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ANALYSE

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Lucien de Luca ou la stratégie de la terre brûlée

par Jacques Halbronn

    Lucien de Luca écrit de façon révélatrice : “Le recours aux Ecritures permet ainsi au bibliophile de se passer de la petite histoire, pour ne se consacrer qu'à la grande”.

   Une telle distinction nous semble des plus discutables : ce que nous appelons aujourd’hui “grande histoire” risque fort de ne pas être considérée comme telle dans trente ou cinquante ans. Il est tellement plus commode de parler du futur et du présent que du passé. Une des règles que nous avons posée dans notre thèse d’Etat1 est de se replacer dans le contexte d’une époque et admettre que parfois les hommes ont dépensé beaucoup d’énergie pour ce qui peut nous sembler, après coup, bien dérisoire. L’historien du prophétisme peut ainsi avoir affaire avec des événements qui ne sont pas enseignés à l’école, qui n’ont parfois guère laissé de traces, c’est cela que Lucien de Luca appelle la “petite Histoire”. Prenons le cas de la Prophétie d’Orval (à paraître sur le Site Ramkat.free.fr), qui se souvient des enjeux de l’année 1840 et sans lesquels il n’est pas question de prétendre comprendre l’émergence de cette prophétie. C’est peut-être de la “petite histoire”, à côté de la Révolution de 1848, mais le prophétisme ne s’articule pas nécessairement sur la “grande Histoire“.

   Voilà donc une nouvelle polémique : non seulement, le prophétisme traite de l’Histoire mais encore faut-il, selon Lucien de Luca, que ce soit de la “grande” Histoire. Qu’il y ait une certaine logique à un tel point de vue, on veut bien essayer de l’admettre chez celui qui s’imagine ainsi redorer le blason du prophétisme, mais c’est une approche bien anachronique qui ne respecte pas la sensibilité des contemporains, quand bien même auraient-il fait fausse route, les pauvres. Cela nous fait penser à ces personnes en quête de leurs vies antérieures et qui veulent nécessairement avoir été des personnages importants, dont ils ont entendu parler et dont ils se souviennent.

   Pour Lucien de Luca, l’exécution du roi d’Angleterre en 16492 est vraisemblablement de la “petite histoire” parce que cela ne figure pas dans ses souvenirs scolaires et quant à l’affrontement entre Henri IV et la Ligue, c’est probablement aussi indigne des Centuries, pour ne pas parler de la mort en tournoi d’Henri II. Bref, la “grande histoire” est à venir et la “petite histoire” est obsolète, caduque, puisque déjà survenue.

   Au fond de Luca souhaite préserver le caractère prophétique des Centuries, ne pas les réduire à un récit d’événements passés. C’est évidemment louable de tenter ainsi d’en maintenir l’intérêt ; c’est d’ailleurs, un comportement classique en ce qui concerne la littérature prophétique, à savoir réactualiser le texte et maintenir le suspense pour le futur, quand bien même une prophétie serait tombée juste car autrement elle serait en quelque sorte “morte”, révolue. On a déjà signalé des cas de prophéties que l’on a cru trop tôt accomplies et qu’il a fallu dégager du passé pour qu’elles puissent resservir pour de nouvelles échéances. C’est notamment le cas pour la révolution de 1905 qui a crée une sorte d’accouchement prophétique prématuré au regard de celle de 1917.

   Tout l’art de Lucien de Luca est de défaire le travail exégétique antérieur, d’en montrer l’inanité, aux fins de pouvoir recycler les textes pour l’avenir. Autrement dit, on en arrive au paradoxe suivant, c’est que les Centuries n’auraient pas encore été vérifiées puisque ce dont elles traitent, selon de Luca, est encore à venir. Si bien que la réputation des Centuries serait, à l’entendre, complètement usurpée. Cela fait un peu penser aux Russes qui devant la progression de la Grande Armée de Napoléon décidèrent de brûler Moscou. M. De Luca pratique la politique de la terre brûlée.

   C’est ainsi que M de Luca est devenu un spécialiste de la désexégése, tant pour les réussites que pour les échecs prédictifs, ce qui lui permet d’avoir les mains libres. C’est un peu comme la tapisserie de Pénélope que l’épouse d’Ulysse défaisait chaque soir pour qu’elle ne soit jamais terminée et qu’elle n’ait pas à se remarier.

   Il faut reconnaître que la tactique de guérilla et de l’esquive de M. De Luca, qui le rend à peu près insaisissable, trouve quelque justification. Car à force de signaler que tel quatrain annonce ceci ou cela, on a fini par se demander s’il n’avait pas été réalisé après coup. Mais qui conteste de nos jours que nombre de sixains, pour ne parler que d’eux, et notamment de par leurs anagrammes un peu trop transparents, appartiennent à ce cas de figure parce que trop beaux pour être authentiques, trop polis pour être honnêtes ? Il y a des bornes à la crédulité.

   Or, grâce à M. De Luca, véritable sauveur, ces imprudents qui donnaient des verges pour se faire fouetter sont définitivement mis hors jeu, ce qui permet à M. De Luca, qui ne mange pas de ce pain là, de refuser l’idée que les événements survenus entre la mort de Michel de Nostredame (1566) et celle d’Henri IV (1610), grosso modo, aient pu, en quoi que ce soit, influer sur la rédaction de certains quatrains ou sixains. C’est ce qu’on appelle généralement, une fuite en avant et c’est probablement, reconnaissons-le, le dernier recours face à la critique nostradamique, même si cela ressemble un peu beaucoup à un sabordage exégétique.

Jacques Halbronn
Paris, le 17 mars 2003

Notes

1 Cf. Le texte prophétique en France . Retour

2 Cf. notre étude sur cette “révolution”, sur le Site Cura.free.fr. Retour



 

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