de l’étagère de livres devant la fenêtre). La lettrine A est en effet la même. Reste le bandeau de la p. 47 (c’est là qu’il faudrait comparer avec les ex. signalés par Baudrier comme imprimés par Antoine du Rosne -j’ai fait une coquille dans ma précédente lettre - bibliographie qui indique l’existence d’un bandeau. Pour réaliser une contrefaçon, on n’utilisait pas forcément le matériel typographique lui même de l’imprimeur copié mais une imitation de son matériel, sauf si on avait pu se procurer par un moyen quelconque le matériel original, c’est pourquoi il faut examiner au plus près le matériel typographique).

   Pour le bois de la page de titre des “Prophéties” de Lyon, Antoine du Rosne, 1557, il est différent du bois n° 55 de Chomarat et du n° 19 de la bibliographie portant une page. de titre semblable à celle de votre photocopie (dessin moins net et partie de la sphère armillaire absente)” Il s’agit de l’exemplaire d’Utrecht, non décrit par Chomarat dans sa Bibliographie Nostradamus (1989).”

   Françoise Avel poursuit :

   “Etant donné que la lettrine A paraît la même que celle de Maz Res 29247-3 (hormis la taille, mais je suppose que la photocopie d’Utrecht est un agrandissement), il faut examiner aussi le bandeau et le comparer avec ses éventuelles présences dans les éditions (autres même que Nostradamus) imprimées par Antoine du Rosne pour Benoît Rigaud. Cela peut-être aussi fait pour les caractères typographiques proprement-dits. Soit, c’est exactement pareil, et on peut attribuer l’édition à Antoine du Rosne, sauf si le matériel a été acheté ou transmis d’une quelconque façon à un autre imprimeur (pour cela voir peut-être les archives lyonnaises concernant les imprimeurs, notariales par exemple), soit c’est différent et alors cela peut-être attribué à un autre imprimeur, mais ce n’est pas certain non plus car on ne sait pas tout sûrement d’Antoine du Rosne qui peut avoir aussi emprunté du matériel !

   Quant à la vignette, il faudrait savoir si la différence provient du bois lui-même, ou de l’encrage ou d’un défaut de la photocopie ! S’il s’agit du bois lui-même, pourquoi n’y aurait-il pas un bois authentique différent non répertorié jusqu’à présent ?

   Conclusion : examiner le matériel typographique d’Antoine du Rosne étant donné que la ressemblance de la lettrine A (si agrandissement photographique : peut-être demander une photographie au format exact de la page de titre et de la p. 47) avec la lettrine de l’exemplaire Maz Res 29247-3 permet de lui attribuer cette édition”

   Il faut en effet s’assurer que les lettrines sont exactement de la même taille et pas seulement de constater qu’elles se ressemblent. Pour détecter les faux, il ne faut pas se conter d’à peu près puisque c’est précisément cet à peu près qui constitue la raison d’être des faux.

   Après avoir signalé à François Avel le cas des vignettes de l’édition Macé Bonhomme 1555 et des éditions Barbe Regnault, nous avons reçu de nouvelles observations de sa part, concernant notamment certaines lettres :

   “Ce ne sont pas les mêmes vignettes.
   “Prophéties...”, Macé Bonhomme, 1555 (bois n° 13 = 5 étoiles)
   “Almanach pour l’an 1563”, Paris : Barbe Régnault, 1562 (bois n° 16 = 6 étoiles)
   Pour la lune, en effet, mais cela peut-être comme le trou une différence d’encrage.

   J’ai essayé de comparer les caractères typographiques de l’ex. d’Utrecht et de Mazarine Res 8 ° 29247-3, car l’identité de la lettrine et du fleuron sur la page de titre est troublante. Le caractère d’Utrecht paraît plus mou mais cela peut venir de l’encrage, et puis ce n’est peut-être pas exactement le même jeu.
   Pour l’italique, la majuscule D et le mot “esté” de l’ex. d’Utrecht se retrouvent identiques à la. 47 de Mazarine. le p de imprimées se retrouve p. 48 et ailleurs.
   Pour la p. 47 d’Utrecht on trouve aussi le 9 pour us à la page 53 de Mazarine
   le ct de faict d’Utrecht se retrouve page 51 dans faictes de Mazarine
   le st de distant d’Utrecht se retrouve dans nonobstant page 11 de Mazarine
   Mais la majuscule M d’Utrecht est différente de celle de Maz dont la jambe droite est plus oblique, par contre elle ressemble à celle des Prophéties de 1557. La & est plus molle...
Bref, à vous de juger ! Pour ma part, je trouve beaucoup de ressemblances; reste le bandeau qui n’est pas un élément négligeable.”

   Nous avions déjà attiré l’attention sur la façon dont la Lune est rendue.17 Si l’on observe le halo qui entoure la Lune, on note que c’est la vignette de la Pronostication Barbe Regnault pour 1562 qui est la plus proche de la vignette Galien de la Paraphrase. Il se pourrait donc bien que la dite Pronostication ait été la première à étrenner une vignette parue en 1557-1558, puisque la dite vignette ait servi pour l’almanach Barbe Regnault 1563 avant d’être utilisée pour les éditions Macé Bonhomme 1555 et Antoine du Rosne 1557 (Utrecht, en particulier). Ajoutons que les deux vignettes Galien utilisés pour les faux almanach (1563) et pronostication (1562), parus chez Barbe Regnault, comportent la même croix de Lorraine sous le fauteuil, signe qui ne figure pas sur les vignettes Galien des Prophéties.

Halo de la lune

Le halo de la lune diffère dans les éditions Utrecht et Macé Bonhomme 1555.
Noter l’usage de chiffres romains pour indiquer la date des deux éditions des Prophéties.

Pronostication pour 1558    Pronostication et Almanach Barbe Regnault

Changement de vignette d’une pronostication à l’autre.
Noter l’espace “perdu” dans la pronostication Barbe Regnault et l’“oubli” de Paris dans l’Almanach pour 1563.

   On notera en passant, dans la Paraphrase, que l’épître de Nostradamus au baron de la Garde est du 17 février 1557, de Salon : est-ce que cela correspond, pour nous aujourd’hui, à 1557 ou à 1558 ? Pour notre part, nous pensons que l’Epître de février doit être considérée comme de 1558, donc ne précédant que de quelques mois la date indiquée pour les épîtres à Henri II, en juin, et à Jacobo Marra, en août.18

   Mais, tout bien considéré, sommes-nous si sûrs que l’édition Antoine du Rosne de la Paraphrase de Galien, telle que nous la connaissons, n’est pas, elle aussi, une contrefaçon ? Plusieurs plaident en faveur de cette thèse : d’une part, le recours à un type de lettrines assez inhabituel et dont nous avons vu qu’il est commun aux deux éditions des Prophéties 1557 chez le même libraire; d’autre part, l’absence de visage de la Lune dans la vignette de la Paraphrase et qui nous semble atypique. C’était en effet une pratique constante dans les imprimés des XVe et XVIe siècles, en tout cas pour la période 1530-1560 de figurer les deux luminaires de façon anthropomorphique, comme en témoigne encore le célèbre frontispice d’un recueil allemand de Propheceien und Weissagungen Vergangne, Giegenwertige und kunftige Sachen - titre que l’on retrouve peu ou prou repris et traduit dans le Recueil de Prophéties et Révélations anciennes et modernes, comportant notamment des textes de Lichtenberger- le dit recueil allemand rassemblant des textes de Paracelse, Lichtenberger, Grünpeck et Carion, lequel comporte, quant à lui, non pas un seul personnage assis mais deux, se faisant face, l’un disposant d’un livre et l’autre d’un astrolabe, alors que par la fenêtre, de façon évidemment fictive, l’on voit à gauche la Lune, à droite le Soleil, surplombant un paysage où se dessine une ville, toute la scène formant ainsi un contraste intéressant entre le monde de la culture et celui de la nature. Certes, il existe, dans la correspondance de Nostradamus une lettre d’Olrias de Cadenet19, attestant de l’existence d’une traduction par Nostradamus de la Paraphrase de Galien. Elle figure étrangement dans un groupe de lettres datées de 1560, alors que l’année figurant sur l’édition Antoine du Rosne est 1557. Or, il resterait à prouver que la publication à laquelle fait référence le correspondant de Nostradamus est bien celle qui est conservée à la Bibliothèque Mazarin, dotée d’une vignette identique à celle des éditions 1555 et 1557, cas de figure qui se présente également pour les références de Couillard (1556) à une certaine Epître à César ; la contrefaçon dans ce dernier cas eut-elle lieu à partir de ce qu’en reproduisait Couillard ou bien à partir du texte commenté par celui-ci ?

   Cette affaire de la Lune visagée20 nous paraît avoir été négligée tant par les faussaires que par les nostradamologues, en dépit des soins apportées par ailleurs à leurs travaux respectifs. Nous avons poursuivi notre enquête dans les collections de notre Bibliotheca Astrologica et en avons rapporté des confirmations, toutes dans le même sens, qu’il s’agisse de la célèbre vignette de la Pantagruéline Pronostication de Rabelais, reprise du Narrenschiff de Sebastian Brandt, et que l’on retrouve en Angleterre, sous le titre de A Merry Prognostication ou de la Bauren Practica de Heyne von Ury, ou d’ouvrages savants comme la Sphaera de Sacrobosco, ou l’Organum Uranicum de Sebastian Münster ou encore l’Ephemeridum de Johannes Stoeffler ; cette lune visagée est bien une constante de l’iconographie lunaire des XVe et XVIe siècles. En 1642, à Anvers, on trouve encore une pronostication de Philppe de Dyn, comportant les deux luminaires avec visage. Ajoutons que dans les calendriers des XVIe et XVIIe siècles, les quartiers de Lune, pour chaque mois, sont représentés par une lune visagée.

   Si la présence d’une telle lune n’est pas une assurance d’authenticité (ex. l’édition Benoist Rigaud, 1568, avec lune visagée, reprise de l’almanach de Nostradamus pour 1565 ou la Pronostication pour 1555), en revanche, son absence relève d’un anachronisme quand il s’agit d’éditions qui se présentent comme datées des années 1550 comme celles signalées d’Antoine du Rosne (comme les éditions de publications annuelles nostradamiques Barbe Regnault, pour 1562 et 1563). Chaque fois que le soleil et la lune se font face, ils ont visage humain à l’instar de cette gravure d’Albrecht Dürer de 1498, “La Chute des étoiles”, faisant partie d’une série de 15 xylographies inspirées par l’Apocalypse de Jean ou dans les éditions du XVIe siècle des Hieroglyphica d’Horus Apollon, dont Nostradamus fut le versificateur.21

   Cette gravure de Dürer reprend un passage de l’Apocalypse (Ch. VI; 9-17) :

   “Lorsqu'il ouvrit le sixième sceau, alors il se fit un violent tremblement de terre, et le soleil devint aussi noir qu'une étoffe de crin, et la lune devint tout entière comme du sang, et les astres du ciel s'abattirent sur la terre comme les figues avortées que projette un figuier tordu par ta bourrasque, et le ciel disparut comme un livre qu'on roule, et les monts et les îles s'arrachèrent de leur place ; et les rois de la terre, et les hauts personnages, et les grands capitaines, et les gens enrichis, et les gens influents, et tous enfin, esclaves ou libres, ils allèrent se terrer dans les cavernes et parmi les rochers des montagnes, disant aux montagnes et aux rochers : “Croulez sur nous et cachez-nous loin de Celui qui siège sur le trône et de la colère de l'Agneau.” Car il est arrivé, le Grand Jour de sa colère et qui donc peut tenir ?”

