Pierre de Sainte-Marie,
bisaïeul paternel (branche maternelle)
de Nostradamus
T ous les auteurs modernes qui ont abordé les origines de Nostradamus ont rapporté, avec plus ou moins de détails, la pittoresque mésaventure survenue au docteur Pierre de Nostredame... alias Pierre de Sainte-Marie, ainsi que nous le verrons plus loin.
Cette histoire se trouve consignée dans un manuscrit de Jean de Nostredame, lequel écrit dans la notice consacré à son bisaïeul, pour l’année 1469 :
« Pierre de Nostredame, de ce temps fameux médicin et
astrologue, versé aux langues hébrieux et grecque, qu’estoit aux gaiges de la
cité d’Arles, parce que les appotiquères ne faysoient les compositions ainsi
qu’elles devoyent estre, et qu’ilz voyoyent que des simples il en faisoit des choses tenues non
seulement pour miraculeuses, mais incrédules, congnoissant aussi que les
appotiquères ruynoyent et renversoyent l’état de médecine, mettant au
lieu de drogues, de brouilleries et sophistications, servans plus tost de poyson que de
médicine, il ne voulut plus servir les appotiquères et délibéra
fère les compositions à son plaisir.
Quoy venu à la notice des appotiquères, feyrent antandre
aux consulz de la cité d’Arles que luy Pierre de Nostredame faysoit les compositions,
l’accusant qu’il les brouilloit et falsifioit, que fut la cause que, comme esmeux de juste
occasion, jasoit que beaucoup et des plus apparans de la ville, qui congnoyssoient la
preudhomie dud. de Nostredame et l’avoyent expérimenté, lesd. consuls lui
donnèrent congé, au grand regret de plusieurs, et depuys ledit Jehan, duc de
Calabre, le print à son service, le menant et demeurant avec lui. »
Ainsi, d’après le frère de Michel, Pierre de Nostredame avait, tout d’abord, exercé la médecine à Arles, où il s’était établi. Là, il avait eu l’occasion de s’apercevoir que les apothicaires (ce sont nos actuels pharmaciens) du lieu « ne faysoyent les compositions ainsi qu’elles devoyent estre ... servans plus tost de poyson que de medecine. »
On notera que l’arrière petit-fils Michel, dans son Recueil des Fardements et Confitures, jugera de la même façon certains apothicaires de Marseille, lorsqu'il écrit : « je n’oserois dire les meschanseteés qu’ilz ce commettent en la composition de la medicine. »
C’est pourquoi, Pierre de Nostredame s’était mis à préparer lui-même les potions et électuaires qu’il ordonnait à ses malades, après quoi il les vendait, étant à la fois « pharmaceutre » et médecin. Dès lors, les apothicaires sont allés le dénoncer aux consuls de la ville d’Arles, « l’accusant qu’il les brouilloit et falsifioit ses drogues ». Le médecin fut démis de ses fonctions, « au grand regret de plusieurs », ajoute Jean qui citera, en référence, les « escriptures de la Maizon commune d’Arles ». Ceci se passait donc en 1469.
Plus tard, César de Nostredame utilisa les notes de son oncle et les fit passer dans sa volumineuse Histoire et Chronique de Provence, en apportant quelques petites modifications, moins innocentes qu’on ne le croirait à première vue. Ecoutons César de Nostredame :
« Ainsi sont entassez une infinité de Gentilshommes & de personnages illustres en armes & en lettres, selon la course des aages... avec des courts & tranchez eloges... pour servir de franges & deschiqueturiaux authentiques & bien honnorables à leurs nepveux & descendans... Entre eux donques tiendra quelque honneste rang Pierre de Nostredame fameux & docte Medecin, bien versé aux langues, bisayeul de Michel, lequel de ce temps fut mis au service du Duc de Calabre, qui le retint tousjours depuis, ainsi que fit le bon René. Et pource qu’il avoit choisi pour sa devise une roüe brisee d’argent en un champ de gueules avec le mot Soli Deo : ceux qui sont yssus de luy tant à S. Remy, qu’à Sallon ont continué la mesme enseigne de pere en fils jusques icy. »
César note dans la marge :
« Pierre de Nostredame Medecin du duc de Calabre & de René estoit bisayeul de Michel pere de Cesar autheur de cette Histoire. »
Ainsi Pierre de Nostredame entra au service de Jean, duc de Calabre. Mais il ne pourra y rester longtemps, puisque le duc, alors en Catalogne, décéda à Barcelone l’année suivante. César ajouta à ce récit, que le roi René d’Anjou avait accueilli le médecin de son fils.