   Dans le Tarot de Marseille, nous avons observé le même processus quand on rapproche l’arcane de la Lune et celle du Soleil. Nous n’excluons pas d’ailleurs que cette gravure de Dürer sur la Fin du monde, avec sa pluie d’étoiles, n’ait été découpée par les dessinateurs du dit Tarot de Marseille - ainsi que par ceux des Hieroglyphica qui recoururent peut-être à la même source dürerienne - et ce depuis l’arcane XV Le diable jusqu’à l’arcane XX, le Jugement, soit pour sept lames consécutives (XVI, Maison Dieu, XVII Etoile, XVIII Lune, XIX Soleil, XXI Monde) qui en auraient fait les pièces d’un puzzle à reconstituer.22 Dans le coin droit (Le Lion animal noble) de la gravure de Dürer, on trouve un certain nombre de personnages mitrés ou couronnés qui pourraient correspondre aux arcanes Le Pape et l’Empereur, IV et V. Dans le coin gauche (le boeuf animal plus frustre), un enfant à moitié nu nous évoque les deux personnages figurant sur l’arcane du Soleil. Tout en haut, les anges dont on retrouve un exemplaire dans l’arcane du Monde sinon deux si l’on considère que l’aigle a aussi des ailes, ces deux personnages se situant en haut de la dite arcane. En fait, la Lune visagée est bel et bien en colère comme il sied dans une scène de fin des Temps.23 Insistons sur ce point : la recherche des sources d’une série de textes ou d’images doit conduire à la découverte d’un nombre d’ensemble limités. Croire que chaque pièce d’une série donnée (quatrains, arcanes, devises malachiques) a une origine distincte est une solution peu économique et qui masque mal l’échec de l’investigation. Il est vrai que d’aucuns préférent imaginer que le prophéte se branche sur l’universel plutôt qu’il ne procéde à du cut-up, selon l’expression de Gilles Polizzi. Il semble que l’habitude de représenter la Lune avec visage se soit mise en place dans le cours du XVe siècle et que la lune sans visage n’avait plus guère cours au milieu du XVIe siècle, puisque on la trouve sous Charles VI, dans le Tarot qui porte son nom.24 Il nous semble que le Tarot de Marseille est à l’origine des autres jeux de tarots, si l’on admet qu’il est plus proche de la source Dürer que nous avons signalée.

   Pour en revenir aux lettrines, si l’on passe aux deux volets de l’édition Benoist Rigaud 1568, on relève qu’ils ont, comme pour le triptyque Antoine du Rosne, certaines lettrines en commun, ce qui plaide en faveur d’un même imprimeur : le A des centuries III, V et VI se retrouve à la centurie X et est de la même série que le D de la centurie IX et que le V de la centurie II. En outre, il y a un fleuron dans le même style à la fin de la Centurie VII. Or, ces lettrines et ces fleurons en arabesque semblent récurrents dans les éditions centuriques, puisqu’on les trouve dès 1589 chez Pierre Ménier puis dans les années 1620 chez Jean Poyet et Jean Didier (1627) mais aussi chez Du Ruau (1605). On trouve de telles arabesques dans l’édition Macé Bonhomme 1555, ce qui tendrait à montrer que le matériel iconographique Macé Bonhomme était fort répandu bien au delà des publications du libraire lyonnais et de la période d’activité du dit libraire dont les lettrines semblent bien avoir été conservées ou imitées. On trouve ce type de fleuron à la fin des Centuries, dans l’exemplaire 1557 Utrecht mais l’exemplaire 1557 Budapest ne comporte, pour sa part, aucun motif en arabesque.

Edition Jean Poyet    Edition Jean Poyet

Arabesque et lettrine chez Jean Poyet.

Edition Pierre Ménier    Edition Pierre Ménier

Arabesques et lettrines chez Pierre Ménier.

Edition Pierre Ménier

Fleuron arabesque typique du style de lettrines des éditions nostradamiques.

Edition Jean Didier    Edition Jean Didier

Arabesques et lettrines chez Jean Didier.

Fleurons en arabesque

Fleurons en arabesque chez Macé Bonhomme (1555) et Antoine du Rosne (Utrecht, 1557).

   Il est d’ailleurs plutôt rare, soulignons-le, de ne trouver qu’un seul type de lettrines dans les ouvrages du XVIe siècle, en tout cas la diversité des dites lettrines y est chose banale : le cas des éditions Macé Bonhomme 1555 - ce sont les mêmes lettrines dans les exemplaires d’Albi et de Vienne - est en ce sens assez remarquable, dont les cinq lettrines appartiennent à une seule et même série, ce qui n’est pas le cas de la Paraphrase de Galien, par exemple. La grande question qui se pose est la suivante: peut-on dans certains cas parler d’un faux du fait que l’on y utilise des lettrines apparues plus tardivement, les faussaires n’ont -ils jamais commis de telles erreurs ? On conçoit que pour répondre à de telles questions, il importerait de disposer d’inventaires aussi complets que possible des lettrines utilisées notamment aux XVI et XVIIe siècles. En tout cas, si l’on trouve le même type de lettrines dans l’édition Benoist Rigaud 1568 et dans les éditions rigaldiennes des toutes dernières années du XVIe siècle, de deux choses l’une : ou bien on était en mesure de reproduire des lettrines à trente ans d’intervalle ou plus - ce que nient certains nostradamologues s’appuyant sur la thèse de la non reproductibilité et de la non transmissibilité des documents et du matériel typographique - ou bien ces différents ouvrages, quelle que soit la date indiquée au titre, sont de la même époque, ce que ces mêmes nostradamologues nient tout autant puisqu’ils refusent qu’il y ait de telles contrefaçons. On a d’ailleurs affaire à deux types de “contrefaçons”, l’une, généralement acceptée, qui est la réédition et l’autre qui l’est moins et qui est l’édition antidatée. Et dans le cas de figure de l’édition antidatée, il y a deux possibilités : soit une édition anachronique qui ne correspond pas aux pratiques de l’époque où l’on prétend situer l’édition - ou qui tente d’ adopter un profil bas, passe-partout si tant est que cela existe - soit une édition un tant soit peu documentée et qui se sert de certains ouvrages de l’époque en question et peut ainsi donner - tout dépendant évidemment du niveau critique du lecteur - des gages d’authenticité. Un troisième cas de figure, peut-être le plus significatif pour le corpus nostradamique, pourrait consister à fabriquer une édition antidatée mais en se servant d’une ancienne édition ayant bel et bien existé, sous une forme ou sous une autre, mais sensiblement remaniée. Ce qui nous paraît plus immédiatement déterminant concerne les rapports entre les deux volets centuriques: si la même politique de lettrines est appliquée, il y a une présomption sérieuse que ceux-ci ont été réalisés conjointement. Si ce n’est pas le cas, le second volet a été composé séparément (cf. infra).

La présentation séparée des Centuries

   Un autre trait distinctif qu’il nous semble devoir indiquer dans les descriptions des éditions des Centuries concerne le passage d’une centurie à la suivante et cela également permet de déterminer certains liens entre éditions.

   Deux cas de figure se présentent : soit l’on passe à la centurie suivante sans commencer une nouvelle page, soit l’on passe à la page suivante, quand bien même resterait-il de la place à la fin de la centurie qui s’achève. A cela il faut ajouter le cas des éditions qui font se chevaucher les quatrains sur deux pages et d’autres qui parviennent à l’éviter, comme c’est le cas de l’édition Poyet qui est la plus soignée.

   Prenons le cas de l’édition Benoist Rigaud 1568 (avec vignette “compas” identique à celle de Pierre Rigaud, non datée), les centuries s’y suivent sans “saut” de page, ce qui est une solution de facilité et une formule économique, qui se retrouve dans l’édition de Cahors, 1590, avec laquelle elle présente de nombreux points communs puisque, par ailleurs, on y trouve BRANCHES en I, 2 (cf. supra). A l’inverse, l’édition 1557 de la bibliothèque de Budapest, dont on a dit pis que pendre25 - et dont on a vu (cf. supra) qu’elle était la plus ancienne des éditions antidatées - est remarquablement mise en page de sorte que chaque centurie débute en haut de page. C’est aussi le cas de l’exemplaire d’Utrecht mais pour ce faire on y recourt à des expédients, en plaçant des motifs décoratifs lorsqu’une centurie se termine trop tôt.

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3

La soustraction des additions

    Les éditions post Ligue comportent des additions (aux VIIe et VIIIe centuries) reprenant certains quatrains parus à Paris, sous la Ligue - ce qui témoigne d’une volonté de réunir un corpus nostradamique dispersé. Or, les éditions Benoist Rigaud 1568 ne comportent pas de telles additions. D’aucuns diront que c’est normal puisque ces éditions sont supposées antérieures. Mais une autre approche peut conduire à considérer qu’on a sciemment supprimé ces additions pour les besoins de la cause. Or, cette suppression, si elle a eu lieu, n’aurait-elle pas laissé des traces, des vides, au niveau de la mise en page ? Arrêtons-nous sur la fin de la centurie VII. Nous retiendrons trois cas de figure concernant trois éditions ayant adopté la même mise en page, commençant en haut de la page avec le quatrain 40 :

      - Benoist Rigaud 1568 : on a le mot “Fin” après le quatrain 42 suivi d’un fleuron occupant le reste de la page
      - Pierre Rigaud (Lyon), sans date, (début XVIIe siècle) : on a le mot “Fin” après le quatrain 42, suivi d’un blanc, ce qui conclut le premier volet
      - Pierre Chevillot (Troyes), sans date (vers 1629) : on a une addition de 5 quatrains, après le quatrain 42 : “Autres Prophéties cy devant imprimées soubz la Centurie septiesme.”

   Autant dire que ces trois éditions présentent un certain air de famille, puisque il ne saurait être question d’une coïncidence qu’il y ait dans les trois cas les mêmes quatrains, et eux seuls, sur une même page. A titre de comparaison, les éditions Antoine du Rosne ne comportent pas une telle disposition, pas plus d’ailleurs que l’édition Jacques Rousseau, à Cahors ou que celui des diverses éditions troyennes Pierre du Ruau, bien que les dites éditions du Ruau comportent les additions à la VIIe Centurie.

   A propos d’additions, on notera que les Présages - quatrains des almanachs - tirés du Janus Gallicus, ne figurent pas dans les éditions rigaldiennes - lesquelles ne retiennent pas d’ailleurs les additions à la VIIe et à la VIIIe centuries - mais uniquement dans certaines éditions troyennes, dans les années 1630. On notera que les éditions Du Ruau ne comportent que 4 quatrains additionnels tirés des éditions parisiennes de la Ligue, une fois les Présages éliminés tandis que chez Chevillot, on a un cinquième quatrain supplémentaire26 :

Les ravasseurs se trouveront mocquez
Et les Vestales seront (ou serrées) en fortes riegges
Gris blancs & noirs enfumez & froquez
Seront remis, desmis, mis en leurs sieges.

   Ce quatrain correspond au mois d’octobre de l’almanach pour 1561 mais il faut permuter les deux premiers versets avec les deux derniers. En réalité, un seul quatrain n’appartient pas à l’almanach pour 1561 et c’est justement le premier de la série :

Roy Trouvera ce qu’il désiroit tant
Quand le Prélat sera reprins à tort
Response au Duc le rendra content
Qui dans Milan mettra plusieurs à mort.

   La présence de ce quatrain devait probablement contribuer à brouiller les pistes. On notera que cette centurie VII est en réalité la suite de la Centurie VI, se terminant à 71 quatrains, la série se prolongeant à partir du quatrain 72. Il s’agit donc bien plutôt d’une tentative d’ajouter des quatrains à la VIe centurie que de prétendre constituer une nouvelle centurie VII. D’ailleurs, la mention “Centurie sixiéme” figure bien à la dernière page. On notera d’ailleurs la formule “Prophéties de M. Nostradamus adioustées nouvellement”, laquelle formule figure également après le 53e quatrain de la IVe Centurie. Selon nous la mention “Centurie septième” est un lapsus. Dans la foulée on a annoncé une centurie huitième à 6 quatrains, numérotés cette fois de 1 à 6, qui fera l’objet d’une addition dans les éditions Chevillot-Du Ruau. En fait c’est cette centurie 8e qui devrait être la centurie 7e des éditions parisiennes. Ces quatrains additionnels auraient donc du figurer en addition non pas de la septième mais bien de la sixième centurie. Tout se passe comme si on les avait considérés comme ajoutés à la VIIe Centurie alors que leur numérotation montre à l’évidence qu’ils appartiennent bel et bien à la VIe Centurie. Or, comment auraient-ils pu être ajoutés à une centurie inexistante dans les éditions parisiennes de la Ligue ? Ajoutons que l’on ne devrait pas être si surpris de l’existence de Centuries à six centuries. A un stade ultérieur, cette sixième centurie atteindra les 100 quatrains, suivis d’un avertissement en latin pour perdre assez vite son 100e quatrain (n° 113 du JG), dans les éditions Chevillot et Rigaud (cf. infra). Là encore, le découpage/dépeçage, amorcé par les “éditeurs” du corpus nostradamique semble assez maladroit eux qui ont présenté cette addition à la VIe comme une addition à la VIIe centurie.

Edition Charles Roger
Edition Charles Roger

On notera la mention erronée “centurie septième” alors qu’il s’agit de la prétendue suite de la VIe.

Edition Charles Roger    Edition Benoist Rigaud

L’intitulé chez Charles Roger convient mieux au contenu du premier volet que l’intitulé des éditions 1557 et 1568,
la IVe centurie à 53 quatrains correspondant selon nous à l’addition datée de 1561.

   Quant aux Présages qui ont conduit à soustraire des quatrains à cette prétendue addition à la VII, ils appartiennent - mais seulement, au départ, dans les éditions du Ruau - au second volet. Sans les Présages, les additions à la VIIe centurie (cf. supra) ne pourraient se faire dans la mesure où l’on a supprimé préalablement les quatrains de la VII qui figuraient par ailleurs en tant que présages, étant issus de l’almanach pour 1561. Le quatrain pour l’an 1561 bien que commenté par le JG (au n° 70, p. 80) n’a pas été intégré dans les Centuries parisiennes encore que le premier quatrain de la série des additions à la sixième centurie commence de la même façon par “Roy”. Peut-être est-ce la raison pour laquelle on a choisi d’intégrer dans les Centuries les quatrains de l’almanach pour 1561, visiblement, on avait recherché un quatrain annuel en rapport avec la Royauté, quitte à le retoucher. Mais pourquoi ce quatrain “au Roy” fut-il éliminé puisqu’il ne figurait pas dans les Présages ? L’aurait-on finalement assimilé au quatrain de l’an 1561 en raison de son début ? Pourquoi par ailleurs Chevillot conserve-t-il le quatrain d’octobre 1561 alors qu’il est commenté dans le JG (n° 140) ? Il est possible qu’il n’ait pas été aussitôt identifié en raison de l’inversion des versets. En tout cas, il est rejeté des éditions Du Ruau, ce qui laisserait entendre que les éditions Chevillot ne sont pas issues des éditions Du Ruau qui nous ont été conservées et qui sont améliorées, elles seraient issues d’une édition défectueuse disparue (avec VI 100 absent et Legis Cantio au lieu de Legis Cantio).

   Mais revenons à nos trois éditions mises en parallèle : Benoist Rigaud 1568, Pierre Rigaud, Pierre Chevillot. Tout d’abord, on notera que les deux premières, rigaldiennes, ont la même pagination (125) pour la fin de la Centurie VII, alors qu’elles sont supposées être séparées de plusieurs décennies, au bas mot une trentaine d’années. On notera d’ailleurs que les éditions Héritiers Rigaud, autour de 1597 (Université de Londres, collection Harry Price) sont absolument identiques, pour la page en question, aux trois éditions considérées. Tout se passe comme si l’édition Pierre Chevillot avait ajouté aux éditions rigaldiennes cinq quatrains au premier volet - dans certaines éditions on n’en donne que quatre - mais cette édition ne comporte pas les Présages à la différence de l’édition du Ruau et des éditions hollandaises (1667-1668) très marquées par le Janus Gallicus dont elles adoptent le Brief Discours de la vie de M. Nostradamus, sans parler des quelques quatrains des Centuries XI et XII ne pouvant venir que du seul JG. Or, nous avons signalé que les additions à la VIIe centurie ne se concevaient pas sans un rapprochement avec les Présages. En revanche, l’édition Chevillot comporte les 58 sixains, ce qui la situe après 1611, date qui lui est souvent attribuée du fait qu’elle a été associée avec le Recueil des Prophéties et Révélations - qui, lui, est bien daté de 1611 - et certainement pas en 1605, date de l’Epître à Henri IV introduisant les dits sixains, épître qui figure dans certaines éditions Benoist Rigaud 1568, que tout le monde s’accorde à reconnaître comme antidatées.

   Il y a deux possibilités :

      - ou bien l’édition Chevillot est issue du groupe rigaldien, lui-même issu de l’édition Benoist Rigaud 1568 avec des additions - ce qui est la thèse la plus acceptable pour nombre de nostradamologues. Dans ce cas, l’édition Du Ruau serait une édition augmentée par rapport à l’édition Chevillot.

      - ou bien l’édition Chevillot est issue des éditions Du Ruau, avec des omissions (il y manque les Présages). Et dans ce cas les éditions rigaldiennes devraient être datées des années 1630, et l’édition Benoist Rigaud 1568 également.

   Le critère de la mise en page intervient ici puisque soit la mise en page est de Chevillot et a été reprise sous le label Rigaud, soit la mise en page est de Rigaud et elle a été reprise par Chevillot, puisqu’elle ne figure pas chez Du Ruau. Or, on ne voit pas pourquoi Chevillot aurait adopté la mise en page Rigaud tout en dérivant de Du Ruau. A moins que l’édition Du Ruau dont Chevillot est issue n’ait pas été conservée. Mais il faudrait alors aussi supposer qu’il ait pu exister une édition Chevillot avec les Présages, qui, elle aussi, aurait disparu.

   On voit que ces considérations sur la présentation et la disposition des éditions n’est pas une affaire marginale, puisque elle peut avoir de graves incidences sur la datation des éditions et notamment sur celle de tout l’ensemble rigaldien.

Le cas de l’édition de Cahors 1590

   Cette édition a été assez peu étudiée et elle est conservée à Rodez, à la bibliothèque de la Société des Lettres, Sciences et Arts de l’Aveyron. Daniel Ruzo en aurait obtenu, selon Chomarat, une reproduction. On la trouve aussi à Stockholm.27 Pour notre part, nous avons eu la chance d’en obtenir une photocopie partielle au format d’origine, de la part du conservateur, Pïerre Lançon, et nous ne souscrivons pas au jugement de Ruzo, repris un peu hâtivement par R. Benazra, pour qui elle reproduirait les (sic) éditions Benoist Rigaud. On notera pour commencer que la numérotation des quatrains est en chiffres arabes et non romains, à l’instar de l’édition Macé Bonhomme. Pour gagner de la place, les chiffres sont placés au début du premier verset de chaque quatrain, les centuries se suivant sans saut de page et sans lettrines au premier volet. En revanche - et cela souligne le décalage entre les deux volets - le second volet a, quant à lui, des lettrines à l’Epître à Henri II et à chaque centurie et se sert de chiffres romains pour marquer les quatrains qui sont en italique, ce qui n’était pas le cas pour le premier volet. Le premier volet a des mots en majuscules, pas le second, la présence de majuscules dans les deux volets nous apparaissant d’ailleurs comme une tentative tardive de conférer une unité de façade aux deux volets.

Edition Cahors 1590

Les lettrines du second volet, à la différence du premier volet.
On notera l’usage des chiffres arabes et de lettrines en arabesque ainsi que d’un fleuron typique.