La dénomination fausse : « Pierre de Nostredame » qu’on a attribué à Pierre de Sainte-Marie fait que, malgré certains détails exacts fournis sur lui par son arrière petit-fils Jean et César, fils aîné de Michel, on ne trouve nulle part trace de ce personnage, connu en tant que médecin.
D'après les archives de Vaucluse, Pierre de Sainte-Marie est toujours dans cette ville en mars 1466, lorsqu’il donne à sa fille Blanche, grand-père paternelle du futur devin salonais, une maison et un verger situés dans la juiverie d’Aix.
Dans les archives municipales de la ville d'Arles, nous retrouvons la trace de Pierre de Sainte-Marie, à Arles, le 7 juillet 1466. Le conseil municipal de la ville lui octroie le titre de physicien et médecin, à condition qu’il demeure six années consécutives au service de la cité, avec un salaire annuel de 50 florins.
Pierre de Sainte-Marie ne restera, cependant, que trois ans et demi aux gages de la cité d’Arles, avant de perdre son emploi à la suite d’un conflit qui l’opposa aux apothicaires de la ville. C’est là qu’intervient l’épisode rapporté par Jean de Nostredame et que nous avons reproduit plus haut.
Ainsi, Jean de Nostredame n’a pas complètement menti en nous racontant l’épisode d’Arles survenu à son bisaïeul, mais il lui donne intentionnellement le nom erroné de « Pierre de Nostredame » dans sa Chronique, certainement pour identifier avec bonheur le médecin Pierre de Sainte-Marie avec le marchand de céréales Pierre de Nostredame.
On notera le petit fait croustillant suivant tiré des archives des Bouches-du-Rhône. Pierre de Sainte-Marie avait adopté une très jeune esclave de Barbarie, prénommée Pâque, devenue très certainement sa « compagne », et qui fut traité de « pute, bagasse » par une autre esclave en 1470.
Un an après son licenciement, Pierre de Sainte-Marie habite encore à Arles, nous renseignent les archives des Bouches-du-Rhône. Le médecin possède une maison dans la cité d’Arles, dans la « Garnetière vieille »,d'après les archives de Vaucluse.
C’est en 1476 que Pierre de Sainte-Marie reviendra certainement en Avignon, car cette année, à la suite d’un compromis passé avec son gendre Pierre de Nostredame, l’ex-médecin de la municipalité d’Arles vient se fixer définitivement dans la cité pontificale. Pierre de Nostredame louera à Pierre de Sainte-Marie sa propre maison achetée aux héritiers de noble Antoine Sextier. Il prendra le montant de cette location sur le loyer de l’immeuble que son beau-père possède à Arles, dans la Garnetière vieille.
Dans son nouveau domicile, Pierre de Sainte-Marie nourrira, vêtira, chaussera Jaumet, son petit-fils, et lui enseignera à lire et à écrire. Il trépasse à Avignon vers la fin de l'année 1484 ou au début de l'année suivante. Au cours d’une transaction passée ce jour-là, Blanche se trouve, en effet, désignée comme héritière, sous bénéfice d’inventaire, de son père.
Il ne fait nul doute que ce bisaïeul paternel de Michel de Nostredame soit un fils de néophyte ou lui-même converti. L’union de sa fille avec un chrétien de fraiche date le prouve car, pour ces familles, ce genre d’alliance était la règle à cette époque.
Peut-on remonter jusqu’à la souche judaïque du prétendu médecin du roi René ?
On a voulu identifier ce Pierre de Sainte-Marie avec un médecin juif du nom d’Abraham Salomon, exerçant à Saint-Maximin (Var) vers 1446. Sans doute, le déduit-on du fait qu’entre plusieurs médecins juifs au service du roi René, le seul que César de Nostredame ait nommé dans son Histoire et Chronique de Provence est justement cet Abraham Salomon, « très-savant et célèbre philosophe, que le roi René prit à son service en 1445. » Ce médecin fut effectivement au service du roi René qui le dispensa de toute imposition, fait remarquable souligné par César.
Voir ci-après notre Tableau généalogique n° 4 :
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