   L’intérêt de cette édition tient au fait que, si l’on fait abstraction des éditons datées du vivant de Nostradamus ou du lendemain de sa mort, c’est là la toute première édition à 42 quatrains à la VII, en ajoutant que nous ne disposons pas d’édition avec une VII à 40 quatrains, à cette date de 1590 à moins de considérer l’exemplaire de Budapest 1557 comme en tenant lieu ou plutôt en étant la copie antidatée. On notera en tout cas que cette édition de Cahors ne comporte aucunement la mise en page de l’édition Benoist Rigaud (sans épître 1605) dont il a été question plus haut, ce qui tend à rendre d’autant plus improbable l’ancienneté d’une telle mise en page. De par ses caractères très resserrés, l’édition 1590 ne semble être superposable à aucune autre. Le rapprochement avec l’exemplaire 1557 Utrecht est, comme nous l’avons signalé dans d’autres études sur Espace Nostradamus, assez remarquable puisque la fin de la centurie VI à 99 quatrains et l’avertissement latin sous une forme corrompue (cf. infra) se retrouvent ainsi que les 42 quatrains à la VIIe Centurie. En ce sens, effectivement, l’édition Benoist Rigaud correspond de par son contenu, mais non par sa mise en page, à l’édition de Cahors, puisque le premier volet Benoist Rigaud 1568 est très semblable à l’exemplaire 1557 Utrecht mais on pourrait en dire autant, à ce moment là, de l’édition Chevillot. En revanche, l’édition Du Ruau comporte un centième quatrain français à la VI. Suivi de l’avertissement latin non fautif (Legis Cautio et non Legis Cantio comme chez Rigaud et Chevillot, ainsi que dans 1557 Utrecht). On peut donc difficilement envisager que cette édition, du moins en son premier volet, ait donné naissance à l’édition Du Ruau, en raison de ses défauts sans parler du fait qu’elle ne comporte pas d’additions. Quant au second volet de l’édition de Cahors, également daté de 1590, à la différence de tant de seconds volets non datés, on vient de souligner à quel point il se distinguait du premier volet. Nous ne pensons pas que celui-ci date de 1590, date à laquelle les Centuries VIII-X ne circulaient pas selon nous, du moins sous une forme imprimée, tout comme d’ailleurs l’Epître à Henri II. Le second volet, cependant, nous semble poser moins de problèmes que le premier comme précurseur de l’édition Du Ruau, il ne comporte pas de mots en majuscules comme c’est également le cas des éditions troyennes. On peut donc le second volet Cahors comme la toute première réédition conservée des centuries VIII-X depuis le démembrement de la première édition à dix centuries. A propos du second volet, on notera qu’alors que le premier volet Du Ruau comportait des Centuries se suivant sans saut de page, le second volet Du Ruau, en revanche, comporte des sauts de page, comme cela ressort nettement à la fin de la centurie IX, ce qui laisse entendre éventuellement que les deux volets n’ont pas été composés en même temps. Ces sauts de page, en revanche, n’existent pas chez Chevillot et donc pas non plus dans Benoist Rigaud 1568. Notons cependant que chez BR 1568, l’addition à la VIIIe Centurie a évidement disparu, non pas parce qu’on ne la connaissait pas mais parce que sachant que celle-ci datait des éditions 1588 et que l’on voulait restituer un état antérieur (1568), il convenait de ne pas la faire figurer dans le dit état, sans que l’on puisse parler de contrefaçon. Ce sont ceux qui tirent des conséquences exorbitantes de ces méthodes qui en font des contrefaçons alors qu’il s’agit surtout de procédés assez naïfs.

Edition Utrecht 1557

Edition Antoine du Rosne 1557 (Utrecht)
avec une VIe centurie augmentée par rapport à l’édition Charles Roger.
Noter l’absence du quatrain VI, 100.

Le mythe de l’édition perdue

   Nous avons vu qu’à la lumière du Janus Gallicus avait bien du exister, de façon certes assez éphémère, une première édition à dix centuries - ce qui ne signifie aucunement que la première édition des Centuries en ait comporté dix. L’édition Benoist Rigaud 1568 vise à restituer une telle première édition dont le JG est le reflet partiel. Mais elle ne tient pas assez compte des informations propres au JG tout en se laissant par trop marquer par cette manie des mots en majuscules. Il est probable d’ailleurs que les éditeurs de la dite édition n’eurent pas accès au JG et que celle-ci ne lui soit point contemporaine mais daterait au plus tôt des années 1620. On a donc avec cette édition à 10 centuries une fausse reconstitution de la première édition à 10 centuries dont le JG de 1594 est le commentaire. Une telle édition correspond en réalité à un état post JG, notamment en ce qui concerne les derniers quatrains de la Centurie VII, la disparition du quatrain 100 de la VIe centurie (cf. infra), sans parler d’une refonte et d’un déplacement de l’Epître à Henri II, d’une intégration de la Préface à César qui ne devait pas exister dans la première édition à 10 centuries. Ajoutons que le JG se sert en réalité d’une édition augmentée, à la IVe et à la VIe centuries, ces deux centuries étant initialement à 53 et à 71 quatrains respectivement. Dans l’ensemble, on notera une très grande stabilité dans la numérotation des quatrains, la solution adoptée pour augmenter les Centuries ayant été de procéder à des additions aux IVe et VIe Centuries, ainsi qu’à la VIIe Centurie, ce qui put servir, un certain temps, de soupape de sécurité, avant de devoir se contenter d’interpréter. Cette stabilité est cependant une apparence qui se fonde sur la comparaison entre les éditions datées du vivant de Nostradamus et celles du XIXe siècle. Mais si l’on considère que ces “premières” éditons (princeps) n’en sont pas - et Brind’amour est tombé dans ce piège avec son édition Macé Bonhomme (Droz, 1996) - force est de constater, sur l’ensemble du corpus, l’importance des variantes tant au niveau des quatrains que des épîtres centuriques. Autrement dit, si le classement des quatrains est resté celui de la première édition à dix centuries, les dits quatrains ont subi un certain nombre de retouches et il est bien difficile, actuellement - et cela n’a pas été jusque là notre propos- de déterminer quel fut leur état initial. Or, en affirmant que l’on connaît les toutes premières éditions des Centuries, certains laissent, ipso facto, entendre qu’une telle question ne fait pas sens puisque l’on a les premières éditions.

Quatrains additionnels ou supprimés à la VI et à la VII

   Ce n’est pas la première fois que nous affirmons que les éditions Du Ruau sont les plus proches du Janus Gallicus. Elles comportent certes des additions qui ne pouvaient exister dans la première édition à dix centuries mais en même temps, elles en sont relativement plus proches que toutes les éditions parues à partir de 1590. Ce qui les distingue de l’édition Chevillot (à part la permutation au titre rpophéties (sic) au lieu de Prophéties, au second volet seulement, toutefois) c’est la présence du quatrain 100 à la VIe centurie. La suppression de ce quatrain a décalé l’agencement des quatrains de la VIIe Centurie et c’est à partir de là que les deux éditions troyennes ne sont plus superposables - soit à partir du quatrain 95 - quant à leur mise en page. Or, comme l’édition Benoist Rigaud présente une similitude frappante avec la mise en page Chevillot, l’on peut considérer qu’elle en est une mouture expurgée de certaines additions janussiennes ou liguiennes (Présages, quatrains de la Ligue ajoutés à la VIIe et à la VIIIe, centuries XI, XII) et non pas un état antérieur aux éditions troyennes. Dans le même esprit, on serait passé à rebours, d’une édition à 7 centuries à une édition à 4 centuries, en supprimant la mention d’une addition de 300 “prophéties”, mais de fait l’édition à 353 quatrains ne correspond pas à une telle soustraction de 300 quatrains (642 - 300 = 342). Si les faussaires ont eu raison de chercher à reconstituer une progression dans la formation du premier canon centurique, ils n’ont pas compris, apparemment, que l’addition de 300 quatrains à la seconde édition impliquait de considérer comme telle les trois premières centuries. Or, ils sont partis du présupposé selon lequel celles-ci ne pouvaient avoir été ajoutées puisque elles étaient placées en tête. Or, il est clair que si l’on a ajouté 300 prophéties, c’est bien pour former trois centuries pleines, comme ce sera le cas d’ailleurs, pour l’addition suivante. Il aurait donc fallu, pour bien faire, reconstituer la première édition avec les centuries IV, V, VI et VII et non avec les centuries I, II; III et IV. Dès lors qu’on ne connaissait pas le nombre initial de quatrains, la sagesse voulait que l’on se contentât de soustraire les additions indiquées, soit 3 centuries pleines et de considérer le reste, dont on ne savait rien de précis, comme le premier état.

   Nous pensons que notre lecteur ne peut qu’être frappé par la superposition de la page 125 de l’édition Chevillot et de l’édition Benoist Rigaud 1568. Il se demandera comment on a pu en arriver à produire ainsi deux éditions dont l’une est visiblement calquée sur l’autre. On notera que l’édition BR 1568 n’est pas nécessairement le fait des Rigaud, il peut aussi bien s’agir d’une contrefaçon troyenne de Chevillot : d’ailleurs, l’autre libraire troyen Du Ruau ne se réfère-t-il pas lui même dans une de ses éditions à une édition BR 1568 ?28 Toujours est-il qu’il est probable que l’on ait fabriqué conjointement l’édition Chevillot et l’édition BR 1568. A partir du moment où l’on prétendait exhumer une édition 1568, il allait de soi qu’il fallait évacuer les additions janussiennes. Une telle astuce aura payé puisque, grâce à cet élagage, l’édition BR 1568 est bien apparue comme d’époque et continue à l’être dans l’esprit de nombre de nostradamologues, en ce début de XXIe siècle. Rappelons que les éditions Pierre Rigaud 1566 n’ont rien à voir, on s’en doute, avec les libraires Rigaud. Il faut donc parler, en ce qui concerne les éditions Rigaud des Centuries de pseudo-éditions Rigaud.

   La VIIe Centurie a été un lieu privilégié d’additions de toutes sortes et il n’y a pas lieu d’être surpris que l’on ait largement dépassé le seuil des 35 quatrains, comme en témoigne l’édition Du Ruau “à la sphère”, dans l’exemplaire conservé à la Bibliothèque Mazarine (cote 53880), comportant un 43e quatrain se référant à Louis XIII dit Le Juste, né en 1601, signalé d’ailleurs par R. Benazra29 et qui ne sera pas conservé dans le canon centurique :

Un Iuste Roy de trois lis gaignera
Dessous la Pau une palme nouvelle
Au mesme temps qu’un chacun marchera
Sur le clocher de la Saincte Chapelle
.

Ex. Mazarine

VIIe centurie à 43 quatrains
(exemplaire Mazarine)

   Le problème, c’est que l’on trouve aussi des exemplaires Du Ruau avec la même présentation “à la sphère”, mais sans ce quatrain. R. Benazra en parle comme d’un quatrain apocryphe qui “montre la destination politique des éditions de Pierre Du Ruau”, à l’instar de ceux qui seront ajoutés à la fin de la dite centurie VII, sous la fronde. Il semble bien cependant que ce quatrain ait été ajouté, profitant d’un espace laissé vacant du fait que le chapeau des Additions à la VIIe Centurie était trop important pour tenir en bas de page. On observe d’ailleurs, un encrage différent pour le 43e quatrain. On trouve une autre mouture Du Ruau de la VIIe centurie, cette fois, à 44 quatrains sous la Fronde, lors du “tumulte de Paris, l’an 1649”, ce que déjà en 1656 signalait Giffré de Rechac dans l’Eclaircissement des véritables quatrains (pp. 76-78). Mais cette fois, c’est toute la page qui a été recomposée : on a fait passer le dernier verset du quatrain VII 38 sur la page précédente, libérant ainsi de la place pour deux nouveaux quatrains non plus placés à la fin mais - “entrelassés” - avant les deux derniers quatrains 41 et 42 se trouvant ainsi renumérotés 43 et 44, le précédent quatrain 43 ayant été éliminé entre temps.30 On notera que ces corrections se font à l’économie et que l’on ne refait que les pages nécessaires, laissant le reste tel quel, au niveau de la mise en page. Ce conservatisme explique notamment pourquoi la faute d’accord au titre n’est pas corrigée d’une édition Du Ruau à l’autre : “Centurie (six) VIII. IX. X. qui n’avaient esté etc”. Mais il existe une autre mouture de la VIIe centurie avec deux quatrains 43 et 44 additionnels encore différents.31

Edition Pierre du Ruau    Extrait Pierre du Ruau

Edition Du Ruau.
Noter que le quatrain 43 manque par rapport à l’édition Mazarine avec le même vignette.

Edition 1605    Extrait Edition 1605

Edition Du Ruau (S.d.).
Emplacement du quatrain 43 manquant dans l’édition 1605 ?

Edition Pierre Chevillot

42 quatrains avec “addition”, à la place du quatrain 43 ?

Edition Benoist Rigaud    Edition Pierre Chevillot

Mise en page avec fleuron.

Edition Pierre Rigaud    Extrait Edition Pierre Rigaud

Mise en page sans fleuron.

   Il est quand même étonnant que les nostradamologues actuels, pratiquant la politique de l’autruche, affichent une telle désinvolture face au quatrain VI, 100, parce que le dit quatrain ne “colle” pas - pour reprendre l’argument de Peter Lemesurier, avec leur thèse concernant l’authenticité des éditions 1557 et 1568. Tout se passe comme si ce quatrain avait été ajouté tardivement, en l’occurrence à partir du Janus Gallicus (1594) et avait connu au XVIIe siècle une certaine fortune, dans les éditions Du Ruau et dans les éditions d’Amsterdam avant de retomber dans un oubli bien mérité avec la résurgence, à partir du XVIIIe siècle, des éditions Chevillot-Rigaud au travers de l’édition 1566 Pierre Rigaud. Car cette édition 1566, si elle a été dénoncée, n’en a pas moins exercé une influence considérable et on en est toujours à cette édition, quant au contenu des Centuries, même si la date de parution a été sensiblement révisée.

   Pour notre part, nous ne voyons aucune raison de considérer le quatrain VI, 100 et numéroté comme tel comme une interpolation du même ordre que ce qui s’est passé pour certains quatrains de la Centurie VII. En effet, la Centurie VII est incomplète et hormis l’affaire des (58) sixains l’est restée pour des raisons que l’on n’a pas à aborder ici. Cette Centurie fut le lieu par excellence de diverses additions et interpolations. En revanche, les Centuries IV, V et VI, initialement incomplètes, elles aussi, comme en témoignent l’édition Macé Bonhomme 1555 et les éditions parisiennes 1588-1589, ont abouti à une série de 300 quatrains français, pour faire pendant, semble-t-il, aux deux autres ensembles de 300 quatrains (I-III) et (VIII-X), ce nombre de 300 étant récurrent dans les titres mêmes des deux volets centuriques. Dès lors, la centurie VII pouvait rester avec un nombre limité de quatrains, étant en quelque sorte laissée pour compte entre ces trois ensembles de 300 quatrains. On sait d’ailleurs l’importance du nombre 300, comme l’ont encore récemment (cf. supra) montré Yves Lenoble et Amanda Phillimore, au colloque MAU de novembre 2004, à savoir dix révolutions (“revolts”) de Saturne.

   Certes, il existe entre la VI et la VIIe Centurie un avertissement latin mais il ne nous semble pas appartenir stricto sensu à la VIe centurie mais constituer une sorte de muraille, au delà de laquelle se place cette centurie en friche qu’est la VIIe et qui n’était pas retenue d’ailleurs dans les éditions parisiennes sous la Ligue - c’est par erreur, on a vu, que le terme “septième centurie” y figure alors qu’il s’agit d’une tentative avortée de prolongement de la Centurie VI, au delà du 71e quatrain. On nous fera remarquer que l’on a bien là la preuve que la Centurie VI a fait l’objet d’additions. Oui, et on aimerait qu’on nous expliquât comment des additions survenant dans les années 1580 peuvent déjà figurer… dans les éditions 1557 et 1568 !

   Mais trêve de plaisanterie: si addition à la VI, il y a eu, au delà du 71e quatrain, cela s’est fait dans l’optique de parvenir à 100 quatrains et pas à 99 - ce qui n’aurait rimé à rien. Il semble certes que ce quatrain 100 a fait problème puisque l’édition d’Anvers 1590 ne le comporte déjà plus, pas plus d’ailleurs qu’elle ne comporte l’avertissement latin. Pour sa part, le Janus Gallicus commente à deux reprises (pp. 106 et 218) le dit quatrain et ne lui confère aucun statut à part (cf. son index des versets), il l’associe à un événement survenu en 1562 et qui est à la base d’un jeu de mots du premier verset : “Fille de l’Aure, asyle du mal sain etc”, évoquant la ville d’Orange, qui fut un enjeu au cours des Guerres de Religion. On sait que Du Ruau reprendra ce quatrain, soit qu’il se soit servi du JG ou d’une édition disparue qui pourrait bien être précisément celle signalée en 1584, à dix centuries. Il semble en revanche que les éditions parisiennes 1588-1589 ne se référent pas à la dite édition à 10 centuries mais à une édition plus ancienne à six centuries ne comportant encore que 71 quatrains à la VI mais avec déjà une addition de 54 quatrains à la IVe centurie. Nous ne sommes donc nullement en train de dire que VI 100 a existé dès l’origine mais que la centurie VI fut d’abord à 71 quatrains tout comme la VIIe centurie fut d’abord à 35 quatrains (édition d’Anvers 1590). L’erreur de la reconstitution ayant abouti à la fabrication des éditions 1557 et 1568 aura été de ne pas repérer les additions intervenues successivement. En comparaison, l’édition 1555 est plus habile, elle qui rappelle un état premier de la IVe Centurie, ce que ne fait malheureusement pas l’édition 1557 et ce ni pour la IVe, ni pour la VIe, ni pour la VIIe quitte à laisser à l’édition posthume 1568 la possibilité de comporter certaines additions au sein même du premier volet.

Edition Janus Gallicus

Index dans le Janus Gallicus et quatrain VI, 100.

Edition Du Ruau

Quatrain VI, 100 dans l’édition Du Ruau (1605)

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La thèse des deux mouvances centuriques

    Mais revenons sur les différences entre Du Ruau et le groupe Chevillot-Rigaud : on remarquera que chez Du Ruau, l’intitulé du premier volet diffère sensiblement en ce qu’il ne comporte aucune mention d’addition de 300 prophéties. On se contente d’indiquer “Revues & corrigées sur la copie imprimée à Lyon par Benoist Rigaud en l’an 1568”. Chez Chevillot, il n’est pas fait mention de l’an 1568 ni de Rigaud. En revanche, on trouve un intitulé familier : “Dont il y en a trois cens qui n’ont encores iamais esté imprimées” et que l’on retrouve notamment dans l’édition Benoist Rigaud 1568, les références à ce libraire et à l’année 1568 ne figurant pas au titre, comme chez Du Ruau, mais en bas de page comme si la dite édition datait bel et bien de cette année là et de ce libraire là. Mais les éditions Pierrre Rigaud et Héritiers Benoist Rigaud ne se référent pas davantage à 1568, suivant en cela le modèle Chevillot.

   Quant au second volet Du Ruau, il nous semble plein d’enseignement de par la comparaison avec toutes les autres titres d’éditions des Prophéties : “Centuries VIII. IX. X. qui n’avoient esté premièrement imprimées & sont en la mesme édition de 1568.” L’édition Chevillot comporte la même formule mais seulement en son début, c’est-à-dire une fois de plus sans référence à l’édition 1568 et de même pour les éditions Rigaud du second volet. Comment interpréter une telle différence de présentation ? Y a-t-il eu ultérieurement ajout ou au contraire suppression : question fondamentale en textologie ? Du Ruau aurait-il trouvé heureux d’ajouter des renvois à une édition de 1568 ou bien est-ce Chevillot qui aurait préféré supprimer une telle mention à Benoist Rigaud 1568 et quid des éditions Rigaud, qui emboîtent le pas, exception faite de l’édition se présentant carrément comme étant the Edition Benoist Rigaud 1568 ? Que dire de cette différence de temps : Du Ruau : “qui n’avaient jamais esté imprimées”, Chevillot “qui n’ont jamais esté imprimées”. La forme Du Ruau est plus rétrospective, on parle d’une édition ancienne tandis que la forme Chevillot, marquée par les éditions normandes, reprend une forme qui a pu être utilisée lors de la parution initiale. On comprend dès lors pourquoi certaines éditions ne se réfèrent pas à Benoist Rigaud 1568 puisqu’elles en reprennent l’intitulé ; il serait incongru qu’elles renvoient à elles-mêmes mais en même temps une telle présentation en est d’autant plus anachronique que les dites éditions ne sont pas pour autant d’époque. Du Ruau aurait donc jugé bon de ne pas rentrer dans ce jeu en se référant explicitement à l’édition Benoist Rigaud 1568. Le seul exemple d’une édition du Ruau se prétendant parue en 1568 est l’édition de la Fronde.32 Selon nous, les éditions Chevillot-Rigaud ont été contaminés par les éditions Roffet-Rosne-Bonhomme et ont tenté elles aussi, d’où leur absence de date, de se présenter comme des éditions parues en 1568 mais assez maladroitement puisque, au lieu, de se référer à Benoist Rigaud, elles ont donné d’autres noms de libraires plus tardifs, ce qui aboutirait d’ailleurs au cas assez malheureux de l’édition Pierre Rigaud 1566. Cote bien mal taillée que celle de toutes ces éditions se prétendant d’époque avec des libraires inadéquats, à une exception notable près, bien connue - qui confirme la règle, à savoir l’édition Benoist Rigaud 1568 (reprint Chomarat 2000).

   Arrêtons-nous sur un autre point assez remarquable, et qui implique ces éditions de Rouen dont nous regrettons de ne pas en avoir de copies en reprint, et ce quelle que soit la qualité des descriptions existantes puisque nous pensons avoir montré que l’on ne peut faire l’économie de la comparaison matérielle, page à page. On a déjà signalé dans d’autres études sur Espace Nostradamus33 que les éditions Antoine du Rosne 1557 comportaient une corruption du sous-titre du premier volet : “dont il en y a” au lieu de “dont il y en a”, ce qui laisse assez nettement supposer que les dites éditions 1557, l’une comme l’autre, ont été marquées directement ou non par l’édition de Rouen Raphaël du Petit Val 1589. Il est vrai que l’on avait déjà noté que les éditions parisiennes de la Ligue 1588-1589 n’avaient pas été oubliées puisque les additions à la VII et à la VIII viennent des dites éditions et non pas du Janus Gallicus qui ne commente pas tous les quatrains contenus dans les dites additions. Mais il s’agit là d’une autre filière qui n’est pas celle qui relie Du Ruau-Chevillot et Rigaud.

   Il y aurait une filière Du Petit Val-Du Rosne-Macé Bonhomme, la preuve étant que la seule édition à 4 centuries en dehors de Macé Bonhomme 1555 date de 1588 : Les Grandes et merveilleuses prédictions de M. Michel Nostradamus divisées en quarte (sic) centuries. On notera que les éditions Macé Bonhomme ne comportent pas en leur titre l’annonce du nombre de Centuries qu’elles comportent. Les éditions Macé Bonhomme Du Rosne, on l’a assez dit, ont en commun la vignette Galien et elles sont les seules à l’avoir hormis certaines éditions parisiennes de la Ligue (Veuve Nicolas Roffet et, avec une vignette encore remaniée, Pierre Ménier). Apparemment, ces éditions 1555-1557 doivent à la fois aux éditions de Rouen que de Paris de la fin des années 1580. Notons que les éditions parisiennes renvoient à des additions datant de 1561 et ne comportent pas mention de l’année 1568, pas plus d’ailleurs que les éditions de Rouen. Tout se passe, grosso modo, comme si on avait là deux versions : l’une avec référence à de dernières additions en 1561 - mais cela ne concerne que le premier volet - et l’autre à 1568, pour les deux volets (chez Du Ruau) Il est au demeurant logique que le premier volet ne se réfère pas à 1568 si l’on considère que celui-ci est antérieur à cette date. Mais Du Ruau avait tout à fait le droit de se référer à une édition Benoist Rigaud 1568 puisque elle est associée à la parution d’un ensemble à 10 centuries.34

Antoine du Rosne et Macé Bonhomme

On a mis en vert les éléments modifié ou supprimés dans l’exemplaire d’Utrecht
permettant de passer à l’exemplaire d’Albi.

   En tout état de cause, ces titres qui circulent sont certainement porteurs de quelques données authentiques et ne sont pas inventés de toute pièce, même si le contenu ne correspond plus à l’étiquette. La mention d’additions, par exemple, est certainement un trait caractéristique qui montre que le corpus centurique, dans tous les cas de figure, n’est pas apparu en une seule fois mais s’est greffé autour d’un noyau. La date de 1568 indique la dimension posthume de la publication, du moins dans la mouvance Du Ruau-Chevillot-Rigaud qui, soulignons-le, ne se réfère à aucune édition du vivant de Nostradamus, ce qui n’implique pas que les pièces ne lui soient pas attribuées par la dite mouvance, donc en les datant des années 1550. Cette mouvance se réfère à une édition Benoist Rigaud 1568 qui est celle signalée en 1584 par Du Verdier. Cette mouvance sera donc qualifiée de posthume.

   Mais quant à l’autre mouvance, sa présentation des choses est sensiblement différente puisqu’elle ne se réfère pas à une date post mortem mais à des éditions parues du vivant de Nostradamus, à savoir 1561, date figurant sur toutes les éditions parisiennes. Cette mouvance refuse la référence à 1568 et propose un tout autre scénario qui a fini par s’imposer non pas au XVIIe siècle mais... au XXe siècle puisque encore au XIXe siècle, la version 1566 Pierre Rigaud - on reste dans la référence Rigaud - également posthume, qui est une variante de la version 1568 était encore largement à l’honneur. Etrangement, ceux qui défendent, aujourd’hui, la mouvance “du vivant”, ont tenté de relier les deux mouvances - sans d’ailleurs les identifier comme telles - pour n’en faire qu’une seule, l’édition 1568 n’étant jamais, à les entendre, que le prolongement des éditions “du vivant”.

   Or, selon nous, la mouvance “du vivant” est plus tardive que la mouvance “posthume”, elle n’était pas encore de mise en 1584, sauf à désigner des Prophéties parues du vivant de Nostradamus mais qui n’avaient rien à voir avec les quatrains centuriques. C’est d’ailleurs, cette mouvance qui a imposé le nom de Prophéties aux dits quatrains, créant ainsi la confusion à telle enseigne que la mouvance posthume a repris cet intitulé pourtant nullement attesté par Du Verdier, dans sa Bibliothèque qui n’emploie pas le mot Prophéties.

   Le titre de prophéties semble être d’origine parisienne puisque ni à Rouen, ni à Anvers, dans les années 1588-1590, il n’est utilisé pour désigner les quatrains centuriques. On voit que ces éditions parisiennes sont déterminantes : ce sont elles, également, qui imposent la vignette Galien aux éditions Macé Bonhomme et Antoine du Rosne et elles sont connues de l’autre mouvance qui adopte le titre “Prophéties” ainsi que quelques quatrains additionnels non conformes à l’édition 1568 d’origine : il y a là un compromis. Mais une fois ce compromis adopté, c’est bel et bien la thèse posthume (1566-1568) qui va durablement l’emporter jusqu’à ce que l’on publie les reprints des éditions 1555-1557, à partir des années 1980.

   Cette mouvance “du vivant” prend donc, en 1588 ou dans les années qui précédent immédiatement, le contre-pied de la mouvance “posthume”. Elle évacue les centuries VIII-X qui n’y ont pas voix au chapitre dans les éditions de Rouen, de Paris et d’Anvers (1588-1590). Même l’épître à Henri II de juin 1558 n’est pas prise en ligne de compte. Il est probable qu’une édition Barbe Regnault ait été produite35, puisque mentionnée au titre des éditions parisiennes, sans toutefois indication du libraire. Barbe Regnault nous apparaît comme une sorte de vis à vis de Benoist Rigaud et on notera d’ailleurs qu’ils ont les mêmes initiales BR. La perte de cette édition 1560/1561 est compensée par l’existence d’une fausse Pronostication pour 1562 et d’un faux almanach pour 1563 - portant la même vignette Galien qui devait certainement figurer sur l’édition perdue. On ajoutera le cas de l’almanach anglais pour 1563 avec une vignette que l’on retrouve chez Pierre Ménier. On a heureusement conservé la page de titre, quelque peu abîmée dans le seul exemplaire disponible, de la British Library - l’exemplaire de la Bibliothèque Municipale de Toulouse manquant en place - de l’édition Veuve Nicolas Roffet 1588 qui comporte aussi la vignette Galien. Le puzzle peut donc assez bien être reconstitué. C’est ainsi que l’édition d’Anvers 1590 n’hésite pas à se référer, in fine, à une édition de 1555. C’est dire que la production d’éditions antidatées pour 1555, 1557 et 1561 doit avoir été fort limitée dans le temps. A partir des années 1620, c’est la mouvance posthume qui l’emportera - récupérant Présages et Sixains - et c’est elle qui sera de mise pendant l’âge d’or du nostradamisme, dans les années 1660.

   Autrement dit, pour ceux qui veulent que nous précisions nos “hypothèses”, les tenants de la mouvance “du vivant” ne s’appuient que sur une période très brève de production qui n’a guère du dépasser le tout début du XVIIe siècle, soit environ une vingtaine d’années. Ajoutons que cette mouvance, dont la résurgence actuelle est assez extraordinaire et est un artefact due à des bibliographes zélés, est certainement plus éloignée de la réalité historique que l’autre mouvance. Insistons aussi sur le fait que les agents de la mouvance “du vivant” sont des doubles faussaires, bien plus cyniques que ceux de la mouvance “posthume” puisqu’ils ont sciemment évacué des pièces dont ils n’étaient pas sans connaître l’existence et qu’ils ont délibérément produit des éditions antidatées, trafiquant ainsi, sans trop de scrupules, la biographie de Michel de Nostre Dame, tant au niveau du contenu de son oeuvre que de sa chronologie. Il y a donc plusieurs façons de vivre le nostradamisme et visiblement certains prennent un certain plaisir à faire triompher le faux sur le vrai.

   Signalons tout de même que toutes les éditions Héritiers Benoist Rigaud, Pierre Rigaud, Poyet, ne sont pas datées36, la première édition datée étant de 1627, à l’époque du siège de La Rochelle par Louis XIII. Même les éditions troyennes ne sont pas datées. On ne peut donc parler d’éditions antidatées. Ce sont les bibliographes, qui se fondant sur la période d’activité des libraires mentionnés se sont permis d’ accorder une certaine fourchette aux éditions portant le nom des dits libraires. Les seules exceptions à notre connaissance, à propos du second volet, sont l’édition de Cahors 159 et de l’édition Benoist Rigaud datée de 1596, cette dernière étant introuvable37, étant faussement indiquée par Chomarat dans la collection Harry Price de l’Université de Londres.38 Nous pensons que les agents de la mouvance “posthume” pratiquèrent un antidatage assez bénin, consistant à attribuer telle édition à tel libraire, mais sans préciser davantage, ce qui devait éviter des accusations de contrefaçon, le lecteur, non averti et ignorant des périodes d’activité des libraires, n’étant pas réellement induit en erreur. Ce sont les bibliographes modernes qui ont pris la peine de situer dans le temps ces multiples éditions sans date. Il convient d’ailleurs de distinguer la fortune du premier et du second volet, le premier volet étant semblable, en son titre et en son contenu, à la production de la mouvance “du vivant” mais sans vignette Galien et sans datation des années 1550. La mouvance “posthume” se caractérise, on l’aura compris, par un ensemble de 10 centuries et de nombreuses annexes tandis que la mouvance “du vivant” ne comporte que 7 centuries, les seules additions concernant les centuries incomplètes, la IVe (au delà du 53e quatrain), la VIe.(au delà du 71e quatrain), et la VIIe (au delà du 35e quatrain). Si les agents de la mouvance “du vivant” n’ignoraient rien du second volet, ceux de la mouvance “posthume” devaient être au courant des agissements des premiers, qu’ils se refusèrent à entériner.

   Certes, par la suite, il sera rappelé au titre de nombre d’éditions de la seconde moitié du XVIIe siècle, notamment à Amsterdam, qu’il a existé des éditions “imprimées en Avignon en l’an 1556 & à Lyon en l’an 1558 & autres” mais c’est là une manifestation d’un certain syncrétisme bio-bibliographique. Sur un plan épistémologique, il ne faut pas chercher à articuler en un seul et même ensemble les productions de plusieurs écoles mais bien mettre en place un modèle duel, faute de quoi, on risque fort de construire des “romans” qui n’ont plus grand chose à voir avec la vérité/vraisemblance historique. Les études nostradamiques auront probablement été pendant des décennies un des champs de bataille où les historiens auront été le plus longtemps tenus en échec, ce qui invite à repenser l’épistémologie de l’Histoire des textes, vers une plus grande rigueur. On peut d’ailleurs parler d’un scandale Nostradamus dans lequel sont impliqués de nombreux universitaires. Quand un domaine ne progresse pas, c’est que les méthodes employées doivent être révisées, parfois cela tient à un excès d’exigences là où il en faudrait moins, parfois, au contraire, à une insuffisance alors que l’on devrait attendre davantage. C’est ainsi que sur le plan iconographique, et cela inclut les vignettes, les lettrines mais aussi la mise en page, il faut chercher des sources très proches du document étudié, avec de faibles variations. Si le décalage entre le document étudié et les sources proposées est trop important, il y a fort à parier que l’on aura sauté des étapes et que l’on s’intéresse, au mieux, à un intertexte plus ou moins lointain commun à la prétendue source et au document. Nous suggérons de rechercher dans bien des cas des exemples de superposition au moins partielle, de calque, comme nous l’avons montré dans notre étude des rapports entre arcanes du Tarot et Hieroglyphica39 ou dans nos travaux consacrés à l’origine - à rechercher dans la cursive hébraïque - de ce qu’on appelle les chiffres arabes.40

Des pratiques de reconstitution aux XVIe-XVIIe siècles

   Notre thèse sur l’existence d’éditions qui auraient été fabriquées sur la base d’une déconstruction du corpus, aura trouvé une double illustration:

   D’une part, nous avons montré comment, dans les années 1620-1630, on était passé des éditions troyennes à 42 quatrains plus additions aux éditions Rigaud à 42 quatrains sans additions, le mot Fin étant placé dès lors après le quatrain 42. (Ed. P. Rigaud, Benoist Rigaud 1568). On précisera et renforcera les points forts de notre argumentation.

   Il apparaît que les éditions Chevillot ne constituent pas un tout cohérent du fait de l’absence de certains éléments. C’est tout le problème des soustractions, c’est qu’elles génèrent de l’incohérence : c’est ainsi que la formule “Autres Prophéties cy devant imprimées soubz la septiesme” est une abréviation de la formule que l’on trouve au même endroit chez Du Ruau : “Autres quatrains tirez de 12 soubz la centurie septiesme dont en ont esté rejectez 8 qui se sont trouvez es Centuries précédentes”.

   Formule assez obscure, d’ailleurs, car par “Centuries précédentes”, il faut comprendre “éditions précédentes des Centuries”, en l’occurrence les éditions parisiennes des années 1588-1589. A moins que par “Centuries” on entende ici les Présages, c’est-à-dire une série de quatrains d’almanachs (pour 1561). Chez Du Ruau, on nous annonce 4 quatrains restants (12-8) alors que chez Chevillot le nombre de quatrains n’est pas explicité et d’ailleurs on en donne cinq et non quatre, ce qui laisse entendre que Chevillot est issu d’une édition du Ruau disparue qui n’avait pas encore été amendée sur ce point. En tout état de cause, la Présence des Présages chez Du Ruau suffit à expliquer que l’on ait supprimé 8 quatrains figurant déjà dans l’édition alors que l’absence des Présages chez Chevillor ne justifie pas qu’on ait soustrait des quatrains, puisque il n’y a pas redondance.

   Sachant que Chevillot est fonction de Du Ruau et que la mise en page Rigaud est calquée sur celle de Chevillot, on peut établir une filiation inversée, c’est-à-dire remontant le temps. Ajoutons que la mise en page Du Ruau et celle de Chevillot se recoupent largement, page par page, du moins pour le premier volet. Il nous semble en tout cas inconcevable que le quatrain VI, 100 (à ne pas confondre avec l’avertissement latin) figure chez Du Ruau - comme dans le Janus Gallicus - et soit absent des éditions Benoist Rigaud-Chevillot si ce n’est pas l’édition Du Ruau qui a fait l’objet d’une soustraction de la part des dites éditions, en leur premier volet. D’ailleurs, nous avons déjà montré que les mises en page de toutes ces éditions Du Ruau, Chevillot, Rigaud sont semblables jusqu’à l’approche du quatrain VI, 100, comme si les éditions Chevillot Rigaud avaient voulu se conformer au modèle de l’édition d’Anvers 1590 qui ne comporte pas le quatrain VI, 100, mais dans une toute autre mise en page - pas plus d’ailleurs que les éditions 1557 Antoine du Rosne. Tout se passe comme si l’on avait voulu amender le texte Du Ruau en lui soustrayant VI, 100, sur la base d’un rejet attesté dans le passé, tout comme on allait soustraire de la dite édition les Présages, également inconnus des éditions de la Ligue, pour produire les éditions Chevillot-Rigaud. De tels retraits correspondent à une certaine façon de remonter (dans) le temps. Si Du Ruau a pour date buttoir 1605, date de l’Epître à Henri IV, ce qui exclue bien évidemment pour lui, toute prétention à présenter son édition comme antérieure à cette date, quelles que soient ses références à 1568, c’est précisément pour pouvoir se situer en 1568 que la dite Epître à Henri IV est évacuée dans le groupe Rigaud. Et pour faire bonne mesure, on rejettera également les “Présages, tirez de ceux faitz par M. Nostradamus, es années 1555 & suyvantes iusques en 1567”. Or, il est probable que la volonté existait de laisser entendre que le corpus centurique avait été clôturé en 1558 quand bien même n’aurait-il pas été imprimé à ce moment là - dès lors, la présence des Présages collectés jusqu’au lendemain de la mort de Michel de Nostre Dame, n’était-elle point susceptible de jurer avec une telle présentation des choses ? Pour Pierre Du Ruau, il n’y avait pas de prétention à se situer avant 1605 et d’ailleurs une de ses éditions est datée en page de titre de cette année là. Or, dater les Sixains de 1605 est déjà s’engager dans un processus d’édition antidatée et donc d’attribuer à ceux-ci des prophéties post eventum.41 On est bien là dans une perspective qui interpelle l’Histoire : comment reconstituer le passé, par quelles méthodes ? Dès lors, peut-on parler de faussaires quand il s’agit de tentatives menées pour se situer en amont dans le Temps et si c’était l’Histoire elle-même qui était une gigantesque contrefaçon ? Et si l’Histoire avait d’abord été le fait de légendes, de mythes, de généalogies flatteuses avant d’acquérir un autre statut qui est celui que nous lui (re)connaissons aujourd’hui ?

   Cette politique de soustraction a bien été formulée en 1656 par Giffré de Rechac dans l’Eclaircissement des véritables quatrains de Maistre Michel Nostradamus, s’en prenant à une édition Du Ruau, au paragraphe “Quels sont les véritables Quatrains de l’Auteur”, (p. 70) : on commence par rejeter en bloc les Présages : “Du nombre des Quatrains de l’Autheur, il en faut premièrement retrancher tous ceux que l’on a imprimé, sur diverses années, en forme d’almanachs : scavoir est ceux que l’on trouve sur l’an 1555 & sur les années qui sont depuis l’an 1557 iusques à l’an 1577 où il mourut etc”. Rechac est également hostile aux sixains : “Secondement, il en faut absolument & sans doute retrancher les Sixains qui sont à la fin des quatrains”. Il semble que l’on soit passé par deux phases antagonistes, l’une qui récupérait tout ce qui avait pu entrer, de près ou de loin, dans le champ nostradamique et l’autre qui souhaitait opérer un tri draconien, ce qui aboutit à l’édition Benoist Rigaud 1568. Il y a donc dans le processus de soustraction un double enjeu, celui de retrouver le noyau originel, par voie d’éliminations successives et celui d’élaguer des pièces douteuses, ce qui avait conduit aux éditions à 7 centuries de la Ligue et dans la foulée aux éditions Antoine du Rosne 1557.

   Nous avons montré, en effet, qu’à partir d’une édition à 10 centuries datant du début des années 1580 et qui n’a pas été retrouvée, on a conçu, sous la Ligue, une édition à 7 centuries, type Antoine du Rosne Utrecht, en évacuant donc le second volet, constitué d’une addition de 3 centuries (VIII, IX, X) puis qu’à partir de la dite édition à 7 centuries, on a conçu une édition à 4 centuries, ne comportant plus la mention d’une addition de 300 “prophéties”, ce qui allait donner l’édition Macé Bonhomme 1555 à 353 quatrains en 4 centuries.

   Tout ce travail de déconstruction dont nous observons la mise en oeuvre illustre une épistémologie de la génétique des textes qui devait être en vigueur à la fin du XVIe siècle et au siècle suivant. Il est d’ailleurs remarquable que l’élagage de la VIIe Centurie des éditions parisiennes, en soustrayant les Présages, aille dans le même sens d’une tentative de reconstitution que l’on peut qualifier de pré-critique. Rappelons que le XVIIe siècle voit naître la critique biblique. L’identification des quatrains n’était d’ailleurs pas si évidente que cela étant donné que l’ordre des versets était le plus souvent inversé.42 Soulignons le fait que Chavigny ne fut certainement pas impliqué dans les éditions Du Ruau, car s’il l’avait été, la liste des Présages ne se réduirait pas à ceux commentés dans le Janus Gallicus. En revanche; sa contribution à la confection de la centurie VII des éditions parisiennes de la Ligue est nettement plus envisageable.

   Il reste qu’un telle opération contribue à substituer à la véritable genèse du texte centurique une pseudo genèse qui contribue à situer en 1555 le début du processus centurique alors que celui-ci ne démarre qu’à la fin du XVIe siècle, suivant des étapes bien différentes et que nous avons décrites dans notre étude “Méthodes et hypothèses dans la recherche nostradamologique”, (Espace Nostradamus). C’est cette pseudo-genèse qui, encore actuellement, occupe le haut du pavé et bénéficie - pour combien de temps encore ? - d’un large consensus.

Les sources de proximité

   Au niveau méthodologique, on aura compris que non seulement il convient de rechercher des sources textuellement très proches mais que même la présentation formelle des dites sources est susceptible de comporter des similarités frappantes, ce qui n’exclue évidemment pas des variantes orthographiques, des coquilles voire des additions, d’une mouture à l’autre. Les sources peuvent se trouver aussi bien en amont qu’en aval dans le cas de textes antidatés ou résurgences de textes originaux disparus, comme dans le cas de traductions. C’est dire que des rapprochements qui ne respectent aucun de ces critères nous apparaîtraient comme très médiocrement satisfaisants. Il peut sembler paradoxal de formuler de telles exigences alors que par ailleurs il nous arrive de spéculer sur l’existence de certains chaînons manquants mais précisément c’est du fait des dites exigences que l’on peut avoir conscience de certaines lacunes dans la documentation disponible alors que d’autres chercheurs se contenteraient de liens assez lâches.

   Que penser ainsi de l’analyse que fait P. Guinard43 quand on lit :

   “La vignette des Prophéties (1555) est propre aux ouvrages de Nostradamus. Elle s’inspire de la Prognostication nouvelle pour l’an 1555, mais sans l’encadrement zodiacal. On la retrouve en 1557 dans la Paraphrase de Galien et dans l’édition Antoine du Rosne des Prophéties (copie de la bibliothèque d’Utrecht)”.

   Or, la vignette Pronostication 1555, 1557-1558 est fort différente de la vignette Galien.44 En réalité, la vignette Galien 1557 ne pouvait pas raisonnablement figurer dans une édition authentique datée de 1555, d’où, faute de mieux, le recours à la référence à la vignette, complètement différente, de la Pronostication pour 1555. Ajoutons que Macé Bonhomme n’utilise pas la formule “chez Macé Bonhomme”, car “Apud Macé Bonhomme” devient en français “Par Macé Bonhomme”, la forme “chés Macé Bonhomme” qui figure sur les Prophéties de M. Michel Nostradamus est calquée sur “chés Antoine du Rosne” Selon nous, la page de titre 1555 a été fabriquée à partir de la page de titre Utrecht 1555. On aura simplement supprimé la mention de l’addition selon une logique qui veut que s’il y a une édition augmentée, elle a du être précédée d’une édition sans la dite augmentation, sans évidemment qu’il y ait mention de la non augmentation. Rappelons que le second volet se présente lui aussi comme augmenté : le fait qu’il indique au titre “centuries VIII. IX. X.” implique évidemment que sept centuries soient déjà parues. Rien de tel pour la première addition qui ne signale ni le nombre de centuries ajoutées ni le nombre de centuries existantes avant l’addition. On notera qu’un chiffre suivi d’un point devient ordinal : “VIII.” doit être lu huitième tout comme “Henri II.”. doit être lu non pas Henri “deux” mais Henri “second”. A la différence de l’anglais, le français utilise la forme cardinale pour la forme ordinale, notamment pour les dates et pour les monarques ou les papes. La présentation du titre est strictement identique, ainsi que la vignette. Sous la vignette, on a gardé “Lyon”, on a gardé “chés” et on a même gardé MDLV - on notera le même espacement entre le M, le D et le L et le fait que le V soit collé au L. en supprimant II, remplaçant simplement le nom du libraire et ajoutant ”La permission est insérée à la page suivante” et en dessous Avec privilège. On observera qu’une telle mention figure en bas des pages de titre des Pronostications et notamment de la Pronostication Barbe Regnault pour 1562 qui pourrait avoir servi de modèle, avec sa vignette Galien Ajoutons que si l’on observe la dite Pronostication pour 1562, on remarque qu’elle reprend les termes de la Pronostication pour 1558. Mais pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir adopté la vignette de la dite Pronostication 1558 et lui avoir préféré la vignette Galien ? Voilà qui semble indiquer que l’on ne reproduisait pas si facilement une vignette et que la vignette “M. De Nostredame” n’était pas disponible alors qu’on avait du conserver l’empreinte de la vignette Galien. Il semble cependant qu’il y ait eu un temps d’hésitation : on notera, en effet, que la vignette Galien de la Pronostication Regnault 1562 n’occupe pas bien l’espace imparti comme si l’on avait prévu initialement une vignette plus haute comme la vignette “M. De Nostredame” avec ses frises. Ou bien on aura calqué la mise en page sur la Pronostication 1558 en attendant vainement une vignette de la même grandeur.

   Certes, on peut trouver étrange une telle démarche régressive, fabriquant des éditions anciennes en élaguant des éditions plus récentes et c’est cette “hypothèse” paradoxale qui aura constitué un obstacle épistémologique. On pourrait évidemment tenir le raisonnement inverse s’il n’y avait pas le problème de la date de la vignette Galien et si le contenu de l’édition Macé Bonhomme n’était pas en contradiction avec les indications de l’édition Antoine du Rosne Utrecht quant à une addition de “300 prophéties”; en effet entre le nombre de quatrains Macé Bonhomme (353) et le nombre de quatrains Utrecht (642), en comptant l’avertissement latin à la place du quatrain 100 manquant à la VIe centurie), on ne trouve pas une différence de 300. Quant à ce quatrain VI, 100 manquant et qu’on trouve dans le Janus Gallicus et dans les éditions Du Ruau, on nous dira que c’est une invention tardive ! La découverte récente - dont on ne saurait surestimer l’importance - de l’exemplaire de la Bibliothèque de l’Université d’Utrecht - les Pays Bas ayant été relativement négligés comme ce fut le cas pour la Pronostication 1558 de la Bibliothèque de La Haye que nous fûmes le premier à retrouver, comme en témoigne P. Brind’amour (1993) par les nostrabibliographes - est une contribution majeure à l’appréhension du puzzle nostradamique, encore qu’elle n’ait pas été immédiatement appréciée à sa juste importance.

   On conçoit, en l’absence de garde fous, que le chercheur non prévenu ait non seulement à se défier de certaines contrefaçons d’époque mais également de la présentation des choses endossée par les nostradamologues actuels eux-mêmes, dont les interprétations n’ont parfois rien à envier aux élucubrations de certains commentateurs patentés.. Il y a en effet plusieurs corpus : le corpus des éditions réellement parus jusqu’en 1630, le corpus des éditions antidatées produites alors, ces deux corpus, l’un comme l’autre, ne nous étant parvenus que partiellement et devant être distingués. A cela vient s’ajouter le corpus des nostradamologues eux-mêmes face à ces deux premiers corpus - l’un authentique et l’autre contrefait - et mélangeant, confondant allègrement les deux, considérant comme apocryphe ce qui ne l’est pas et vice versa, en réduisant, qui plus est, le corpus des publications ayant existé au corpus des exemplaires actuellement conservés et disponibles.

   Paradoxalement, être plus rigoureux dans les rapprochements autorise à développer des thèses plus ambitieuses alors que l’être moins conduit à se contenter de justifier un statu quo. Cette rigueur passe par les rapprochements les plus flagrants : reprise des mêmes mots, des mêmes titres, des mêmes images et mise en question de connections plus approximatives. Ce n’est qu’à ce prix que l’on ne mettra pas toutes les grilles de lecture sur le même plan. Quand des positions contradictoires coexistent chez les chercheurs, c’est qu’il faut monter la barre.

Jacques Halbronn
Paris, le 11 avril 2005

Notes

1 Cf. le débat sur Espace Nostradamus et sur Nostradamus RG. Retour

2 Cf. Michel de Nostredame dit Nostradamus. Son histoire, sa personnalité, son oeuvre, ses influences, Paris, Ed. Du Vecchi, 2003, pp. 94 et seq. Retour

3 Cf. réédition 1658. Retour

4 Cf. RCN, p. 230. Retour

5 Cf. notre étude à paraître sur Espace Nostradamus. Retour

6 Cf. le travail d’Yves Lenoble, sur l’Eclipse de 1999, sur Espace Nostradamus. Retour

7 Cf. Les premières Centuries ou Prophéties (édition Macé Bonhomme, 1555, Genève, Droz, 1996, p. 69. Retour

8 Cf. J. P. Brach, Intr. R. Roussat, Livre de l’Estat et Mutation des Temps, Gutenberg reprint 1981. Retour

9 Cf. “Nostradamus and the Eclipse of August 11 1999”, Astrological Journal, 1999. Retour

10 Cf. Nostradamus, astrophile, Ottawa, 1993, p. 218, note 24. Retour

11 Cf. Jean Maguellone, Michel de Nostredame dit Nostradamus. Son histoire, sa personnalité, son oeuvre, ses influences, Paris, Ed. Du Vecchi, 2003, p. 99. Retour

12 Cf. toutes les éditions parisiennes, 1588-1589. Retour

13 Cf. notre étude sur Espace Nostradamus. Retour

14 Reprint Chomarat, p. 171, fol B3 recto. Retour

15 Sur les emprunts aux “chronocratories” de Roussat, voir l’étude de Gilles Polizzi, “Le théme millénariste dans les Prophéties de Nostradamus”, Formes du Millénarisme en Europe, à l”aube des temps modernes, dir. J. R. Fanlo et A. Tournon, Paris, H. Champion, 2001, pp. 445 et seq. Retour

16 Cf. Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus, Feyzin, Ed. Ramkat, 2002. Retour

17 Cf. nos études “Nostradamus et le Kalendrier des Bergers” et “la versification d’Orus Apollo”, sur Espace Nostradamus. Retour

18 Cf. Significations de l’Eclipse de 1559. Retour

19 Cf. J. Dupébe, Nostradamus. Lettres Inédites, Genéve, Droz, 1983, pp. 51 et seq. et J. Maguellone, op.cit., p. 81. Retour

20 Cf. notre étude “Nostradamus et le Kalendrier des Bergers”, Espace Nostradamus. Retour

21 Cf. notre étude à paraître dans la rubrique Symbolica (Site Ramkat). Retour

22 Cf. sur les documents dont un certaine iconographie du Tarot pourrait être issue, notre étude à la rubrique Symbolica, sur le Site Ramkat.free.fr. Retour

23 Cf. Stuart Kaplan, La Grande Encyclopédie du Tarot, Paris, Tchou, 1978, pp. 62, 64, 66, 69. Retour

24 Cf. Stuart Kaplan, La Grande Encyclopédie du Tarot, op. cit., p. 129. Retour

25 Voir ce qu’en dit Peter Lemesurier, dans “Nostradamus : The Halbronn hypotheses”, sur Espace Nostradamus. Retour

26 Cf. RCN, p. 121. Retour

27 Cf. RCN, p. 126. Retour

28 Cf. RCN, p. 191. Retour

29 Cf. RCN, p. 192. Retour

30 Cf. RCN, p. 188. Retour

31 Cf. Intr. “L’édition des prophéties de 1568”, Reprint Chomarat, p. 22. Retour

32 Cf. RCN, pp. 207 et seq. Retour

33 Cf. la fonction “recherche” pour retrouver celles-ci. Retour

34 Cf. Du Verdier, Bibliothèque, Lyon, B. Honorat, 1584. Retour

35 Cf. RCN, pp. 51-52 Retour

36 Cf. Chomarat, Bibliographie Nostradamus, p. 100, n° 181. Retour

37 Cf. RCN, p. 140. Retour

38 Cf. Bibliographie Nostradamus, p. 84, n° 155. Retour

39 Cf. notre étude sur “Nostradamus et la versification des Hieroglyphica”, sur Espace Nostradamus. Retour

40 Cf. Mathématiques Divinatoires, Paris, Trédaniel-La Grande Conjonction, 1983, pp. 153 et seq, étude reprise par Robert Graffin, Les Secrets de Salomon, Meaux, 1998, p. 239. Retour

41 Cf. nos Documents Inexploités sur le phénomène Nostradamus. Retour

42 Cf. B. Chevignard, Présages de Nostradamus, Paris, Ed. Seuil, 1999, pp. 143 et seq. Retour

43 Cf. “L’appareil iconographique de Macé Bonhomme”, Espace Nostradamus. Retour

44 Cf. notre étude sur “Nostradamus et le Kalendrier des Bergers”, Espace Nostradamus. Retour



 

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